Salon du livre - Pépin parle de Damas
Ernest Pépin intervient ce samedi au salon du livre de Paris pour évoquer l’œuvre du guyanais Léon Gontran-Damas.
« Damas, c’est la fulgurance »
Que comptez-vous mettre en avant de cet auteur ?
Ce qui est fondamental chez Damas, c’est la fulgurance. Contrairement à Césaire, c’est un auteur qui ne se déploie pas au niveau de sa phrase, longue et lente, mais au contraire cherche une pointe acérée pour exprimer sa souffrance et sa douleur existentielle. C’est cette douleur qui est fondamentale. Elle ressort à travers une poésie rythmée, saccadée, proche du blues et des poètes négro-américains.
Qu’est-ce qui fait que son œuvre est toujours d’actualité alors qu’il est né en 1912, il y a cent ans ?
Damas est proche des jeunes. Quand on écoute du slam, cette façon directe, abrupte, de s’exprimer, il y a une connexion avec Damas. C’est une parole sans fioriture mais qui exprime avec force et vigueur, un état d’âme, un rapport au monde, une conscience.
Comment expliquez-vous que parmi les pères de la négritude, Damas soit l’éternel oublié ?
Il a été combattu ! Des œuvres de Damas ont été interdites, d’autres qui n’ont pas été rééditées… Damas n’avait pas bonne presse. Il est allé jusqu’à écrire, en pleine guerre, des Sénégalais : « Moi, je leur demande de foutre aux boches la paix. » Par conséquent, il y a une insolence de Damas qui ne l’a pas aidée au niveau de sa relation avec les autorités et même parfois aussi avec son propre pays.
Faut-il mettre cela en lien avec le fait qu’il soit allé finir sa vie aux Etats-Unis ?
Ca a pu jouer mais ça n’est pas l’essentiel. C’est l’insolence, le côté dérangeant, provoquant qui fait que son œuvre, dans ces années-là, allait un peu trop loin selon les autorités de l’époque.
Plus loin que Césaire, par exemple ?
Autrement. Césaire, c’est la flamboyance, Damas, c’est la fulgurance. Chez Césaire, la flamboyance peut servir à masquer. Les revues Tropiques ont été autorisées par les autorités vichystes de l’époque parce que l’on ne voit pas le danger de ses écrits, alors que chez Damas, c’est tellement évident et manifeste que ça ne peut pas se camoufler.
Est-ce que la guyanité de Damas est importante ? Transparaît-elle dans sa langue ?
Elle transparaît dans sa conscience d’appartenir, il le dit lui-même, à plusieurs sangs. Il est d’origine amérindienne et noire ; il est à la confluence de quelque chose. Elle transparaît également avec son côté ethnologue lorsqu’il va écrire Retour de Guyane où il inventorie les cultures. Donc, je crois qu’il était très sensible à cette dimension-là. Il ne faut pas oublier non plus qu’il a voulu être un homme politique même s’il ne l’a été que brièvement ! Donc, il y a un lien.
Vous sentez-vous un peu un héritier de Damas ?
Ma passion va plus vers Césaire et sa flamboyance. J’ai été éduqué comme cela. Mais d’une certaine manière, Damas me plaît énormément aussi parce qu’il est moderne par sa brutalité, son écriture un peu lisse qui ne se camoufle pas, ne joue pas, ne triche pas.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)