Taubira publie ses mémoires
Dans un ouvrage intitulé Mes météores, Combats politiques au long cours, la députée Christiane Taubira narre son enfance guyanaise, ses éveils intellectuels, ses grands moments politiques. Entretien.
« Les portefeuilles, je n'en veux pas »
Vous vous racontez dans un ouvrage dense de 550 pages. Pourquoi le besoin de le faire à ce moment de votre vie ?
En fait, la première demande remonte à plus de dix ans, par Gallimard (l'éditeur de Mes météores est Flammarion, ndlr). Ça m'avait surprise à l'époque. Je n'étais pas persuadée d'avoir quelque chose à dire. Finalement, il y a deux ans, cahin-caha... J'ai commencé à écrire. Et puis, en tirant fil après fil, j'ai compris qu'il ne s'agissait pas d'écrire une autobiographie mais d'expliquer le croisement entre un parcours qui est fait d'expériences personnelles qui sont à chaque fois inspirées ou stimulées par un événement politique. Je raconte et découvre moi-même au fur et à mesure comment je me suis construite. Gamine, j'étais imprégnée des interrogations et des divisions d'un peuple. On n'échappe ni à son environnement ni à son histoire.
Quel est votre pire souvenir politique ?
En tant qu'actrice, c'est 1993. C'est le pire et le plus beau. C'est un rendez-vous magnifique parce que c'est un vouloir populaire qui rencontre une personne qui à ce moment peut illustrer ce vouloir. Pourtant quand les gens me demandent d'aller aux élections, ils sont persuadés que je vais perdre. Mais il leur faut une figure qui dise leur fierté et leur dignité. En tant qu'observatrice, le pire souvenir, c'est Le Pen en 2002. Parce que ce n'est pas la gauche battue. Mais l'image de la France et de ce qu'elle représente dans le monde qui s'effondre.
Vous mentionnez votre professeur, Michel Kapel. A-t-il été un mentor politique ?
J'ai toujours été insolente et indisciplinée au lycée, donc c'était difficile qu'il soit mon mentor à ce moment-là. Après, on s'est retrouvé à l'Union des étudiants guyanais (UEG), parce qu'il avait décidé de reprendre des études, donc on militait ensemble. C'était quelqu'un pour qui j'avais un grand respect, mais on s'engueulait, purée ! (Eclats de rires) Mais il a participé à mon éveil quand il était mon prof au lycée. Et aussi à ma rigueur d'analyse politique lorsque nous étions ensemble à l'UEG. Michel, c'est vraiment une belle personne. Une des grandes figures que la Guyane a eues.
En 1998, le 1er mai, on vous empêche de défiler à Cayenne avec Walwari. Mais vous ne citez pas vos opposants...
(Rires) Je les connais par coeur, on se voyait à l'UEG. Ils m'avaient oubliée, mais pas moi. Je connais leurs méthodes. Ben, c'est des gens de l'UTG (Union des travailleurs guyanais), tout bêtement. UTG et MDES. Je crois que c'était leur tentation d'intolérance, qui les travaille tout le temps. Peut-être un peu moins maintenant parce qu'ils ont les dents molles. Je ne laisse passer aucune tentation d'intolérance. Je considère que si moi, qui peux tenir, je lâche, je deviens complice des oppressions qu'on inflige aux autres. Donc je tiens bon, je fais rempart. Evidemment, j'en prends plein la gueule... Mais j'ai l'habitude. Mais on s'en relève. Il faut savoir ce qu'on fait là, ça permet de faire front.
La loi faisant de l'esclavage et de la traite négrière un crime contre l'humanité est-elle à Christiane Taubira ce que l'abolition de la peine de mort est à Robert Badinter ?
En France, c'est perçu comme ça, dans les milieux humanistes. A l'étranger, c'est plus fort que ça. Aux Etats-Unis, dans les pays d'Afrique et d'Amérique du Sud, cette loi a commencé à avoir des échos dès sa première lecture en 1999. Il y a eu très tôt une curiosité pour ça. Parce que l'acte fait sens. En France, au niveau officiel et institutionnel il y a des hauts et des bas. Dans le milieu universitaire aussi, qui est très partagé. Mais c'est justement parce que c'est une loi française, donc la fracture est plus facile. A l'étranger, on peut admirer la France qui a osé faire cette loi. Mais à l'intérieur, il y a des désaccords. Parce qu'elle a des conséquences.
En 1958, le ralliement de Justin Catayée à André Malraux pour le « oui » à la Constitution semble constituer pour vous une triste leçon de politique sur la classe politique ?
Pour moi, il y a un hiatus. J'ai une éducation extrêmement stricte sur les valeurs. C'est une époque où, en Guyane, il y avait un dolo que je trouvais extrêmement violent. Les mamans disaient à leur fils : « Fais-moi pleurer au cimetière mais ne me fais pas pleurer devant la prison! » Donc, c'est une éducation où on meurt mais où on ne trahit pas! Moi, gamine, je ne comprends pas quelles sont les motivations de Catayée pour passer du « non » virulent à un « oui » ... C'est quoi, ces adultes-là ? Ça a contribué à me crisper sur la parole donnée.
Vous dites que vous êtes devenue noire à Paris en 2005. C'est en raison de la loi de la honte ou des émeutes en banlieue ?
C'est la loi de la honte. En fait, non, ce sont les deux. Ça commence par la loi de février. Le cheminement et la contestation de la loi. Je suis très engagée et on fait le tour de la France. Et quand les médias commencent à s'intéresser à ça et m'invitent, je suis scotchée noire. C'est en octobre et les émeutes arrivent en novembre. Des journalistes intelligents - normalement - me posent des questions complètement idiotes! C'est à cette époque que j'écris que tous les Noirs ne sont pas mes frères et tous mes frères ne sont pas noirs. Les élites médiatiques françaises s'empêtrent, à ce moment-là, dans des clichés époustouflants.
Vous écrivez à la fin du livre : « Alors que fait-on, que dit-on à un peuple qui a si profondément renoncé à lui-même ? On trouve un jour la force de le quitter. » Doit-on en conclure qu'il s'agit là d'un testament politique, que vous n'envisagez pas de vous représenter aux législatives ?
(Rires) Je crois que je vais conserver le mystère. Parce que je me suis offert cette liberté. Et il n'y a pas d'incompatibilité entre la force de mon engagement et ma liberté. Je suis à fond dans la campagne. Des choses peuvent se présenter. Comme tout au long de ma vie. C'est pour ça que j'ai appelé le livre Mes météores. Les choses me sont tombées dessus. J'ai déjà dit à François (Hollande) que les portefeuilles, je n'en veux pas. Ma liberté, c'est un facteur d'équilibre personnel. Je suis malheureuse si je ne fais pas les choses en conscience. Ma liberté est inestimable. Je ne veux pas l'aliéner. Je préfère ne pas faire carrière et rester libre. Mais le mystère ne durera pas...
Propos recueillis par Thomas Fetrot (France-Guyane) avec F.-X.G. (agence GHM)