Saint-George, le nègre des lumières
Interview Alain guédé
Le Nègre des lumières, musique Chevalier Saint-George, livret Alain Guédé.
Mise en scène Diana Illescu (et Petrika Ionesco), direction musicale de Bertrand Cervera et l’orchestre Paris Classik. A la Maison des arts de Créteil, le 10 janvier 2009.
« Réintégrer Saint-George dans le répertoire »
Vous êtes l’auteur d’une biographie de Saint-George chez Actes Sud, et maintenant du livret de l’opéra, Le nègre des lumières, sur ses musiques. C’est un aboutissement dans votre quête en réhabilitation du chevalier de Saint-George ?
C’est un aboutissement d’effort énorme pour réintégrer Saint-George dans le répertoire et on l’espère, un nouveau départ. Un nouveau départ, car on sait que dans les hiérarchies musicales, pour être reconnu un compositeur doit avoir composé des opéras. Saint-George en avait bien composé six et peut-être même sept, mais ils avaient disparu. L’objet du Nègre des lumières est de permettre de faire jouer sa musique d’opéra sur scène. On avait reconnu déjà ses compositions pour le violon, maintenant, le deuxième volet, c’est la reconnaissance de ses œuvres lyriques.
N’est-ce pas audacieux de se lancer dans l’écriture du livret ?
Tous ses opéras, sauf un qu’il n’avait pas voulu faire jouer, ont disparu, sans doute brûlés lors d’incendie de théâtres. Je n’ai pu retrouver, tout à fait par hasard dans une bibliothèque, que des extraits de quatre opéras différents qui permettaient de donner deux à trois heures de musique. On les a fait d’abord jouer en version concert. On a eu alors l’idée d’écrire un livret sur le plus bel héros lyrique de l’œuvre de Saint-George, Saint-George lui-même. Un livret, c’est quelque chose de lourd et j’ai mis du temps à me décider. Il y a la technique poétique, l’écriture en vers et puis il y a la prosodie, art ou technique pour faire coller les sons de la langue avec les notes de musique. La langue française est périlleuse en ce domaine et ça a demandé de ma part, un apprentissage long et ensuite un travail avec les chanteurs et chanteuses lyriques de façon à faire de multiples réglages.
Quel est le synopsis ?
Saint-George a eu une vie trépidante qui ne pouvait se réduire à une œuvre d’opéra. Je me suis efforcé de tirer l’essence, la morale de sa vie, le sens qu’il a voulu lui donner. Sa vie m’a donné l’impression qu’elle s’était construite comme le poème de Rudyard Kipling, Tu seras un homme mon fils, où il est dit que si tu peux voir s’écrouler l’œuvre de ta vie et sans un mot te mettre à rebâtir, tu seras un homme mon fils. C’est ce qui arrive à Saint-George. Un jeune homme doué de toutes les qualités sportives, musicales et de séducteur, est en proie aux critiques, à certaines polémiques racistes, mais elles glissent sur lui et sont presque un atout dans le travail de séduction qu’il opère vis-à-vis de société française et de la royauté. Et puis, pour son malheur ou pour son bonheur, la reine qui s’entiche de lui, le nomme directeur de l’académie royale de musique alors qu’il est au faîte de la gloire, le grand chef d’orchestre d’Europe… Mais autant on admet qu’un métis puisse avoir des dons artistiques, autant on ne peut pas admettre qu’il devienne le grand patron de la musique en France, poste créé pour Lully, puis confié à Rameau ! Il avait droit de censure absolue sur toutes les œuvres musicales qui pouvaient être jouées en France. Ca a déclenché un polémique incroyable et la reine renonce et la vie de Saint-George s’écroule. Il s’aperçoit qu’il ne sera jamais l’égal des autres. Mais il va se reconstruire par ses engagements au service d’autrui. Il fréquente la société des amis des Noirs, il s’engage en franc-maçonnerie mais aussi à la défense des acquis de la révolution en créant un régiment de Noirs et se battre les armes à la main. C’est cette chute et cette rédemption que j’ai voulu raconter dans le livret.
Saint-George est interprété par le Guadeloupéen Mowgli Laps. Parce qu’ils sont tous deux de Basse-Terre ?
Il fallait confier le premier rôle à un représentant de la différence qui plus est qui a un parcours un peu parallèle avec sa naissance aux Abymes et son parcours lyrique à Paris ! La Reine est interprétée par Sophie Fournier qui a une voix qui donne des sanglots ! Mais j’ai adjoint à Saint-George un autre personnage, Zamor, un « négrillon de compagnie » chez la Du Barry dont il est devenu l’amant. Devenu révolutionnaire, c’est lui qui a fait monter la Du Barry à l’échafaud… Zamor est un peu l’ombre noire de Saint-George qui lui rappelle que les gens le voient Noir. Mon problème est qu’on a peu de ténors noirs, mais nous avons trouvé Loup-Denis Elion, comédien, jongleur et ténor d’origine africaine.
