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Publié par fxg

fxg-plennel-AK-4.jpgGrand Témoin Alain Plénel

« Un représentant des révoltes coloniales »

Quand vous êtes nommé en Martinique, aviez-vous une idée de l’île ?

Je ne la connaissais pas. On m’a fait lire Rue Cases-Nègres, le roman de Joseph Zobel. C’était pour moi la première révélation de ce que l’on pouvait savoir sur un pays passionnant. Et puis, peu à peu, j’ai découvert le pays. Dans ma vie, j’ai trouvé peu d’endroits où il y avait un idéal humain. On parle toujours de la beauté de l’île, ça c’est touristique… Mais c’est une petite société d’une richesse énorme avec un mélange de populations extraordinaire. On parle toujours des anciens esclaves, mais il y a les Congos arrivés après l’abolition de l’esclavage, les Libano-Syriens, les Chinois… C’est un peuple mélangé. Sans parler bien sûr des Blancs créoles.

Alain-Plennel-3-hauteur.jpgY'avait-il du racisme ?

Il n’y avait pas vraiment de racisme en Martinique. Ceux qui en parlaient le faisaient remonter à l’esclavage. Mais l’esclavage ne repose pas sur le racisme, au contraire c’était un système qui avait besoin de main-d’œuvre quelle qu’elle soit. On parle des Békés, mais ils ne sont pas forcément racistes. La preuve : ils ont eu des enfants avec toutes les femmes ! Seulement, ils ont un privilège à défendre. Peu après mon arrivée, j’ai été invité dans une propriété béké au François. Ce n’était pas encore le Békéland... Ceux qui m’avaient invité étaient des gens très bien et leur raisonnement à mon égard fut le suivant : « Surtout ne vous donnez pas trop de mal. Le climat est difficile. La population n’a pas besoin de tellement d’écoles… » C’était simplement pour me dire de ne pas faire de zèle dans mon domaine.

Que faisiez-vous dans cette Martinique qui vous était encore inconnue ?

Le pays connaissait un accroissement démographique très rapide. Il fallait construire beaucoup de classes. Sans oublier, bien sûr, la gestion des personnels. Et ce n’était pas toujours très simple car il y avait des conflits même dans les communes éloignées. Pour moi, la Martinique, c’était avant tout le travail mais je parlais d’elle partout où j’allais. Par exemple, en 1957, j’ai été invité par le consul des Etats-Unis en Martinique à participer à un programme d’études. Pendant un mois, j’ai voyagé dans tous les Etats pour étudier le système scolaire américain et surtout le système de ségrégation. D’ailleurs, je suis citoyen d’honneur de la Nouvelle-Orléans. Par contre, les Français se foutaient complètement de la Martinique.

Alain-Plennel-6-hauteur-regard-a-gauche.jpgVous avez été le premier à présenter en public La Lézarde, le roman de Glissant. Vous le connaissiez déjà ?

A la fin de l’année 1958, alors que j’étais en convalescence à Paris, j’apprends que le Renaudot est attribué à Edouard Glissant. J’ai donné une conférence publique. J’en avais fait d’autres qui m’étaient demandées périodiquement, par exemple sur l’insurrection du sud en 1870 ou « Bretagne-Martinique : deux victimes du folklore ».

Comment avez-vous mené la construction d’écoles ?

C’était la chose la plus importante qui me conduisait à faire des inaugurations de classe tous les dimanches ! A côté, il y avait d’autres problèmes à régler, notamment la question des mutations que je négociais avec les organisations syndicales qui étaient très dures dans les commissions paritaires. Je me souviens de Lozon, un syndicaliste très compétent. Durant quatre ans, je me suis battu pour avoir des crédits… Je faisais comprendre aux instances parisiennes que le problème des Antilles était urgent. Par ailleurs, je participais à l’élaboration des manuels de géographie… Et voilà que tout cela s’arrête avec les événements de 1959…

Comment avez-vous vécu les premiers instants de ces émeutes ?

Alain-Plennel-8-serre-largeur-main.jpgIl y a d’abord eu le coup d’Etat de 1958 par De Gaulle. J’étais allé voir le préfet en lui disant que si réellement un régime autoritaire s’installait, je donnerais ma démission. Décembre 59 a été comme un coup de tonnerre. Tout était calme en Martinique et brusquement tout a bougé. Je ne l’ai su que le lendemain, quand j’ai circulé en voiture dans les rues. J’ai appris qu’il y avait eu trois morts dont le petit Marajo. Comme le dimanche suivant j’inaugurai une école au Morne-Rouge, j’ai fait un discours. Je n’ai rien dit de grave, comme l’atteste le rapport de la gendarmerie, j’ai fait simplement une comparaison entre les émeutiers de juillet 1830 et ceux de décembre 1959. J’avais utilisé la formule « les trois Glorieuses », c’est à dire la révélation d’une révolte de jeunes. C’est ce qui m’a été reproché. Mais je crois que j’étais visé. Louis Joxe, ministre de l’Education nationale m’a écrit une carte fin janvier 1960 pour m’exprimer sa sympathie, mais mes deux ennemis étaient Michel Debré et le préfet Parsi.

