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Publié par fxg

ITW Charles Aznavour

Aznavour-sur-scene.JPGLe dernier des grands chanteurs se lance en tournée en province après un mois en haut de l'affiche à l'Olympia. A 87 ans, Charles Aznavour nous parle de sa jeunesse, ses amours, ses emmerdes...

« Je ne suis pas un vieux chanteur ! »

Aznavour-1-PHOTO-KARL-LAGERFELD.jpgAprès 70 ans de carrière, vous continuez !

Je suis un artiste aimé. Si vous n’êtes pas aimé de votre public, on peut vous oublier très vite. Ca a été le contraire pour moi. Je suis né dans la difficulté et il a fallu beaucoup de forceps pour que mon tour de chants devienne ce qu’il est devenu. Le public est venu avant les médias et, à 87 ans, je suis non seulement là, mais avec un public fervent. C’est tout ce que j’attendais, tout ce que je voulais…

Cette tournée est-elle une tournée d’adieux ?

Je n’ai jamais fait de tournée d’adieux. J’avais dit, il y a longtemps, que je ne ferai plus de tournée. On en fait une maintenant parce que je suis obligé de la faire sinon on va vexer le public de Marseille, Lyon, Bordeaux, Toulouse, etc… Je la fais donc avec grand plaisir mais je n’arrête pas ma carrière ! On m’a fait des difficultés pour que je rentre, on va avoir des difficultés à me faire sortir !

Vous avez toujours la même envie ?

Le mot envie, je ne connais pas… C’est faire pipi pour moi. Je suis quelqu’un qui va au bout de ce qu’il a décidé dans sa vie. C’est pas difficile : pas d’éducation scolaire, rien en littérature, ne connaissant pas la musique, parlant mieux l’argot que le français, je suis arrivé à faire ce que je fais. C’est dire qu’il fallait vraiment y aller… Personne ne m’a aidé, personne ne m’a rien apporté, personne ne m’a rien appris ; j’ai volé ce que je voulais ! Je continue à m’instruire.

Vous n’êtes jamais en panne d’inspiration pour écrire vos chansons ?

Mais si je suis en panne d’inspiration, bien sûr ! L’inspiration, c’est beaucoup de transpiration. Il n’y a que Victor Hugo qui n’était jamais en panne et il a tout écrit !

Qu’est-ce qui vous nourrit ? La littérature ?

Bien sûr ! On ne sort pas d’une forêt en ayant ou du talent ou du génie. Et le génie, c’est surtout quand on est mort ! Au moment où j’écris, il y a des choses qui reviennent et j’écris mieux que ce que je sais… Je dis des choses, j’emploie des mots que je n’ai jamais employés. J’ai dû les entendre quelque part mais c’est un phénomène extraordinaire.

Pourquoi dîtes-vous que vous écrivez mieux aujourd’hui qu’hier ?

Mon français est bien meilleur parce que je donne la priorité à l’écriture et non pas à l’idée. Une idée, ça passe, le texte, ça reste ! Dans les chansons de Trenet, vous vous souvenez des phrases entières. Pareil chez Audiard, on se souvient de dialogues entiers ! Ce n’est pas l’idée, c’est le texte ! Nous sommes un pays de texte, pourquoi ne pas en profiter ? Je n’ai pas choisi l’arménien ; j’aurai pu, je le parle…

Deux présidents, arméniens et français, pour vous, à l’Olympia, c’est important ?

Je les ai tous réunis, les autres aussi, avant ! Mais je n’ai pas de couleur politique, je suis tranquille… J’aime beaucoup Besancenot, pas sa politique, mais c’est un personnage que j’aime bien. Il est charmant, intelligent ; il connaît bien ses dossiers, il est travailleur. Il a toutes les qualités mais sa politique, je m’en fous ! La politique, ce n’est pas l’affaire du chanteur, c’est l’affaire du peuple… Aujourd’hui, je ne parle pas politique avec les hommes politiques mais je vote et ça ne regarde personne.