Deux représentations ont déjà eu lieu et la prochaine a lieu le 10 janvier à la Maison des arts de Créteil (94). Y en aura-t-il d’autres, aux Antilles, notamment ?
Nous espérons qu’il partira en tournée en France, à l’étranger et dans les DOM…Le duc Philippe d'Orléans, le baryton Marc Labonnette, et Alain guédé.
Est-ce une production facile à monter ?
Le prix normal d’un tel opéra avoisine le million d’euros. Nous le sortons à huit fois moins grâce au militantisme de quelques-uns, dont le metteur en scène Petrika Ionesco qui travaille avec nous gracieusement et les adhérents du Concert de M. de Saint-George. Tout cela en fait un spectacle facilement exportable. Une représentation normale se vend sensiblement plus de 100 000 euros, nous arriverons à le faire voyager à moins de 20 000 euros. Ce qui pour salle de mile place met le spectacle à 20 euros, ce qui est dérisoire pour un tel opéra.
La polémique sur l’identité de Saint-George
Alain Guédé : « Il est évident qu’il y a un doute. On n’a pas l’inscription de Saint-George sur les registres de catholicité dans la mesure ou le mulâtre était le fruit du pêché absolu. On sait qu’il est mort, on ne sait pas qu’il est né et dès lors les conjectures sont nombreuses. Pour ma part, j’étais d’abord parti sur la piste de Bologne de Saint-George. Puis à maints égard, ça collait mal car il n’aurait pas pu donner son nom, tout comme de la Pailletterie qui n’a pu donné son à son fils, Alexandre Dumas ou comme Guyon Lethiers… Et puis ce Bologne était ruiné, alcoolique, condamné à mort non pas à la suite d’un duel, mais d’une bagarre d’ivrogne qui aboutit à la mort de Saint-Robert. Bologne disparaît et s’enfuit avant d’être pendu en effigie. Ca me paraît improbable qu’il soit le père de Saint-George, devenu favori de la reine et gendarme du roi sans être noble. Les deux auteurs qui ont enfourché cette thèse n’ont fait que reprendre la thèse de Smidack qui l’avait montée sur la base d’un seul témoignage sujet à caution. Deux autres thèses existent : celle d’un autre Bologne, Pierre né aux Antilles et conseiller au parlement de Metz. Elle semble plus fiable que l’autre mais je ne l’ai pas retenue car elle ne correspond pas à la description que faisaient les contemporains du chevalier comme le chanteur ténor Gara ou John Adams, le deuxième président des Etats-Unis, alors ambassadeur en Europe ? Celui-ci décrit le père de Saint-George comme fermier général et trésorier général des colonies. En fait le fermier général était son oncle et son père le trésorier. Guillaume-Pierre de Boulongne de Saint-George est pour moi le père, et l’oncle Philippe-Guillaume. Mais c’est un débat qu’on aura, historiquement, du mal à trancher. »
Quatre questions à Mowgli Laps, ténor, interprète du rôle-titre
« On se sent très proche de Mozart »
C’est important pour vous de jouer et chanter Saint-Georges ?
Très ! Mon grand-père m’en parlait déjà beaucoup et c’est vrai qu’on a exactement les mêmes origines et beaucoup de points communs.
Beaucoup de points communs, mais peut-être pas l’épée ?
Ah non ! Pas l’épée. Je n’ai pas fait d’escrime mais j’ai toujours beaucoup aimé cette discipline. Nous avons travaillé une petite scène d’escrime avec un maître d’arme et c’est réussi. C’est une chorégraphie sur un texte.
Est-ce un opéra facile à chanter entre le livret et la musique ?
Ce qui n’est pas très évident, c’est que, comme on a pas retrouvé toutes les partitions, certaines parties chantées sont en fait des partitions d’instrument sur lesquelles on a rajouté une ligne de chant. Quelques fois, ce n’est pas évident par ce que ce n’est pas habituel comme ligne, comme façon de chanter car ça n’a pas été écrit comme ça. C’est la seule difficulté, sinon c’est bien écrit et par moment, on se sent très proche de Mozart.
Saint-George a sa place dans le répertoire ?
Il a vraiment des morceaux qui sont sublimes et je crois qu’il avait vraiment sa place, c’est sûr.
