Joséphine de Beauharnais n'est pas née en Martinique mais à Sainte-Lucie
Une révélation historique concaincante
« Joséphine de Beauharnais est bel et bien native de Sainte-Lucie »
« Les craintes économiques de la Martinique à la fin de l’esclavage en 1848 combinées à l’accès au pouvoir de Napoléon III engendrent la nécessité réciproque de tricher sur la réalité historique de l’origine de Joséphine. » L’historienne britannique Suzannah England-Ancey vient d’aboutir des recherches dont les conclusions démontrent que Joséphine de Beauharnais (1863-1814), première épouse de Napoléon 1er et grand-mère de Napoléon III, est née à Sainte-Lucie et non à la Martinique comme communément admis. Cette révélation doit faire l’objet de l’édition d’un livre à la fin de l’année 2014, centenaire de sa mort.
Un entrepreneur hôtelier de Sainte-Lucie, s’estimant propriétaire des droits d’auteur, veut interdire la publication.
FXG, à Paris
La thèse : Née à la Causette, Paix-Bouche, Carenage, Sainte-Lucie
« Il y avait quelques écrits qui permettaient de donner corps à ce qui n’était qu’une croyance populaire, un savoir local », raconte l’historienne Suzannah England-Ancey. Le premier est d’un avocat britannique, John Jeremy, envoyé à Sainte-lucie de 1825 à 1831 pour réécrire le droit saint-lucien apres la rétrocession de l’île par la France en 1814. Il ecrit en 1831 : « J’ai visité le lieu de naissance de Joséphine… » Il cite un certain Louis-Isaac Martin-Raphaël, beau père du frère de Romain Juge procureur general de Sainte-Lucie. Martin-Raphaël est un ami d’enfance de Joséphine et cette derniere l’a recu ultérieurement à la Malmaison. Martin-Raphaël dit qu’il a rencontré dans le sud de l’île, un an avant sa mort, une Marie-Josèphe Rual de Lomel, contemporaine de la mère de Joséphine. Elle lui aurait dit : « Oh, Joséphine ! Elle n’a fait que naître à Sainte-Lucie. »
Le deuxième écrit est d’Henry Breen, un Irlandais qui sera maire de Castries puis gouverneur de Sainte-Lucie. Il publie ceci en 1851 : « J’ai rencontré une vieille dame de couleur, Mme Dédé qui travaille pour le procureur general. Elle a vu naître Joséphine. » Suzanne England-Ancey est parvenue à retrouver sa trace dans les registres des esclaves instaurés depuis l’abolition de la traite. Une certaine Madelon Dédié correspond à cette Dédé, esclave africaine, du point de vue de l’âge et du lieu de résidence qui est l’habitation de l’oncle de Joséphine à Gros-Ilet.
Le troisième document est d’un prêtre de Gros-Ilet, Dom Daviot. En 1802, il écrit à un ami à Vesoul en France : « La femme du premier consul a vu le jour dans la paroisse qui avoisine la mienne. » Il ajoute en post-scriptum : « Le cousin germain de Joséphine me quitte à l’instant et a lu cette lettre. » Une forme d’attestation d’époque, selon les chercheurs. Ce cousin, c’est Thomas Naçaburu dont la famille est issue du pays basque. Il vivait à Sainte-Lucie au moment où ecrit Dom Daviot et appartenait au conseil de sa paroisse. En 1893, un prêtre de Castries, Louis Tapon, de la congrégation de Marie Immaculée, ouvre Univers, un journal catholique parisien, et découvre, la lettre de Dom Daviot. Il la fait traduire en anglais et publier dans The voice of Sainte-Lucie.