Aznavour-3-PHOTO-KARL-LAGERFELD-.jpgVous avez toujours été loin de la politique…

Pas du tout ! Ma jeunesse était communiste. J’étais jeune, j’aimais le peuple, les humains et j’étais contre la misère. A cette époque-là, les communistes avaient de grands yeux bleus, c’était un souffle qui nous a envahi même si on a été merveilleusement cocu. Mais n’oublions pas les premiers communistes qui ont eu les mêmes emmerdements que Le Pen ; on n’en voulait pas et on les éliminait ! Et bien, j’ai gardé quand même une certaine tendresse pour ma jeunesse communiste…

La nostalgie de la jeunesse et des amours passées est au cœur de vos chansons…

Les gens heureux n’ont pas d’histoire, c’est connu… Qu’est-ce que vous voulez écrire après « Y a de la joie de Trenet » ? On ne peut plus chanter la joie ; il a tout dit ! Maintenant, la jeunesse… Qu’est-ce que je dis sur la jeunesse ? Vivez-là, ne la gâchez pas. Moi, je l’ai vécue ma jeunesse !

Vous n’avez jamais été déraisonnable ?

Si ! A partir du moment où vous buvez trop, vous fumez trop, vous sortez trop, vous êtes déraisonnable. Je sais tout ça ! Je fumais trois paquets de cigarettes par jour… J’ai souffert. Arrêter de fumer, c’est beaucoup plus dur que d’arrêter de boire.

La jeunesse d’aujourd’hui sait-elle profiter de la vie ?

Elle ne profite pas de la vie ; elle profite d’un progrès fait par une civilisation de publicité qui leur donne à boire, à manger et à faire n’importe quoi !

Et avec les femmes, avez-vous été déraisonnable ?

Je n’ai pas profité de ma notoriété pour cavaler à droite et à gauche. Moi, je suis rentré en famille et j’ai vécu la famille. Ca va faire 47 ans que je suis avec la même épouse. Je suis absent, mais chez moi ! Quelqu’un qui est écrit à son bureau, c’est une absence terrible, beaucoup plus terrible que quand je suis physiquement absent.

Vos mélodies sont mélancoliques et vos histoires poignantes…

Ca rappelle des choses au public. Ils n’ont pas tous le même souvenir, mais j’ai beaucoup de chansons !

Comment travaillez-vous la mise en musique de vos textes ?

J’écris les textes d’abord. Là, je n’ai pas eu besoin de compositeur puisque les musiques que j’ai écrites étaient celles qu’il fallait. J’ai écrit deux fois la musique de la chanson que je chante avec ma fille et j’ai trouvé que ce n’était pas bon. J’ai fait appel à un compositeur. Il ne faut pas absolument, pour des raisons commerciales de sous, se dire qu’on va perdre des droits d’auteur… Ce qui compte est que le public soit content.

Comment faîtes-vous votre liste de scène avec autant de chansons ?

Depuis 9 ou 10 mois, j’ai du refaire ma liste une douzaine de fois mais il y a des chansons qui restent à la même place… Tout mon entourage m’a fait la guerre. Ils voulaient tous un best off. Mais pour moi, faire un best off, c’est une stagnation. Alors au lieu de quatre chansons de mon dernier album, j’en ai mis huit ! J’ai ajouté une chanson que je n’avais jamais chantée, qui s’appelle « Qu’avons-nous fait de nos vingt ans ? »… Et personne n’est venu me dire que j’avais tort. Je connais mon métier. Il ne faut pas se leurrer, un artiste qui ne connaît pas son métier ne peut pas survivre.

La chanson « L’instinct du chasseur » vous a-t-elle été inspirée par DSK ?

Je l’avais écrite il y a longtemps… Mais comment ça se fait que tout le monde me demande la même chose ? Alors, je l’aurais écrite dans la nuit pour l’enregistrer l’avant-veille du procès ?! Faut pas rigoler quand même !

Vous n’hésitez pas non plus à chanter des choses très sensuelles, le corps féminin…

Elle a été refusée par des chanteuses, alors je l’ai chantée moi ! Ca m’amuse et puis, il faut choquer. Il n’y a aucune raison qu’il y ait des statues nues, des peintures et des bouquins comme celui de Dubout, des poèmes de Verlaine qui vont très loin et que, dans la chanson, on soit sur la pointe des pieds ! Je ne suis pas spécialisé mais en tant qu’auteur, je peux écrire sur tout ! Il faut bousculer et le public et les artistes. Il faut qu’on soit des gens mûrs ou alors chantons des berceuses et on va se faire chier !

Des chanteurs se tournent-ils vers vous pour des textes ?