C’est donc le point de départ de votre éloignement de la Martinique ?

Effectivement ! Un représentant du procureur de la République est venu me voir. Après quoi, on m’a demandé d’aller en consultation avec ma hiérarchie en France où on m’a fait poireauter pendant 50 jours.  Pendant ce temps, en Martinique, il y avait beaucoup d’agitation pour me soutenir. Il y a eu une grève suivie à 90 %. La volonté de la Martinique était que je ne parte pas ; celle de l’Etat était de me rendre responsable du soulèvement de la jeunesse.

On vous accusait aussi d’être lié aux communistes ?

C’était faux. J’ai participé une seule fois à une réunion du parti communiste à Angers. Cette accusation montre à quel, les communistes n’étaient pas tolérés.

Alain-Plennel-10-serre-largeur-regard-a-gauche.jpgComment avez-vous vécu l’exil de la Martinique ?

Le jour même où j’ai décidé de désobéir, le ministère de l’Education nationale m’a trouvé un poste à l’Institut pédagogique national à Paris. J’étais en rogne, mais je faisais mon travail. Je suis resté en contact avec l’avocat Marcel Manville et d’autres militants. Et quand quelques personnes ont été condamnées dans l’affaire de l’OJAM, je suis allé les voir en prison. Certains en ont conclu que j’étais pour quelque chose dans l’OJAM…

Vous étiez dans la désobéissance ?

Oui, j’ai même tenté de revenir en Martinique en 1963 ; j’en ai été empêché par la police. J’y suis allé en passant par Londres, Antigua… Je n’ai pas pu passer la douane et j’ai été réexpédié à Sainte-Lucie. A la fin de l’année 1964, j’ai été invité à Alger pour un colloque. Sur place, le journal Révolution africaine m’a interrogé sur la Martinique. C’est à moment-là qu’on m'a révoqué. On a voulu m’envoyer comme professeur en province, j’ai refusé.

D’où votre long séjour en Algérie ?

Alain-Plennel-4-hauteur.jpgJ’y suis resté sept ans ; j’ai retrouvé les Antillais en rupture avec la France pendant la guerre d’Algérie : Daniel Boukman, Guy Cabord-Masson, Sony Rupaire, Roland Thésauros... J’enseignais, sous la tutelle de l’Etat algérien, à la faculté de droit et à l’école de journalisme. En 1968, j’ai été intégré dans le système français grâce à Stéphane Hessel qui était attaché culturel à l’ambassade de France à Alger. Ma situation matérielle s’est alors beaucoup améliorée mais l’arabisation de l’enseignement s’est accélérée et il y a eu beaucoup de départs. J’ai quitté à mon tour l’Algérie en 1972. J’ai déposé une candidature à la Sorbonne, le ministère s’y est opposé. Je me suis adressé à l’UNESCO, on m’a accueilli à bras ouverts. Mon premier poste a été l’Inde, puis la Côte-d’Ivoire.

Pour autant, vous étiez encore un proscrit ?

Les moments les plus difficiles ont été la période 1977-1982. Elle va de mon retour de Côte d’Ivoire à ma réintégration comme inspecteur d’académie. Entre les deux, j’ai travaillé comme conseiller à la formation à la Sorbonne. Je sentais une forte hostilité autour de moi. J’étais considéré comme un individu dangereux, un représentant des révoltes coloniales.

Qu’est-ce qui vous rattache à la Martinique ?

Le sentiment d’être chez moi. C’est ma deuxième patrie après la Bretagne. Mon slogan, c’est : « Le territoire avant la Nation. »

Que pensez-vous de l’avenir politique de la Martinique ?

Quand j’ai écrit un article sur la Martinique dans Les Temps modernes, je l’avais comparée à Barbade, toute aussi aisée. Dans ce cas-là, l’indépendance d’un pays n’est pas un frein. Actuellement, la Martinique est devenue un pays de consommation. C’est de cette façon qu’on tient un pays. Il s’est produit aussi un embourgeoisement. A mon avis, la richesse économique de la Martinique n’est pas du tout représentée. Le pays a besoin d’une grande autonomie. D’un autre côté, il y a tous les risques de l’indépendance. Il faut que ce soit une indépendance très pensée, très travaillée. Il ne faut pas que ça finisse comme avec Haïti : une indépendance magnifique mais un pays entier banni…

Propos recueillis par Adams Kwateh et FXG


Le rebelle

Alain-Plenel--en-Mq.jpg« Un singulier éducateur ». La formule vise Alain Plénel, l’administrateur qui eut pour tâche de développer la carte scolaire de la Martinique entre 1955 et 1960. Elle est signée Jean Parsi, préfet de la Martinique. En quoi le vice-recteur Plénel était-il singulier ? Parce qu’il avait émis l’idée de baptiser une école du morne-Rouge du nom de Christian Marajo, lycéen victime des forces de l’ordre lors des événements de Fort-de-France des 20, 21 et 22 décembre 1959. Une attitude qui lui coûtera sa carrière, coupée net par l’ordonnance Debré, qui signera son exil. Rien ne prédisposait pourtant ce haut fonctionnaire, fils de représentant de commerce breton, catholique et radical, à faire figure de subversif.

