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Publié par fxg

Bernard Pons, le 24 avril 2018, chez lui à Aigues-Mortes (Photo FXG)

Bernard Pons, le 24 avril 2018, chez lui à Aigues-Mortes (Photo FXG)

Grand entretien

Bernard Pons, l'ancien ministre de l'Outre-mer du gouvernement de Jacques Chirac (1986-1988), vient de publier ses mémoires (Aucun combat n'est jamais perdu, aux éditions de l'Archipel). Âgé aujourd'hui de 92 ans, il est l'un des derniers barons de Jacques Chirac qu'il a accompagné de 1967 à 2001.

"Je crois qu'une large autonomie est la formule la plus intelligente"

C'est le voisinage de Georges Pompidou qui vous fait entrer en politique alors que vous étiez médecin de campagne dans le Lot avec un passé de jeune Résistant. Comment s'est faite cette première et décisive rencontre ?

J'étais médecin dans le lot et c'est là que j'ai connu Georges Pompidou par l'intermédiaire du maire de Cajarc où il avait une résidence secondaire et où il était conseiller municipal. Et mon ami Murat qui était maire de Cajarc avait organisé un déjeuner chez lui. A la fin du repas,  Georges Pompidou m'a demandé de l'accompagner et nous nous sommes promenés pendant une demi-heure à peu près. Il m'a posé des tas de question et quand j'ai quitté, j'ai senti que ça avait presque été un examen de passage. Et quand quelque temps plus tard,  j'ai été invité a rencontré Jean Charbonnel qui était ministre de la coopération,  et Jacques Chirac qui était conseiller auprès du premier ministre pour me parler des élections législatives de 1967 dans le Lot, j'ai compris que j'avais réussi mon examen de passage.

Et pourtant, vous n'étiez candidat à rien à ce moment-là ?

Non, à rien du tout ! Et d'ailleurs, le fait de me proposer d'être candidat dans le nord du département, à Figeac, alors que moi j'habitais dans le sud, me paraissait une hérésie, absurde... Je n'avais aucune chance de gagner. C'est là que Chirac m'a dit : « Mais Pompidou est persuadé que tu es le meilleur candidat,  d'abord parce que tu as été dans la Résistance, tu as été dans les FTP, c'est un atout considérable, tu es médecin, tu es gaulliste, donc tu as un certain nombre d'atouts et en plus Pompidou viendra faire campagne pour toi. » Et effectivement, il a tenu parole et c'est comme ça qu'est née une très grande amitié entre lui et moi...

Et avec Jacques Chirac ?

Sur tous les jeunes loups que présentait Georges Pompidou, nous avons été seulement deux à être élus, Jacques Chirac en Corrèze et moi dans le Lot. Et à partir de là est née une amitié qui a duré pratiquement 40 ans.

Comment s'est faite votre première rencontre avec l'Outre-mer ?

En 1968, Georges Pompidou m'a posé une question : "Bernard, est-ce que vous connaissez l'outre-mer ?" Je lui réponds : "Non, pas du tout." Il me déclare : "Vous êtes l'homme qu'il me faut." Il avait en tête de préparer les élections présidentielles qu'il voyait venir après le référendum de 1969 qu'il sentait déjà perdu et il voulait qu'on lui fasse un rapport sur la situation d'au moins deux départements d'Outre-mer, la Martinique et la Guadeloupe.

Vous découvrez la Guadeloupe au lendemain du drame de mai 1967... Qu'en avez-vous su alors ?

