Salon du livre - L'homme pas Dieu
L’homme pas Dieu, un roman de Frankito
Frankito, c’est un nom de plume qui lui vient de son grand-père, mais son vrai nom c’est Franck Salin. Installé à Paris depuis vingt ans, il y a étudié l’histoire et le journalisme. Auteur du documentaire L’appel du tambour, il a déjà écrit un premier roman, Pointe-à-Pitre Paris (L’Harmattan) et une pièce de théâtre en créole. Agé de moins de 40 ans, ce Guadeloupéen originaire de Trois-Rivières sort aux éditions Ecriture, un roman, L’homme pas Dieu. Une histoire contemporaine qui se passe dans la Guadeloupe du début du XXIe siècle, celle où habite et travaille Albert Goutti, le héros. Albert enseigne au lycée Baimbridge, collectionne les conquêtes féminines et se désintéresse des sujets sensibles. Une intrigue policière va le confronter à une réalité locale à laquelle il refusait jusque-là de se confronter. Acide et drôle, L’homme pas Dieu est une satire sociale, une plongée inédite au cœur de la Guadeloupe d’aujourd’hui et de ses fêlures. Les connaisseurs reconnaîtront des gens, des événements mais toute ressemblance avec la réalité ne serait que pure coïncidence. Interview.
" Dans une satire sociale, il faut s’appuyer sur des clichés "
Quel a été le déclic de ce livre ?
Ca faisait très longtemps que j’avais envie d’écrire sur la Guadeloupe telle qu’elle est aujourd’hui. En 2005, je suis venu en Guadeloupe à l’occasion de la sortie de ma pièce, Bodlanmou pa loin, et ça a été comme chaque année l’occasion de revoir des amis, d’écouter les gens. Il y avait une chose qui revenait tout le temps dans les discussions, c’étaient les Haïtiens, à la radio, dans les dîners, dans les buvettes… Ce sentiment anti-haïtien m’a ulcéré et je me suis dit que c’était le moment d’écrire quelque chose là-dessus. Le roman ne parle pas que de cela…
Vous explorez la Guadeloupe dans toute sa diversité…
Oui, c’était l’occasion de parler de toute la société guadeloupéenne telle que la voit Albert Goutti. Le roman est écrit à la première personne du singulier… Albert Goutti, bel et jeune enseignant est accusé d’un triple meurtre, décrit ce qui lui arrive et qui voit la société avec ce qu’il est.
Comment la voit-il cette société ?
C’est une société complexe par sa composition ethnique au-delà des clivages sociaux qu’Albert maîtrise parfaitement. Mais il a fait le choix de se tenir en dehors, de jouir de la vie tranquillement et, malheureusement, parce qu’on l’accuse de meurtre, il est obligé de se confronter.
Avec son recul et son autodérision, il ose finalement parler de la Guadeloupe comme on n’ose pas en parler…
La plupart d’entre nous connaissons très bien notre société et sa façon de fonctionner et on a du mal à en parler, avec ses failles, ses problèmes… Dans ce roman, j’ai eu envie de les aborder de front mais sans aucun pathos, sans aucune pleurnicherie mais plutôt avec une tonalité humoristique. Sé dan cari misè, quand la situation est difficile, il nous reste nos dents pour rire… Ce roman s’inscrit sans cette philosophie.
Quelle est la thèse sociale du roman ?
De toute évidence, il faut que l’on passe à autre chose, un autre modèle de société mais on ne sait pas lequel adopter, donc on est dans une sorte d’impasse. Les événements de 2009 ont montré qu’une grande partie de la société sent qu’il faut que les choses changent mais on ne sait pas vers où aller. Albert Goutti, à travers ses aventures, est en plein dans cette thématique, ce questionnement.
On retrouve des archétypes, des Antillais kokagnè, des métro condescendants et insincères, des Indiens parvenus et arrogants, des Haïtiens miséreux et débrouillards, des Dominiquais voyous, des Blan péyi quasi esclavagistes… C’est ça la Guadeloupe ?
Non ! Mais comme dans toute satire sociale, il faut quelque fois forcer le trait pour mener à bien l’aventure et la réflexion. Dans une satire sociale, il faut s’appuyer sur des clichés. Dans le livre, il y a des clichés mais pas que ça !
Et pourtant, il manque un personnage dans ce roman, c’est l’homme politique…
Cette absence est peut-être symptomatique parce que les politiques n’arrivent pas à répondre aux problèmes de la société, à ce désir d’avenir de la population. Dans ce no future, le politique n’a rien à amener. L’un des amis d’Albert a cette envie de politique mais il sombre lamentablement pour des questions personnelles et sentimentales.
C’est un roman drôle mais finalement pessimiste… La Guadeloupe est-elle condamnée à vos yeux ?
Si elle est condamnée, c’est au changement. Au tout début de notre existence, au temps de la colonisation et de l’esclavage, c’est une île à laquelle la métropole a donné un sens. Il fallait qu’elle produise, qu’elle rapporte de l’argent et elle l’a fait. Après, au moment de la départementalisation, il y a eu un grand espoir, en partie réalisé, c’était que le niveau de vie se rapproche de celui des métropolitains, que l’égalité de droit soit une égalité de fait et on s’en est rapprochés. Aujourd’hui, il faut trouver de nouvelles envies, de nouveaux objectifs et je pense qu’on est à un tournant de notre histoire même si les politiques ont du mal à dégager des perspectives. Les syndicalistes montrent ce qui ne va pas, c’est leur rôle, mais ce n’est pas non plus à eux de brosser des perspectives.
L’homme pas Dieu… C’est une autre formule familiale ?
C’est une formule qu’aiment bien dire les vieux en Guadeloupe. Ca veut dire qu’à l’impossible, nul n’est tenu. C’est un peu fataliste mais, face à nos difficultés de nous projeter dans l’avenir, est la bienvenue.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)