Gérald Bloncourt a vu l'expo "Haïti, deux siècles de création artistique" au Grand Palais
Gérald Bloncourt et l'Expo Haïti au Grand Palais
168 oeuvres, 56 artistes et deux siècles d'histoire... Le Grand Palais accueillie depuis le 19 novembre l'exposition "Haïti, deux siècles de création artistique", jusqu'au 15 février. Gérald Bloncourt est allé la visiter et pousse un coup de gueule.
A 88 ans, Gérald Bloncourt n'a pas apprécié d'être snobé pour l'inauguration officielle au Grand Palais, à Paris, de l'expostion "Haïti, deux siècles de création artistique". Il y est donc allé avec son épouse, en payant son ticket. Pour voir... "Cette exposition, expliquent Régine Cuzin et Mireille Perodin-Jérôme, commissaires de l’exposition, est un hommage rendu aux artistes haïtiens, à l’histoire de leur pays et à leur culture d’origine." Gérald Bloncourt, peintre, écrivain, poète et photographe, est le dernier survivant du groupe de ceux qui ont créé le Centre d'art haïtien en 1944. "Le Centre d'art est à la base de l'étincelle qui a déclenché l'explosion des fameux peintres du merveilleux", plaide avec véhémence l'octogénaire. Sa colère est renforcée du fait que Mireille Perodin-Jérôme le connaît bien puisqu'elle l'a déjà exposé dans la galerie qu'elle tient avec son époux. "Ce n'est pas pour moi que je râle, dit Bloncourt, mais pour ce et ceux que je représente !"
En Mai 1944, Dewitt Peters l'Américain, Albert Mangonès, auteur de la fameuse sculpture "Le Maron", Geo Ramponneau, Maurice Borno, le RP James Petersen, le sculpteur Daniel Lafontant, Raymond Coupeau et Gérald Bloncourt fondent le Centre d'art. "Dewitt Peters a affirmé que les fameux "Vévé" dans les cimetières étaient des oeuvres d'art." L'équipe du centre d'art a découvert les chefs d'oeuvre dans les temples vaudous. "Ces chefs d'oeuvre étaient faits par de pauvres paysans qui se servaient de pigments, qui n'avaient pas de pinceaux. On leur en donnait ! C'est un peuple d'analphabète et la peinture est une écriture, une façon de s'exprimer et de lutter. C'est un peuple de résistance ! On en a fait des naïfs, mais les peintres du vaudou ne sont pas des peintres naïfs."
L'esprit des "Cinq Glorieuses"
Au Grand Palais, Gérald Bloncourt admet avoir retrouvé des peintres qu'il a lui-même accueillis au Centre d'art, mais il reproche aux deux commissaires d'avoir passé sous silence le rôle du Centre d'art. "Il y a une bibliothèque à l'entrée de l'expo et il n'y a pas un livre, juste une affichette pour lancer un appel à dons pour reconstruire le Centre d'art qui a été détruit après le séisme. C'est tout ce qu'il y a, je trouve ça scandaleux !" Il a encore sous la main le premier numéro du journal du Centre d'art, Studio N°3. "On a fait venir le grand peintre Philomé Obin et tout l'école du Cap. On les a exposés, les amateurs sont arrivés, les collectionneurs américains... Ca a explosé. Les galeries se sont montées et ils ont gagné des millions sur la tête de ces pauvres types à qui on achetait un tableau 1 US$ et qu'ils revendaient des milliers de dollars après... Aucune allusion n'est faite à la misère, à l'exploitation de tous ces peintres." Mais la la protestation de Bloncourt est peut-être d'abord politique : "On veut faire oublier que le Centre d'art était un lieu révolutionnaire qui a reçu l'empreinte d'André Breton et de Pierre Mabille ! On balaie le travail qui a été fait par cette avant-garde de 1946 et des cinq glorieuses. On a quand même déchouké Lescot !" L'insurrection populaire du 7 janvier 1946 qui dura cinq jours s'acheva avec la fuite du président. Bloncourt était alors avec René Depestre et Jacques Stephen Alexis un des principaux leaders. Une junte militaire a fait rapidement un coup d'Etat aidé par les Etats-Unis. La répression a commencé. "J'ai eu le triste privilège d'être le premier expulsé", témoigne Bloncourt.