Le jeune Plénel a été formé chez les frères eudistes, à Rennes. C’est son époque « enfant de cœur et scout de France ». Quand il obtient son bac littéraire au lycée de Rennes en 1940, la France vit la débâcle, l’exode et l’irruption du maréchal… « Le peuple français était un peuple de froussard ! », s’emporte encore aujourd’hui Alain Plénel, que son père, poilu de 14-18, a élevé dans la haine du « Boche ». Il rompt alors avec le scoutisme et la religion : « Tout ce à quoi je croyais n’était que foutaise ! » S’il part se planquer en banlieue parisienne en 1942 pour échapper au Service du travail obligatoire, il pense pourtant être « un bon garçon, que la politique n’intéresse pas ».

inauguration-ecole-morne-rouge.jpgA la libération, une fois l’agrégation de géographie en poche, il est nommé à Alger, professeur au lycée Bugeaud où il va rester de 1946 à 1947. « C’était abominable, la séparation était totale ! », se souvient-il. Il enchaîne aussitôt après avec un séjour de deux ans aux Etats-Unis. L’étudiant, qui prépare une thèse sur les pêcheurs d’huîtres de la baie de Chesapeake, s’enflamme pour l’Amérique démocrate du new deal et de Roosevelt, mais découvre aussi la réalité de la ségrégation raciale, le maccarthysme... « Fallait choisir son camp dans le contexte de la guerre froide… » Il rentre ensuite à Nantes, et enseigne au lycée Clémenceau. Il se fait rapidement remarquer en participant à une manifestation contre le réarmement de l’Allemagne. Dès lors, Alain Plénel est soupçonné de sympathies communistes. Mais il n’a jamais adhéré à aucun parti. Tout juste admet-il avoir été « touché par les causeries radiophoniques de Pierre Mendès-France », le président du conseil qui met fin à la guerre d’Indochine en 1954. Reçu l’année suivante au concours des inspecteurs d’académie, il veut quitter Nantes et sa belle-famille bourgeoise. On lui propose l’Oubangui-Chari en Afrique équatoriale française. Finalement, ce sera la Martinique. Il n’a que 32 ans et on le met en garde : « C’est difficile la Martinique… » En avril 1955, le nouveau vice-recteur débarque du paquebot Colombie et, dès le lendemain, il est confronté à son premier conflit social... L’aventure martiniquaise commence. Elle s’achèvera en avril 1960, après les émeutes de Fort-de-France, « les trois glorieuses » comme il les qualifia, et l’ordonnance Debré qui l’éloignera définitivement des Antilles et de l’inspection académique.

C’est désormais un proscrit qui retourne vers Alger, puis, grâce à l’UNESCO, l’Inde et la Côte d’Ivoire... Alain Plénel mettra 25 ans avant d’obtenir de l’Etat réparation de sa carrière brisée un 27 décembre 1959 lors de l’inauguration d’une école au Morne Rouge. « Je n’ai pas tellement d’estime pour la France », lâche l’homme devenu nonagénaire et désormais établi à Lausanne. Ti punch en main, plongeant son regard clair dans le bleu des eaux froides du lac Léman, il songe à la baie de Fort-de-France et lâche : « Je rêverai d’une Martinique pratiquement indépendante… »

FXG (agence de presse GHM)


Alain Plénel est né en 1922, il est le père d'Edwy, directeur de Mediapart et de Gwenne, aujourd'hui décédée

-Son coup de cœur : La beauté de la civilisation tibétaine au Bhoutan

-Son coup de gueule : « On n’a pas encore mis fin à la domination béké »

-Son rêve : Une Martinique pratiquement indépendante

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D
<br /> Et la canonisation est pour quand?<br />
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T
<br /> "c’était un système qui avait besoin de main-d’œuvre quelle qu’elle soit."<br /> <br /> <br /> Ca m'étonne bien que les esclavagistes achetaient n'importe qui pour leurs productions.<br /> <br /> <br /> C'est là l'objectif du description orientée de l'esclavage, pour ne pas reconnaître "une réalité". Sinon on aurait amenés des "gueux"<br /> qui parlaient déjà Gaulois de France pour faire le travail.<br />
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