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Publié par fxg

Histoire et monochromes par Jean-François Boclé

Visions monochromes des partages du monde de Jean-François Boclé

Le plasticien martiniquais Jean-François Boclé joue les ubiquistes à Paris, New York et Amsterdam et explore par ses tableaux et installations l'histoire de la domination coloniale.

Un Martiniquais qui enchaîne une performance, un "solo show" en octobre dernier dans le cadre de l'exposition temporaire "Gauguin et Laval en Martinique" au Van Gogh Museum d'Amsterdam, une expo collective sur la culture contemporaine en Caraïbe francophone à la Hunter East Harlem Gallery à New York (du 7 novembre au 2 mars 2019) et une exposition particulière à Paris, à la Maëlle Galerie d'Olivia Breleur (jusqu'au 17 novembre), ça n'est pas si fréquent. Cet artiste, c'est Jean-François Boclé. Il a déjà tapé dans l'oeil des Inrockuptibles avec ses peaux de bananes scarifiées et tatouées et depuis qu'il expose, il explore ce que c'est qu'être un Martiniquais de la diaspora. Cette fois, son travail est un cri qui tient en deux mots, "Monochrome-moi", et en trois tableaux, "Craie blanche sur fond noir". Jean-François Boclé a fait de sa toile un tableau noir de l'école, puis il a pris de la craie et a écrit pendant des jours...

...les grands traités des partages du monde.

Le plus grand format est le traité de Tordesillas de 1494 (ci-dessous).

C'est la question de l'étendue du nouveau monde et de son partage entre Espagnols et Portugais... Le deuxième est le traité d'Utrecht de 1713 (détail ci-dessous). "On le voit sur un format très proche du "carré blanc sur fond blanc" de Malévitch, explique l'artiste...

Là, l'histoire de la peinture se confond avec l'histoire. Cette oeuvre de Malévitch est le premier geste monochromatique du XXe siècle dans la peinture européenne. Et là, tout un traité a été écrit sur une surface de 40 sur 40 cm, d'où le blanc qui est presque total. On ne voit plus le noir du tableau... Ce traité d'Utrecht vient consacrer la paix signée entre la France et l'Angleterre." Et Jean-François Boclé raconte Louis XIV voulant créer son empire avec l'Espagne, et l'Angleterre ne pouvant pas l'admettre. "A partir de ce traité, commence le déclin de l'Espagne et de son empire colonial et démarre la puissance de la flotte anglaise... J'interprète ce traité, explique Jean-François Boclé, comme si un moment donné l'Europe décide de se monochromiser et dire qui est quoi..." Et d'ailleurs dans ce traité, il est aussi question des Amériques, des Caraïbes et donc aussi d'esclavage...

Le troisième tableau est le traité de Paris de 1898 (détail ci-contre) qui fait suite aux guerres hispano-américaines. "Là, il est question d'une colonialité autre avec les Etats-Unis, ex-colonie anglaise, qui développent depuis le milieu du XIXe siècle une doctrine — "la destinée manifeste". Sous prétexte de décoloniser les dernières colonies espagnoles en Amérique, Cuba, Porto-Rico et même les Philippines ou l'île de Guam, ils vont se saisir de tout le continent !"

Blanc sur blanc et décombres

Pour autant, l'artiste refuse de se dire historien dans ce travail : "Je ne convoque rien, j'écris ! Je ne fais pas rentrer l'histoire dans la galerie. Le spectateur voit une tentative de monochromisation d'un support qui renvoie à un tableau noir et une main qui écrit à la craie pendant des jours des traités internationaux." La technique de Boclé consiste à saturer la surface de son écriture, il fait du monochrome à la manière d'un Ryman. Sur le mur blanc de la galerie, il montre alors un 4e monochrome tapi, invisible sur le mur, une ligne de 70 cm de long : "Craie blanche sur mur blanc". L'artiste s'est tenu debout comme un élève face au tableau et il a écrit le traité de Sèvres de 1920, celui qui démantèle l'empire Ottoman.

"Quand on écrit pendant des jours, la craie s'effrite et au sol s'entassent les décombres de l'écriture, les décombres de l'histoire... C'est le fruit de la rencontre entre le mur, la craie et ce traité. Je peux amener le mot Liban... Décombres. Kurdistan... Décombres. Palestine, Transjordanie, Iraq... Décombres. Syrie...  Décombres. Et là, je parle du présent ! Et je découvre dans mon acte ces décombres qui surgissent à Paris à partir de ce traité et je pense à ces nouveaux décombres laissés à Paris, Nice, New York ou Barcelone..."

Amarrar mundele

En complément, JFB présente "Attachement aux quatre coins", une installation vidéo qu'il a créée à Cuba en 2017, déjà installée au Chili, en Bolivie, à Boston : Sur un écran, des mains nouent sans arrêt des drapeaux... 32, autant que de pays qui participèrent à la conférence de Bandung en 1955. Dans la salle, une guirlande de drapeaux noués, allant su sol au plafond, symbolise ces pays non alignés. "J'ai convoqué ce palo mayombé cubain parce que la conférence de Bandung s'est déportée pour devenir la conférence tricontinentale de la Havane. L'Asie, l'Afrique et l'Amérique latine... J'ai choisi Bandung, parce que c'était encore un rêve, tandis que Cuba a été l'échec... Un processus détruit, rendu impossible par l'enlèvement et l'assassinat de Ben Barka dont l'absence a invalidé la tricontinentale. Ce qui m'intéresse là, c'est cette idée d'hétérotopie vaincue..."

Jean-François Boclé conclut ainsi son affaire en mettant ainsi "un rituel vaudou à côté des grands traités édictés". C'est sa réponse artistique aux grandes questions que lui pose l'histoire du monde et des dominations.

FXG, à Paris

Exil aux beaux-arts

47 ans, natif de Fort-de-France, JFB vit d'abord au Saint-Esprit où son père est pharmacien et entrepreneur en bâtiment, puis rue Victor-Hugo à Fort-de-France, avant l'anse Madame à Schoelcher. A 15 ans, quand ses parents divorcent, sa mère l'emmène, lui mais pas ses frères, à Paris. "Elle veut être sûre que je ferai bien des études." Il passe ses vacances au pays où son père le fait travailler afin qu'il soit "dans la réalité".  Il en garde une double hernie discale. Bachelier en 1998, il retourne une année au pays pour gagner un peu d'argent et rentrer ensuite aux Beaux-arts de Bourges puis de Paris.

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