Ils n’osent pas…

Il y a eu Julien Clerc…

Je ne lui ai pas proposé un texte, ça c’est fait comme ça… J’ai eu des refus ridicules. Montand m’a refusé « Je me voyais déjà »… Faut le faire ! Et il a dit à mon parolier Jacques Plante : « S’il me donne une chanson, c’est qu’il pense que c’est pas bon pour lui… » Ca ne m’est jamais venu à l’idée ! Mais quand j’ai donné « Retiens la nuit » à Johnny, il n’a pas pensé comme ça ; il l’a chantée et avec le succès qu’on sait. Moi, quand j’écris, je suis honnête. J’aurai pu garder « Un mexicain » pour moi, j’étais sûr que ça marcherait. J’ai écrit pour Philippe Clay, Marcel Amont…

Pour qui avez-vous écrit « Sur ma vie » ?

Pour moi ! C’est Bruno Coquatrix, qui était venu me chercher pour l’Olympia. Il m’a dit : « Si vous apportez une chanson nouvelle qui peut faire un succès, c’est embêtant ! » Alors, j’ai écrit un succès et je n’ai jamais recommencé…

Vous aimez le rap et le slam, mais pas trop la chanson française actuelle…

Pendant les années 1960-1980, on a eu une bonne chanson française parce que pendant une certaine période, qu’est-ce qu’on a eu comme merde !

Vous dîtes qu’on ne sait plus écrire une chanson d’amour…

Peut-être qu’ils ne font pas l’amour de la même manière !

Il y a bien des chanteurs de variété actuels qui vous plaisent ?

J’aime bien Biolay, Benabar, Ruiz, Zazie… Il y en a un paquet qui sont formidables. Mais la première qualité qu’ils doivent avoir, c’est un bon texte, fou, fantaisiste, triste, littéraire, mais bien écrit. Il faut se méfier des textes avec des paroles creuses qui vous parlent du Biafra ou je ne sais quoi, c’est de la chanson voulue, pas de la chanson sentie. Les gens que je vous ai cités sont des gens qui écrivent leurs chansons d’après leur tempérament. Les autres, je ne les connais pas et ne veux pas les connaître. Ils font des succès, des tubes… Mais vous savez ce que c’est qu’un tube ? (Il mime un tube avec ses mains et souffle en émettant un bruit de pet…) Nous sommes les dépositaires de la bonne chanson mondiale ! Pourquoi mettrions-nous des accents toniques anglais dans les chansons françaises ? Ces gens-là n’ont jamais lu un livre de poésie de leur vie !

Aznavour-2-PHOTO-KARL-LAGERFELD.jpgPensez-vous déjà à un prochain album ?

Il y a ce qu’il faut mais je ne suis pas sûr que ça soit bon, donc je continue à écrire et je n’ai pas le choix.

Votre mémoire est défaillante, dîtes-vous, n’est-ce pas embêtant pour chanter ?

J’utilise un prompteur ; je le dis en scène ! Je ne le regarde pas tout le temps mais j’ai un prompteur pour toutes les chansons, y compris celles que je connais totalement par cœur. Quand je me trompe, je le dis au public, j’arrête et je recommence ! J’ai mis mon public dans la confidence définitivement ! Mon public n’est pas mon critique ; mon public est mon ami…

Vous avez des soucis d’oreilles, n’est-ce pas gênant ?

Je me suis rééduqué, c’est-à-dire que je pense une note et je chante dans le ton de la note pensée et, de temps en temps, je la pense mal… C’est là où j’arrête et que je dis au public : « J’ai chanté faux, on va recommencer…  »

Vous en souffrez ?

J’en souffre surtout à la ville… C’est embêtant de faire répéter tout le monde. En plus ma femme, elle parle très bas…

Est-ce qu’Eddy Mitchell vous a vexé en disant vous feriez mieux de vous arrêter à temps ?

Il l’a dit pour lui-même ! Sardou l’a dit avant lui : ne pas devenir un vieux chanteur. Mais un vieux chanteur, ça n’existe pas. Il y a des gens qui ne peuvent plus ou n’ont plus envie de chanter, qui ont perdu leur public… Il ne faudrait pas qu’il y ait de vieux peintres ? Picasso n’existerait pas… Pas de vieux écrivains ? Tolstoï n‘aurait pas existé… Il ne faut pas exagérer ! Je ne suis pas un vieux chanteur !

Vous arrive-t-il de penser à la mort ?

Toutes les nuits. Il y a des jours où j’ai peur, d’autres non. J’ai plus peur quand j’ai mal quelque part…

Comment voulez-vous partir ?

Je ne veux pas partir… Le plus tard possible. Mais puisqu’il faut partir un jour, alors que ce soit entouré des miens, dans mon lit.

Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)

Photos : Karl Lagerfeld

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R
<br /> <br /> C'est un king !<br /> <br /> <br /> <br />
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