Le Nègre des lumières, musique Chevalier Saint-George, livret Alain Guédé.
Mise en scène Diana Illescu (et Petrika Ionesco), direction musicale de Bertrand Cervera et l’orchestre Paris Classik. A la Maison des arts de Créteil, le 10 janvier 2009.
« Réintégrer Saint-George dans le répertoire »
Vous êtes l’auteur d’une biographie de Saint-George chez Actes Sud, et maintenant du livret de l’opéra, Le nègre des lumières, sur ses musiques. C’est un aboutissement dans votre quête en réhabilitation du chevalier de Saint-George ?
C’est un aboutissement d’effort énorme pour réintégrer Saint-George dans le répertoire et on l’espère, un nouveau départ. Un nouveau départ, car on sait que dans les hiérarchies musicales, pour être reconnu un compositeur doit avoir composé des opéras. Saint-George en avait bien composé six et peut-être même sept, mais ils avaient disparu. L’objet du Nègre des lumières est de permettre de faire jouer sa musique d’opéra sur scène. On avait reconnu déjà ses compositions pour le violon, maintenant, le deuxième volet, c’est la reconnaissance de ses œuvres lyriques.
N’est-ce pas audacieux de se lancer dans l’écriture du livret ?
Tous ses opéras, sauf un qu’il n’avait pas voulu faire jouer, ont disparu, sans doute brûlés lors d’incendie de théâtres. Je n’ai pu retrouver, tout à fait par hasard dans une bibliothèque, que des extraits de quatre opéras différents qui permettaient de donner deux à trois heures de musique. On les a fait d’abord jouer en version concert. On a eu alors l’idée d’écrire un livret sur le plus bel héros lyrique de l’œuvre de Saint-George, Saint-George lui-même. Un livret, c’est quelque chose de lourd et j’ai mis du temps à me décider. Il y a la technique poétique, l’écriture en vers et puis il y a la prosodie, art ou technique pour faire coller les sons de la langue avec les notes de musique. La langue française est périlleuse en ce domaine et ça a demandé de ma part, un apprentissage long et ensuite un travail avec les chanteurs et chanteuses lyriques de façon à faire de multiples réglages.
Quel est le synopsis ?
Saint-George a eu une vie trépidante qui ne pouvait se réduire à une œuvre d’opéra. Je me suis efforcé de tirer l’essence, la morale de sa vie, le sens qu’il a voulu lui donner. Sa vie m’a donné l’impression qu’elle s’était construite comme le poème de Rudyard Kipling, Tu seras un homme mon fils, où il est dit que si tu peux voir s’écrouler l’œuvre de ta vie et sans un mot te mettre à rebâtir, tu seras un homme mon fils. C’est ce qui arrive à Saint-George. Un jeune homme doué de toutes les qualités sportives, musicales et de séducteur, est en proie aux critiques, à certaines polémiques racistes, mais elles glissent sur lui et sont presque un atout dans le travail de séduction qu’il opère vis-à-vis de société française et de la royauté. Et puis, pour son malheur ou pour son bonheur, la reine qui s’entiche de lui, le nomme directeur de l’académie royale de musique alors qu’il est au faîte de la gloire, le grand chef d’orchestre d’Europe… Mais autant on admet qu’un métis puisse avoir des dons artistiques, autant on ne peut pas admettre qu’il devienne le grand patron de la musique en France, poste créé pour Lully, puis confié à Rameau ! Il avait droit de censure absolue sur toutes les œuvres musicales qui pouvaient être jouées en France. Ca a déclenché un polémique incroyable et la reine renonce et la vie de Saint-George s’écroule. Il s’aperçoit qu’il ne sera jamais l’égal des autres. Mais il va se reconstruire par ses engagements au service d’autrui. Il fréquente la société des amis des Noirs, il s’engage en franc-maçonnerie mais aussi à la défense des acquis de la révolution en créant un régiment de Noirs et se battre les armes à la main. C’est cette chute et cette rédemption que j’ai voulu raconter dans le livret.
Saint-George est interprété par le Guadeloupéen Mowgli Laps. Parce qu’ils sont tous deux de Basse-Terre ?
Il fallait confier le premier rôle à un représentant de la différence qui plus est qui a un parcours un peu parallèle avec sa naissance aux Abymes et son parcours lyrique à Paris ! La Reine est interprétée par Sophie Fournier qui a une voix qui donne des sanglots ! Mais j’ai adjoint à Saint-George un autre personnage, Zamor, un « négrillon de compagnie » chez la Du Barry dont il est devenu l’amant. Devenu révolutionnaire, c’est lui qui a fait monter la Du Barry à l’échafaud… Zamor est un peu l’ombre noire de Saint-George qui lui rappelle que les gens le voient Noir. Mon problème est qu’on a peu de ténors noirs, mais nous avons trouvé Loup-Denis Elion, comédien, jongleur et ténor d’origine africaine.
