Serge Diantantu et la mémoire de l'esclavage
L’esclavage exposé à Angoulême
Caraïbeditions, la société de Florent Charbonnier, a été choisi par la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image (CIBDI) d’Angoulême pour exposer, jusqu’au 31 décembre, une soixantaine de planches et illustrations de Serge Diantantu, auteur d’une série BD intitulée Mémoire de l’esclavage. « J’étais en contact avec le CIBDI quand j’ai fait l’étude de marché préalable à la création de ma société d’édition, témoigne Florent charbonnier. Et dans le cadre de l’année des Outre-mer français, ils ont saisi l’intérêt pédagogique d’une telle exposition. » Au début, le CIBDI privilégiait un focus sur le travail d’un éditeur d’outre-mer, voire sur la BD d’outre-mer. « De fil en aiguille, l’œuvre de Serge Diantantu et son contenu pédagogique ont pris le dessus… » Présentées à hauteur d’yeux d’enfants, les œuvres ont bénéficié du travail d’un scénographe de la CIBDI qui a choisi de mettre en avant un environnement sobre dans des couleurs ultramarines, un conditionnement de l’espace à la manière d’une galerie d’art et une salle spacieuse pour accueillir les groupes scolaires… Mais si le gros de l’expo est consacré à la série Mémoire de l’esclavage, le CIBDI a tout de même dédié un espace aux autres publications de Caraïbeditions.
Florent Charbonnier et Serge Diantantu se sont connus à la suite de la publication dans France Antilles d’un article sur le travail de Serge Diantantu autour de la mémoire de l’esclavage. Au début, Charbonnier n’envisageait qu’une traduction en créole, mais très vite, l’éditeur a repéré le chef d’entreprise qui se cachait derrière l’auteur. Ils ont alors développé l’idée, se sont rapprochés de l’UNESCO qui les a mis en contact avec l’ambassadeur du Bénin qui a préfacé le 1er tome. Le 10 mai prochain (date symbole), sortira le 3e tome… L’exposition ne reflète que les deux premiers tomes d’une série qui devrait en compter 7. Serge diantantu a donc dessiné spécialement pour Angoulême quelques illustrations sur Gorée, le marquage au fer… « D’ailleurs, prévient Serge Diantantu, le 3e tome sera plus dur… » Il y aura des scènes de castration. « Je veux montrer ce que c’était… Grâce au dessin, on peut se le permettre car il faut se mettre à la portée des âmes sensibles. Le détail, non. La pédagogie, oui. » L’auteur sera d’ailleurs à Angoulême les 23, 24 et 25 novembre pour intervenir auprès des scolaires.
FXG (agence de presse GHM)
ITW Serge Diantantu
« Ma volonté est de parler de cette histoire si difficile sans complexe »
Que représente une telle exposition pour vous, auteur ?
Angoulême est le temple de la bande dessinée européenne et pour un auteur, en arriver là, c’est quelque chose d’extraordinaire. Mais il n’y a pas que moi et derrière il y a les cases de Caraïbéditions et tous ses auteurs. Si c’était moi tout seul, peut être que je n’y serais pas arrivé.
L’exposition est tirée de votre œuvre, Mémoire de l’esclavage. Il y a déjà 2 tomes, il y en aura 7. Est-ce une volonté de raconter ce qu’était vraiment la traite et l’esclavage ?
Ma volonté est de briser l’oubli donc de parler de cette histoire si difficile sans complexe. Au fond, les gens veulent savoir ce qui s’est passé… Nous ne sommes pas tombés du ciel dans la Caraïbe et, du coté de l’Afrique, il y a eu des ancêtres qui sont partis. L’Afrique aussi doit faire face à son passé comme la France, comme la Hollande l’ont fait en choisissant une date pour célébrer cette mémoire. Il n’y a pas que la fête de la musique qui doit s’étendre et prendre de l’ampleur !
L’esclavage n’est-il pas l’événement humain au départ de la mondialisation ?
Le début de la mondialisation a effectivement commencé à partir du commerce triangulaire. Des êtres sont partis de part et d’autre. Des denrées se sont déplacées… L’Afrique n’était pas manioc, elle était igname et c’est le plus grand consommateur de manioc aujourd’hui ! L’Afrique avait les bananes mais maintenant ceux qui consomment le plus de bananes, ce sont ceux qui sont dans les Caraïbes. Des animaux sont arrivés par les bateaux, la souris par exemple, les chevaux… Et puis en même temps, la cuisine a changé. En Afrique, on fait de la sauce tomate mais on ne sait pas d’où vient cette culture de la sauce tomate et aux Antilles on fait des bananes plantin… Tout doucement, dans la série on va voir comment c’est arrivé.
