Jean-Marc Rosier et K éditions
Jean-Marc Rosier, enseignant et auteur (Noir Néons), a monté une société d’édition, K éditions. Il était présent au salon du livre de Paris pour présenter un ouvrage collectif, O Ayiti. Interview avec un amoureux des livres et chef d’entreprise.
« Quand on a affaire à un best-seller, le tirage de départ est toujours de 300 »
Comment a commencé l’aventure de K éditions ?
C’est l’amour que je ressens pour le livre qui m’a conduit et à l’écriture et à l’édition. Je suis un self made man parce que j’ai d’abord observé avant de tenter de le faire par imitation.
Quels sont les choix de K éditions ?
C’est une maison à vocation généraliste. Mes choix sont dictés par la connaissance intime que j’ai du livre. Je sais ce que c’est qu’un bon roman, un bon auteur. Quand je reçois des manuscrits, je reconnais l’écrivain. Je reçois beaucoup de manuscrits, pas seulement de la Martinique, mais de l’Algérie, de la France ou de pays francophones, et j’en refuse également beaucoup. Je publie des textes relatifs à l’histoire de la Martinique mais aussi à la micro-histoire, des biographies d’hommes célèbres comme Georges Gratiant, Henri Lémery, Camille Darsière… On a publié récemment Frantz Fanon, l’héritage. Nos choix sont toujours dictés par l’impératif du livre sérieux, du beau livre, du livre qu’il faut donner à lire parce que c’est une nourriture.
D’un point de vue économique, comment une petite maison d’édition comme la vôtre parvient à survivre dans un monde du livre fragilisé ?
Nous n’avons pas les mêmes ambitions que les maisons nationales. Nous ne sommes pas dans une logique mercantile. Ce qui nous intéresse dans notre écosystème martiniquais où le livre n’a pas une très longue histoire, tout est à faire. Les moyens que nous mettons en œuvre sont proportionnels à la tâche. Je fais donc de la microédition ; je ne vais pas saturer le marché avec des milliers de livres qui ne seront jamais vendus, j’en fais au compte-gouttes, minimum 300 – 500… Quand on a affaire à un best-seller, c’est-à-dire quand ça dépasse les 6 000 exemplaires, le tirage de départ est toujours de 300. Ce qui permet de recouvrer son investissement et de pouvoir lancer un nouveau titre.
Combien coûte un livre ?
Il y a l’investissement humain parce qu’il faut prendre le temps de lire, de corriger… Il faut être patient, ça peut prendre de six mois à deux ans avant d’être publié comme pour le livre sur Haïti dont tous les bénéfices sont reversés à Haïti via la Fondation de France. On est ensuite distribué sur la Guadeloupe, la Martinique ; on a un site internet pour la vente en ligne et nous distribuons également via certaines librairies nationales comme présence africaine, L’harmattan, Présence africaine, Orphie…
Quelle réception font les professionnels de l’édition, les critiques littéraires à votre travail ?
Nous sommes trop petits pour qu’on s’intéresse à nous mais, en Martinique, je pense que la maison a acquis ses lettres de noblesse. Les gens ne lisent pas moins qu’avant, mais le livre classique est peut-être moins lu, et comme en Martinique on publie des livres classiques, les maisons d’édition périclitent.
Qu’est-ce que les gens lisent ?
Musso ou Lévy que proposent les éditions XO, Robert Lafont, ou Jean-Christophe Grangé chez Albin Michel. Je ne crois pas que nous ayons ce type de livres en Martinique…
Considérez-vous qu’il s’agisse de littérature ?
Non. Mais pourtant Chamoiseau n’est pas lu à la Martinique. Les gens achètent Chamoiseau par réflexe mais je ne crois pas qu’il soit lu.
Croyez-vous qu’on lise aussi Césaire ?
Je ne pense pas non plus. On achète Césaire parce que c’est joli dans la bibliothèque mais rares sont ceux qui prennent le temps de le lire.
Vous-même avez publié chez Jean-Paul Bertrand, une maison d’édition nationale, Noirs néons. Comment a-t-il été reçu ?
C’est un livre qui a été nominé dans plusieurs prix littéraire et pour autant, à la Martinique, sa réception a été plutôt froide ; le public n’a pas rencontré le livre. C’est un livre qui n’est pas difficile à lire mais il faut y entrer. J’ai voulu une rupture tellement radicale que j’en ai oublié le lecteur. Le prochain ne sera pas pareil parce c’est une question de nécessité. Il sera plus classique dans la langue, presque une langue du 19e, académique. Pour ce qui est de la trame par contre, on est encore dans du nouveau ! Je suis en train d’achever de le rédiger mais c’est trop tôt pour en parler.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)