Valls aux Antilles
ITW Manuel Valls, ministre de l’Intérieur
« La jeunesse qui se tue aux Antilles, c’est l’avenir de la France qui se meurt »
Au 16 avril, dix personnes avaient déjà été tuées en Guadeloupe dans des circonstances violentes, soulevant une vive émotion dans la population. Pourquoi ne pas être venu dès cette période ?
Le Premier ministre, le gouvernement sont très attentifs à la situation aux Antilles où il faut briser cette spirale de la violence. Si je suis venu aujourd’hui, c’est pour dire aux Antillais que l’Etat leur doit la protection. Je refuse qu’on ne puisse pas sortir le soir, qu’on hésite à porter une chaîne autour du cou, ou pire que la violence prenne le pas sur l’ordre de la République. La Guadeloupe, la Martinique, Saint-Martin ont besoin de la mobilisation de l’Etat. Chaque membre de ce gouvernement est sur le pont.
Aujourd’hui, le bilan est de 50 tués par arme à feu en Martinique et Guadeloupe. Il existe un sentiment d’abandon par l'Etat. Les gens ont l’impression d’être moins bien considérés que les Marseillais ou les Lillois…
Moi je veux lutter contre ce sentiment d’abandon et malheureusement il existe dans ce pays. Quand je vais à Forbach, en Moselle, je dis aux habitants que l’Etat ne les lâchera pas. Il y a une crise, il y a une perte de repère, une perte de confiance. La drogue, le crack, les armes investissent les Antilles et pourrissent la vie des gens. La jeunesse qui se tue aux Antilles, c’est l’avenir de la France qui se meurt. Je ne l’accepte pas ! Rétablir l’ordre républicain, protéger les Antillais, c’est le premier pas vers le progrès social. Il faut une réponse sécuritaire forte, mais pas seulement.
La lutte contre la délinquance nécessite une réponse globale et le ministre des Outre-mer a annoncé une « nouvelle politique pénale » et une circulaire spécifique aux Antilles. Pourquoi ne pas venir avec la Garde des sceaux, sachant en plus que, dans nos prisons, la situation est catastrophique ?
Le gouvernement dans son entier est mobilisé. Restaurer l’ordre républicain passe par la force, c’est nécessaire, mais une force au service de la justice. Nos concitoyens de la Guadeloupe et de la Martinique doivent pouvoir compter sur les policiers et les gendarmes pour arrêter les délinquants et pour les faire condamner. Cela suppose une action très coordonnée avec la justice. L’efficacité dans le domaine de la criminalité, c’est d’abord la cohérence de l’Etat. Nous avons le souci avec Christiane Taubira, même si elle n’est pas aujourd’hui avec moi, d’agir de façon cohérente sur toute la chaine pénale. Il faut punir sévèrement quand c’est nécessaire. Les circulaires de politique pénale spécifiques aux Antilles que la garde des Sceaux a annoncées tiendront compte des diagnostics que nous sommes en train de faire ensemble.
Pensez-vous que les mesures de renforcement des effectifs de la ZSP de Pointe-à-Pitre annoncées en juin par le Premier ministre sont suffisantes ?
Oui, notre engagement est important. 25 policiers supplémentaires ont été affectés en Martinique et 27 en Guadeloupe. 30 de ces agents sont en poste depuis le 1er septembre et les autres arriveront avant la fin de l’année. Mais moi je ne suis pas un marchand d’illusions. Les Antillais savent qu’il faudra du temps. Et il ne faut pas réduire les ZSP à une simple question d’effectifs. Elles ont été mises en place pour se concentrer sur des objectifs ciblés. A Pointe-à-Pitre, le but est de lutter plus efficacement contre les bandes, contre les vols avec violence, contre les trafics de drogue. Ces nouvelles méthodes de travail doivent apporter des résultats.
Des policiers guadeloupéens réclament l'extension de leur ZSP et le renforcement des effectifs. En Martinique, les syndicats de policiers réclament eux aussi un renforcement des effectifs qui n’auraient pas suivi la creation de la ZSP de Fort-de-France. Qu’allez-vous leur dire ?
D’abord que j’ai confiance en eux et que je salue le travail qu’ils accomplissent chaque jour même s’il nous faut aller plus loin. Les ZSP, je le redis, ne peuvent se résumer à une simple question d’effectifs supplémentaires. Elles permettent avant tout de gagner en efficacité.
Qu’attendez-vous des autorités locales dans la lutte contre la délinquance ?
Beaucoup, car elles ont un rôle déterminant à jouer. La délinquance a des origines diverses souvent de nature économique ou sociale. En plus de la répression, il faut mener un travail de prévention et d’insertion professionnelle. Dans ces deux domaines, je sais combien l’action des collectivités locales est complémentaire de celle des pouvoirs publics.
Peut-on mieux coordonner le travail des policiers et des gendarmes ?
Non seulement on peut, mais on doit ! Et nous le faisons, notamment à Pointe-à-Pitre où un escadron de gendarmerie mobile assure des missions de sécurisation dans la ZSP qui est pourtant en zone police. Je veux également un renforcement de la coopération judiciaire pour faire avancer plus vite les enquêtes.
Le député Azerot a proposé une commission d’enquete parlementaire sur la détention, l’usage et le trafic des armes à feu en Martinique et en Guadeloupe. Qu’en pensez-vous ?
L’Assemblée nationale est souveraine quant à la création de commissions d’enquête. Les parlementaires, les élus connaissent la réalité du terrain. Celui qui tire brise deux vies : celle de la victime et la sienne. Il faut casser les mécanismes qui font que les gens s’équipent d’une arme.
Les moyens de l’OCTRIS ne sont-ils pas survalorisés au détriment de ceux de la police locale ? 4 policiers ont été pris pour cible mardi dernier…
La drogue est un fléau. La combattre est une de mes priorités notamment ici car la Guadeloupe et la Martinique se trouvent à un carrefour. Elles font face des trafics locaux aux conséquences terribles en particulier pour la jeunesse. Au-delà, la proximité de la zone de production mondiale de cocaïne fait de la zone Caraïbes un lieu de passage privilégié vers les zones de consommation, je pense à l’Europe. Il faut donc couper cette route de la drogue. Nous avons des résultats, mais je ne m’en satisfais pas. Nous dévons redoubler d’efforts.
A Saint-Martin, la création d’un vivier de fonctionnaires pour la police aux frontières répond-elle suffisamment aux besoins de la collectivité ?
L'île reçoit un afflux important de migrants clandestins venant des Caraïbes. Il faut le réguler avec fermeté. Le service de la PAF a donc été spécialement dimensionné avec une soixantaine de personnes, très bien formées aux exigences particulières de leur métier.
Propos recueillis par FXG, à Paris