Ainsi, au fil de leurs recherches, Robert Devaux et SuzannahEngland-Ancey établissent que Joséphine est née à l’habitation Causette, paroisse du Carénage, au lieu-dit Paix-Bouche. Complétant leur travail par des recherches cartographiques, généalogiques, des fouilles dans les actes notariés dans toute la Caraibe, les deux historiens sainte-luciens parviennent à établir que les Tascher sont arrivés à Sainte-Lucie en février 1763, et ont acquis la Causette et ses terres avant la naissance de Joséphine en juin 1763. La vente de la propriété a été réalisée en 1778 pour couvrir les frais de mariage de Joséphine avec le vicomte Alexandre de Beauharnais, le jour de la sainte Lucie ! Les ruines de l’habitation se dressent toujours sur un morne, derrière Castries, autrefois nommée Carénage.
Joséphine martiniquaise, « une manipulation coloniale »
Joséphine est, de notoriété publique, née en Martinique. « La seule documentation faisant mention de l’enfant Joséphine dont nous disposons est un acte de baptême du 27 juillet 1763 », assure Mme England-Ancey. Signée du frère Emmanuel Capucin, curé de la paroisse des Trois-Ilets, cette archive mentionne : « Aujourd’hui, 27 juillet 1763, j’ay baptisé une fille de cinq semaines (sic, en fait cinq mois, NDLR) née du légitime mariage de Messire Joseph Gaspard de Tascher, chevalier Seigneur de la Pagerie, lieutenant d’artillerie réformé, et de Mme Marie-Rose des Vergers de Sanois, ses père et mère. Elle a été nommée Marie-Joseph Rose… »
Meme si à l’époque, nombres de couples ayant émigré à Sainte-Lucie faisaient volontiers les cinq heures de traversée pour baptiser leur enfant en Martinique où ils choisissaient des parrains, ce texte est à l’origine du mythe de la naissance martiniquaise de l’impératrice. « Pourquoi ? Qui, quand, comment a été détournée la vérité historique ? », interroge Suzannah England-Ancey. L’affaire a de multiples causes. Il y a d’abord l’amélioration du sort des esclaves de Sainte-Lucie qui va gâter l’image de l’île auprès des esclavagistes martiniquais. L’avocat John Jeremy va contribuer à préparer l’abolition de 1834 en créant notamment la fonction de protecteur des esclaves. Ce fonctionnaire saint-lucien de passage à Saint-Pierre sera blessé lors d’un duel, victime de provocations de neuf planteurs martiniquais. Il est vrai que les esclaves échappés de Martinique deviennent libres à Sainte-Lucie qui refuse de les rendre… Les Martiniquais instaurent en représailles un embargo maritime sur Sainte-Lucie, créant un différent diplomatique malvenu entre Paris et Londres.
Mais c’est un événement plus mondain, en 1837, qui va contribuer à donner du sens à la naissance martiniquaise de Joséphine, la mort de la reine de Hollande, Hortense, fille de Joséphine, dans les bras de son fils, le futur Napoléon III. La nouvelle est publiée en Martinique. Trois semaines plus tard, un journal martiniquais affiche en Une un appel à souscription pour ériger un monument à « Joséphine, créole des Trois-Ilets ». Louis-Napoléon Bonaparte vient d’échouer dans une tentative de coup d’Etat. Le journal a-t-il fait un coup médiatique, un buzz ? Est-ce une démarche oportuniste en cas d’accession du descendant de l’empereur au pouvoir ? La campagne de souscription ne rapporte guère… Décembre 1851, le coup d’Etat, réussi cette fois, du président de la IIe République, relance cette volonté de lier Joséphine à la Martinique afin de lui attirer les bonnes grâces du nouvel empereur. C’est à ce moment, en avril 1852, que M. Breen, alors maire de Castries, publie l’article où il mentionne Mme Dédé, nounou de l’impératrice. Quatre mois plus tard, la Martinique réagit : un article de presse affirme que Joséphine est née en Martinique. Meme si l’article n’apporte aucune preuve, l’idée fait son chemin dans l’imaginaire martiniquais, jusqu’au jour de l’inauguration de la statue de l’impératrice, en août 1856. Trois jours de festivité sont donnés. Le maire de Castries est invité, il est depuis gouverneur de Sainte-lucie. Les autorités de la Martinique le placent protocolairement devant le gouverneur de la Guadeloupe. Henry Breen est piégé. Son superieur, le gouverneur de la Barbade lui a demandé de ne pas faire de vague. Breen a réfléchi un mois avant de se décider à y aller et de ne rien dire… Dans son rapport aux autorités de la Barbade et de Londres, il explique la thèse martiniquaise. L’affaire est close, Londres ne veut pas d’ennui avec la France. Napoléon III pense que sa grand-mère est martiniquaise…