Deux représentations ont déjà eu lieu et la prochaine a lieu le 10 janvier à la Maison des arts de Créteil (94). Y en aura-t-il d’autres, aux Antilles, notamment ?
Nous espérons qu’il partira en tournée en France, à l’étranger et dans les DOM…Le duc Philippe d'Orléans, le baryton Marc Labonnette, et Alain guédé.
Est-ce une production facile à monter ?
Le prix normal d’un tel opéra avoisine le million d’euros. Nous le sortons à huit fois moins grâce au militantisme de quelques-uns, dont le metteur en scène Petrika Ionesco qui travaille avec nous gracieusement et les adhérents du Concert de M. de Saint-George. Tout cela en fait un spectacle facilement exportable. Une représentation normale se vend sensiblement plus de 100 000 euros, nous arriverons à le faire voyager à moins de 20 000 euros. Ce qui pour salle de mile place met le spectacle à 20 euros, ce qui est dérisoire pour un tel opéra.
La polémique sur l’identité de Saint-George
Alain Guédé : « Il est évident qu’il y a un doute. On n’a pas l’inscription de Saint-George sur les registres de catholicité dans la mesure ou le mulâtre était le fruit du pêché absolu. On sait qu’il est mort, on ne sait pas qu’il est né et dès lors les conjectures sont nombreuses. Pour ma part, j’étais d’abord parti sur la piste de Bologne de Saint-George. Puis à maints égard, ça collait mal car il n’aurait pas pu donner son nom, tout comme de la Pailletterie qui n’a pu donné son à son fils, Alexandre Dumas ou comme Guyon Lethiers… Et puis ce Bologne était ruiné, alcoolique, condamné à mort non pas à la suite d’un duel, mais d’une bagarre d’ivrogne qui aboutit à la mort de Saint-Robert. Bologne disparaît et s’enfuit avant d’être pendu en effigie. Ca me paraît improbable qu’il soit le père de Saint-George, devenu favori de la reine et gendarme du roi sans être noble. Les deux auteurs qui ont enfourché cette thèse n’ont fait que reprendre la thèse de Smidack qui l’avait montée sur la base d’un seul témoignage sujet à caution. Deux autres thèses existent : celle d’un autre Bologne, Pierre né aux Antilles et conseiller au parlement de Metz. Elle semble plus fiable que l’autre mais je ne l’ai pas retenue car elle ne correspond pas à la description que faisaient les contemporains du chevalier comme le chanteur ténor Gara ou John Adams, le deuxième président des Etats-Unis, alors ambassadeur en Europe ? Celui-ci décrit le père de Saint-George comme fermier général et trésorier général des colonies. En fait le fermier général était son oncle et son père le trésorier. Guillaume-Pierre de Boulongne de Saint-George est pour moi le père, et l’oncle Philippe-Guillaume. Mais c’est un débat qu’on aura, historiquement, du mal à trancher. »
Quatre questions à Mowgli Laps, ténor, interprète du rôle-titre
« On se sent très proche de Mozart »
C’est important pour vous de jouer et chanter Saint-Georges ?
Très ! Mon grand-père m’en parlait déjà beaucoup et c’est vrai qu’on a exactement les mêmes origines et beaucoup de points communs.
Beaucoup de points communs, mais peut-être pas l’épée ?
Ah non ! Pas l’épée. Je n’ai pas fait d’escrime mais j’ai toujours beaucoup aimé cette discipline. Nous avons travaillé une petite scène d’escrime avec un maître d’arme et c’est réussi. C’est une chorégraphie sur un texte.
Est-ce un opéra facile à chanter entre le livret et la musique ?
Ce qui n’est pas très évident, c’est que, comme on a pas retrouvé toutes les partitions, certaines parties chantées sont en fait des partitions d’instrument sur lesquelles on a rajouté une ligne de chant. Quelques fois, ce n’est pas évident par ce que ce n’est pas habituel comme ligne, comme façon de chanter car ça n’a pas été écrit comme ça. C’est la seule difficulté, sinon c’est bien écrit et par moment, on se sent très proche de Mozart.
Saint-George a sa place dans le répertoire ?
Il a vraiment des morceaux qui sont sublimes et je crois qu’il avait vraiment sa place, c’est sûr.