Le contentieux est donc ancien entre Bloncourt et l'Etat haïtien. Or, l'exposition du Grand Palais est organisée par la Réunion des musées nationaux sous le haut patronage de François Hollande et de Michel Martelly. Bloncourt a une mauvaise opinion du président actuel d'Haïti : "C'est un ancien macoute qui voulait donner des obsèques nationales au dictateur poursuivi pour crimes contre l'humanité. Il réinstaure le Duvaliérisme."
FXG, à Paris
L'exposition
L'exposition parcourt des temps forts de l’histoire de l’art haïtien, en proposant "un regard au-delà des stéréotypes de la peinture naïve, transcendant la vision magico-religieuse et exotique". Autour de sept sections, dont un tête-à-tête avec Jean-Michel Basquiat et Hervé Télémaque, la scénographie laisse une large place aux artistes contemporains de toutes générations vivant en Haïti (Mario Benjamin, Sébastien Jean, André Eugène, Frantz Jacques dit Guyodo, Céleur Jean-Hérard, Dubréus Lhérisson, Patrick Vilaire, Barbara Prézeau-Stephenson, Pascale Monnin...), en France (Hervé Télémaque, Elodie Barthélemy), en Allemagne (Jean-Ulrick Désert), en Finlande (Sasha Huber), aux États-Unis (Edouard Duval-Carrié, Vladimir Cybil Charlier), au Canada (Marie-Hélène Cauvin, Manuel Mathieu). À l’extérieur du Grand Palais, les visiteurs sont accueillis par une sculpture lumineuse d’Edouard Duval-Carrié.
Contrairement à ce qu'affirme Gérald Bloncourt, la documentation de l'exposition n'ignore pas le Centre d'art, pas plus qu'elle n'ignore les premières académies de peinture créées par les dirigeants de la première République noire et animées pour la plupart par des peintres européens qui donnent naissance à l'art du portrait (Colbert Lochard, Séjour Legros, Edouard Goldman). Cette tradition sera ensuite réintérprétée sous forme de satire. Sur le Centre d'art, les commissaires indiquent : "En 1944, le Centre d’art de Port-au-Prince devient le lieu emblématique de la vie artistique haïtienne. Avec une rare puissance évocatrice, les artistes populaires font irruption dans la ville et forcent à la reconnaissance de leurs sensibilités (Hector Hyppolite, Philomé Obin, Préfète Duffaut, Wilson Bigaud, Robert Saint-Brice...)." Elles évoquent même la suite puisqu'elles parlent d'un "nouvel élan créatif avec l’ouverture du Foyer des arts plastiques, puis de la galerie Brochette" et citent même certains des amis de Bloncourt parmi lesquels Lucien Price, présent sur la photo prise au Centre d'art en mai 1944.
Bloncourt, le photographe de la classe ouvrière française
Son père, un Guadeloupéen, est venu faire la guerre de 14 en France. Son grand-oncle, Melville Bloncourt, député de la Guadeloupe, héros de la commune de Paris, a été condamné à mort par Thiers. Son frère, Tony, a été fusillé par les nazis au mont Valérien en 1942. "On descend du comte de Moyencourt qui était un corsaire du roi au XVIIe siècle, qui s'est mis à son compte et est devenu pirate. Il vivait avec une fille Caraïbe qui portait un nom français, Leblond. Noble, il ne pouvait lui donner son nom, alors il a pris Moyencourt et Leblond pour faire Bloncourt." Gérald Bloncourt est né le 4 novembre 1926 à Bainet (Haïti). Il a été au petit séminaire puis au collège Martial à Port-au-Prince, avant de devenir linotypiste. Exilé à 20 ans, il n'est revenu en Haïti qu'à 60. Entretemps, Gérald Bloncourt est devenu photographe à l'Huma, puis Avant-garde, Vie ouvrière et pas mal de presse syndicale. On l'a appelé le photographe de la classe ouvrière française. Deux fois dans les années 1980, il a occupé l'ambassade d'Haïti, "revolver en main", et il fait partie de ceux qui ont créé dès 1988 le comité pour juger Duvallier. Il vient de publier "Mémoire d'un révolutionnaire" chez Mémoire d'encrier.