« L’histoire de Joséphine est une histoire coloniale française, dans laquelle de nombreux protagonistes montrent un sens de fierté nationale exacerbée, que ce soit envers la Martinique ou envers Sainte-Lucie », constate Suzannah England-Ancey qui conclut ainsi : « Joséphine fait allégeance aux deux. »
Les auteurs de la découverte
Suzannah England-Ancey est une historienne formée aux universités de Kingston en Jamaïque et de Cambridge en Angleterre. Elle est titulaire d’un doctorat en archéologie historique. Elle est arrivée à l’âge de 6 mois à la Barbade avant d’arriver, à 3 ans et demi, à Sainte-Lucie. Elle y a passé toute sa vie, même si elle vit aujourd’hui en France. Elle a travaillé avec un historien issu d’une famille sainte-lucienne depuis 1745, Robert J. Devaux (1934- 2013). C’est lui qui, dès l’enfance, au contact d’un compatriote, l’historien Tom Ferguson ((1876-1953), et se basant sur la tradition orale populaire de son pays, a creusé la piste de la naissance sainte-lucienne de l’impératrice Joséphine.
Pressions et menaces
Suzannah England-Ancey vient de recevoir une lettre du cabinet d’avocats sainte-luciens, Fleming, au nom d’un puissant hôtelier de l’île, Nick Troubetzkoy, lui interdisant de publier quoi que ce soit sur les recherches qu’elle a menées avec Robert Devaux. Il argue d’un contrat signé en 1999 avec les deux auteurs qu’il aurait ainsi financés. Suzannah England-Ancey ne conteste pas ce contrat : « Nous avons signé pour faire des recherches sur son domaine hôtelier, pas sur Joséphine. Il a ajouté une clause, un an plus tard, spécifiant qu’il détenait tous les droits d’auteur sur les recherches concernant ses deux habitations. » Le contrat s’intitule « The Anse Mamin Heritage Interpretation Project ». Selon l’historienne, un autre contrat devait être signé pour d’autres financements, mais ça n’a jamais ete concrétisé. « J’ai un devoir moral envers Robert Devaux et envers Sainte-Lucie, avance Suzannah England-Ancey décidée. Je vis en France, je publie en France sous droit français. » Elle sait que sa fille fait l’objet de menaces à Sainte-Lucie ; les avocats de M. Troubetzkoy lui ont encore adressé deux nouvelles lettres, de pures injonctions. Elle reçoit des appels d’inconnus à l’accent américain subitement intéressés par l’histoire de Sainte-Lucie…
Le livre et ses quinze chapitres devraient sortir vers la fin de l’année chez un éditeur français en langue anglaise. La traduction française reste à écrire.
La tête de Joséphine
La statue de Joséphine à Fort-de-France a été inaugurée le 29 août 1856. Elle mesure approximativement de 5 mètres de haut. Elle a trôné ainsi plus d'un siècle au centre du parc de la Savane, avant d'être reléguée dans un de ses recoins sur ordre du maire de Fort-de-France, Aimé Césaire en 1974. En Septembre 1991, la statue a été décapitée, rappelant le sort de la guillotine auquel elle échappa. Certains Martiniquais voient en elle une illustre ancêtre née dans l'île (ils vont déchanter avec ce travail) ; d'autres voient celle qui aurait conseillé à Napoléon Bonaparte de rétablir l'esclavage en 1802 alors que ce système avait été aboli par la Révolution Française en 1794.
La tete de Joséphine, selon le Martiniquais Jean Pierre Osenat, commissaire-priseur parisien, serait dans une caisse entreposée dans un bâtiment municipal de Fort-de-France.