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Publié par fxg

40 moments tirés de la crucifixion d’un homme 

Couv40_Apourou.jpgJymmi Anjoure-Apourou publie chez Vents d’ailleurs 40 moments tirés de la crucifixion d’un homme, suivi de Corps-Puscule

Il est difficile de chroniquer la poésie. En ce qui concerne Jymmi Anjoure-Apourou, on pourrait rechercher dans ses textes le rimbaldien, le césairien, l'enfant aussi de René Char et d'André Breton, mais on opposera que tout cela est vain, car la langue de Jymmi est autre. Oui, elle aussi contient tous les poètes du passé tant on sait qu'il n'y a de création que parce qu'il y a re-création. Mais au-delà du mystère des références, il y a la sensualité que vient contrecarrer une morbidité. Au désir de jouissance se mêle celui de mort. Et le sublime devient horrible, et le sale devient beauté... Etrange mouvement qui crie que rien n'est manichéen, mais que tout est nuance. C'est l'extase et le dégoût post-coïtal :  « La douceur égraine des bans de gouttes à fondre en longs fils voyageurs » ; Eros et Thanatos, soi et l'autre :  « Ici même se fait La fin du monde Aux délices de la fosse Qui saute vers le soleil Pour mélanger le jour Aux lunes égarées. » Gilbert Bourson n'échappe pas à la difficulté de l'exercice dans la préface qu’il donne au poète de Petit-Bourg, et se réfugie à son tour dans une langue poétique : « Cette poésie, tsunamique et baroque, alterne entre la noirceur velue du soleil et la pulpe de nuit gaillarde de lumière salie aux entournures. » On a envie de dire qu'il s'agit d'amour et de merde, mais ce serait aussitôt perçu comme vulgaire, voire pornographique et scatologique. Et c'est faux car la poésie d'Apourou sublime les deux à la fois, les rend gazeux, les faisant échapper à toute censure, à toute règle de bienséance littéraire. Et s'il demande, dans Corps-Puscule : « Esprit, as-tu joui ? » C'est bien pour nous rappeler ce qu'est l'humain : un enfant qui veut « que l'on m'apporte un coeur et quelques friandises », des friandises dont il revendique aussi d'être : « Elle me versait le soir Dans une boite à Bonbons. » « Tu, c'est l'enfance », écrit un autre poète caribéen, Daniel Maximin. Oui, l'enfance sans retour : « Et j’ai vomi l’enfance attachée à sa mère. »

FXG (agence de presse GHM)


Interview

Apourou-et-son-livre-au-salon.jpg« Je fais l’œuvre autant qu’elle me fait »

Pourquoi avoir choisi la poésie comme moyen d’expression quand vous êtes déjà plasticien ?

J’ai commencé d’abord par éprouver l’expression poétique, d’abord en la recevant, notamment par une pratique assidue des psaumes, et puis un peu plus tard, aux environs de ma quinzième année j’ai publié un petit recueil de poèmes intitulé « Les larmes d’une plume ». Donc il y a chez moi un  primat de la chose poétique, et lorsque j’ai abordé la peinture c’est en tant que poète, créateur souhaitant varier les armes et manier les plaisirs sur toute l’étendue des possibilités d’un dire qui se veut franc et franchement attentant à mes sentiers battus.

Chacun de mes tableaux contient son poème, ses mots, son écriture ; et j’imagine que l’inverse est à éprouver… Donc poète, plasticien (avec tout ce que ce terme contient de largitude), vaste convergence vers un seul et point… d’interrogation !

40 moments tirés de la crucifixion d’un homme renvoie à certaines de vos toiles, quelle est donc cette obsession christique ?