L’esclavage et la traite sont aussi à la base de la civilisation créole, une création…
Effectivement, on peut parler de création. Les gens vont se mélanger dans le métissage et dans tout cela, ce qu’on cherche, c’est qu’il n’y ait plus de différence. Nous sommes tous des êtres humains c’est pour cela que nous faisons ce travail pédagogique afin de se décomplexer face à cette histoire. Qu’on ne dise pas : ça c’est un tabou. Ce n’est pas un tabou !
Vous avez une façon de raconter l’esclavage d’une façon décontractée. Vos dessins montrent tout !
Il faut tout montrer. Il ne faut rien cacher. C’est comme dans une famille… Si nous avons des secrets de famille, on va découvrir des cadavres dans les placards ou sous les lits. Ca peut faire éclater la famille donc il ne faut plus de tabous, plus de secrets. La bande dessinée permet de le faire. Et s’il y a des scientifiques qui veulent éclaircir une situation, nous sommes ouverts pour faire passer les images d’un support à l’autre…
Comment les enfants réagissent par rapport à ces dessins et cette histoire que vous racontez ? Comment ils perçoivent cette histoire ?
Les enfants posent souvent les vraies questions et ils trouvent des réponses à leur façon. Par exemple, on parle d’êtres humains qui n’avaient pas d’âme, considérés comme des animaux, qui étaient capturés pour aller vers un monde inconnu pour eux. Mais pendant le voyage, les femmes étaient violées et donc les enfants disent : « Mais s’ils n’avaient pas d’âmes, s’ils étaient considérés comme des animaux, ceux qui les violaient, violaient-ils un animal ? » Les enfants en concluent que les négriers savaient au fond que c’étaient des êtres humains. Ca ce sont des questions qu’un adulte ne peut pas poser… Ils auront des blocages. Quand les enfants posent ce genre de questions, ça nous fait avancer.
Vous ne cherchez qu’à faire une démonstration de la vérité ?
Mon souci, c’est la reconstitution. On est surpris de découvrir quelques données historiques qui demandent à être revues. Par exemple, dans Bulambemba, le 1er tome, on découvre l’embouchure d’un grand fleuve en Afrique que les autochtones appellent nzadi qui veut dire fleuve. Les explorateurs ont noté phonétiquement Zaïre alors que ce fleuve s’appelle en fait Mouanza. Et un jour, dans l’histoire de ce pays, on a vu naître la république du Zaïre qui ne veut absolument rien dire… On se rend compte aussi que s’il n’y avait pas eu de marronage, il n’y aurait pas eu les abolitions. On voit encore comment des Africains qui sont partis dans les Caraïbes puis qui ont été emmenés en Europe n’avaient pas le statut d’esclave, mais celui de domestique. C’était une façon de maquiller les faits… Ces maquillages ne font pas avancer l’humanité. Pour la faire avancer, il faut dire vrai, montrer les choses réellement sinon, on aura des gens qui vont prendre des libertés avec une histoire et cette histoire est celle de l’humanité.
Vous dessinez des esclaves enchainés, nus. Ne vous a pas reproché une volonté d’esthétiser voire d’érotiser l’indicible, l’esclavage ?
Nous avons expliqué tout cela dans le premier tome. Pourquoi ils étaient rasés même et ça, dans plusieurs épisodes on ne manque pas de le rappeler. Ils étaient nus pour de meilleures conditions d’hygiène. Sous les cales, il n’existait pas de toilettes, alors qu’un être humain a besoin de faire ses besoins quand il peut à tout moment et donc il le faisait où ? Et comment étaient les cales ? Au fur et à mesure, on se rend compte comment c’était affreux. Rien d’esthétique là-dedans !
Votre propos est-il de rappeler que l’histoire du commerce triangulaire est celle de tous ?
Si on condamne l’esclavage comme crime contre l’humanité, on ne peut le réduire à l’histoire de l’esclavage occidental en oubliant le triangle de la traite orientale.
L’exposition ne vient-elle pas un peu trop tôt par rapport à la série qui n’en est qu’à son deuxième tome alors qu’elle doit en comporter 7 ?
Non, parce que la CIBDI lui donne un coup d’envoi et permet de la faire connaître. Si le public nous suit, on ne s’arrêtera peut-être pas à 7 numéros, mais s’il ne suit pas, on peut aussi bien s’arrêter au numéro 4…
Cette série n’est-elle pas finalement votre grand œuvre ?
Oui. Ca me tient à cœur depuis la marche de 1998. C’est cette année-là que j’ai commencé à faire les premières illustrations. J’avais alors constaté que les jeunes disposaient d’images sur le commerce triangulaire ou l’esclavage en noir et blanc à une époque où les jeux vidéo explosaient de couleurs… Pour les ramener à une imagerie moderne, j’ai fait les premières illustrations et fabriqué aussi des objets pour qu’ils se rendent compte que, réellement, ça a existé. Voilà comment j’ai commencé.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)