Il s’agit bien plutôt d’une obsession biblique (à supposer qu’il faille une obsession…) ;  40 est très chargé en symboles, notamment de maturité ; 40 ferme un cycle, en ouvre un autre et débouche sur l’accession à cette fameuse terre promise qui, en l’espèce, est l’œuvre aboutie. Biblique puisque le nombre 40 est intimement lié à l’Ancien Testament (les Hébreux sont restés 400 ans en captivité en Egypte, la traversée du désert dura 40 ans, Moïse resta 40 jours sur le mont Sinaï…), mais le Christ aussi fut tenté par le diable 40 jours dans le désert… L’aspect crucifixion est approché de manière symbolique… Il faut y voir l’engagement d’un homme seul face a son destin singulier et tragique et allant jusqu’au bout de son accomplissement… La même lecture peut être fait de la fameuse traversée du désert, et toute la solitude et la foi que cela suppose avant d’accéder a la terre promise. C’est donc une métaphore très révélatrice a mon sens de la condition de l’artiste, du poète. Solitude d’une voie exigeante et parsemée d’embûches.

Jymmi-Apourou-2.jpgVous avez choisi dans le premier mouvement d’alterner une forme de prosodie avec des passages en vers, deux modes d’écritures, deux propos ?

Plutôt que deux modes d’écriture, il s’agirait bien mieux, de deux modes de découpe physique du texte. La manière dont le texte est physiquement présenté détermine dans une large mesure le rapport visuel, tactile, et donc l’entrée en sa matière. Ma poésie qui est sans ponctuation visible s’organise très étroitement autour de la découpe afin d’aiguiser la musique, d’imprimer le rythme ; avec une découpe dite en prose, l’horizon est plus vaste donc le galop permis… Et les deux découpes associées invitent le lecteur à tenter l’entonnoir… Hormis cet aspect physique de la découpe, il s’agissait de rythmer ces fameux moment, les marquer d’une certaine façon, en faisant office de flou artistique, ce qui pourrait passer pour une explication ne l’est pas, une présentation ne l’est pas, une introduction ne l’est pas… Ce serait plutôt comme un espace supplémentaire et intrinsèquement lié au poème qui serait provoqué là, par cette apparente ouverture. De plus, ces passages en prose s’achèvent toujours par un « il écrit »… cela marque également une prise de distance du poète par rapport à lui-même, se tenant désormais dans une extériorité observatrice de lui-même et de l’œuvre qui se fait, qui s’est faite ; un nécessaire recul par rapport à soi, à l’œuvre, un fondamental pour  que se mette en place l’inter-création… Je fais l’œuvre autant qu’elle me fait ! le fameux JE est un autre…

Jymmi-3.jpgAvez-vous par-delà la langue poétique voulu inscrire un désir de récit ?

Si le récit est « une relation écrite ou orale de faits réels ou imaginaires », il n’y a pas là de désir de récit. De même qu’il n’y a pas chez moi de « par delà la langue poétique » ; la poésie telle que je la conçois est un « au-delà, un par delà de la langue », nécessairement, pour que s’organise cette irruption, éruption dans l’inconnu, brutale et excavatrice. Il s’agirait plutôt d’un « désir de récif » ; un marquage solennel, arbitraire d’un espace dans le temps ; le dégagement d’un « moment » (avec sa somme hétérogène de successions confuses), sensé cheminer d’un même « vrac » vers une lumière plausible. Et c’est du choc animal des obscurités que dépend cette lumière que j’escompte  blette et usée de vie.

Pourrions-nous retenir ces mots qui concluent le premier mouvement : « Le corps cherche à dire sa cuite de l’innocence » pour dire voilà ce que nous conte Jymmi Anjoure-Apourou ?

Cette fameuse cuite de l’innocence établie un irréductible lien entre le corps et quelque chose qu’on pourrait dire une âme ; attelage obligé dans l’aventure du livre, de l’ivresse, livrés à cette cuisson à poing du rythme qui s’élance vers la musique, qui délie son cheminement de fleuve, naturellement arqué par ces fameux « moments ». Je citerai Vincent Van Gogh pour vous répondre complètement : « Cherchez à comprendre le dernier mot de ce que disent dans leurs chefs-d’œuvre les grands artistes, les maîtres sérieux, il y aura Dieu là-dedans. »

Propos recueillis par FXG

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