Pas grand-chose... J'avais bien vu l'ampleur et l'extrême gravité des événements, mais la version officielle était minorée et la version syndicale était un peu exagérée. Il fallait absolument que j'aille sur le lieu même du drame et que je prenne contact avec des syndicalistes qui avaient participé ou qui connaissait le drame... Ils étaient très traumatisés... Le préfet Deleplanque qui était un homme habile avait bien essayé d'établir des contacts, mais en quelque sorte, c'est moi qui ai établi le premier contact. Ce qui m'a frappé, c'est que c'étaient des hommes extrêmement simples qui n'avaient pas fait d'études supérieures, c'était du brut de décoffrage, mais la qualité de leur accueil, la qualité de leur élocution m'ont surpris et j'ai alors connu la dialectique antillaise qui est vive, rapide, colorée, mais très précise. A partir de cet entretien, dans mon rapport que j'ai remis à Pompidou, j'avais bien évoqué ce drame, l'analyse qu'ils en faisaient et les conséquences qu'il fallait en tirer.

La commission Stora a rendu ses travaux sur ces événements et a établi que le préfet Bolotte et le procureur général avait fait une véritable paranoïa sur le GONG qui était en fait un groupuscule pas très dangereux. Or, depuis 1966, la Guadeloupe était devenu un relais stratégique pour la France et sa politique de défense nucléaire puisqu'elle était devenue l'escale entre Paris et Mururoa...

A l'époque, c'était une grande noria, importante !

Ce fameux week-end de la fête des mères 1967, un KC 135 de la force aérienne stratégique était en escale au Raizet. Cela a-t-il pu favorisé cette paranoïa ?

Ca a pu provoquer une certaine tension auprès préfet et du procureur...

Et de Jacques Foccart... Le ministre de l'Outre-mer, Pierre Billotte était totalement absent...

Totalement.

C'est Foccart qui a tout piloté depuis l'Elysée...

C'était l'époque et il ne dérogeait pas à la règle générale

C'est peu avant votre prise de fonction comme ministre de l'Outre-mer en 1986 que votre prédécesseur George Lemoine a avancé le chiffre de 87 morts pour les événements de 1967...

J'ai toujours dit que le chiffre avait été gonflé... La préfecture avait certainement minoré le nombre de morts... Je sais que d'un côté ils ont minoré et que de l'autre ils ont exagéré. Mais je suis incapable de vous dire le nombre de morts... Mais enfin, quel que soit ce nombre, ce fut quand même un drame épouvantable, une tragédie.

Quelle Martinique découvrez-vous ensuite ?

Après la Guadeloupe, je découvre la Martinique et entre les deux, j'ai véritablement un coup de coeur pour l'outre-mer... Et je réalise aussi bien en Guadeloupe qu'en Martinique, l'état de retard de ces deux départements français. Les infrastructures étaient balbutiantes... Pour aller du nord au sud, il fallait emprunter des routes impossibles. La rocade de Fort-de-France n'existait pas... J'avais une vision... Mon rapport pour Georges Pompidou démontrait qu'il fallait que lui prenne en main la responsabilité de l'Outre-mer, que même si dans le futur gouvernement, il nommait un ministre de l'Outre-mer, il fallait qu'il y accorde un intérêt particulier. Il m'a entendu puisqu'il nommera finalement Pierre Messmer ministre d'Etat chargé des DOM-TOM.

Pourtant Pompidou n'a pas réellement marqué beaucoup d'intérêt pour l'Outre-mer une fois à l'Elysée. Pourquoi ?

Il avait d'autres préoccupations, des préoccupations économiques majeures. Il a lancé la dévaluation massive du franc de 12,5 % et il avait le problème de l'industrialisation de la France. Il a eu d'autres priorités ; il n'a pas donné tout ce qu'il aurait pu et très vite, il a été touché par la maladie...

Cela va vous éloigner de l'Outre-mer jusqu'aux années 1980. Comment y revenez-vous ?

J'ai d'abord accompagné Jacques Chirac en Guyane pour la campagne présidentielle de 1981. Chirac était malade comme un chien à la suite de la réunion qu'il avait tenue à Cayenne. Il avait promis d'aller à Saint-Georges de l'Oyapock et il m'a envoyé le représenter. J'y suis allé accompagné d'Alain Marleix et Jacques Chirac a obtenu 90 % des suffrages dans cette commune.

Qu'est-ce qui vous prédispose à devenir ministre de l'Outre-mer en 1986 ?

J'ai quitté le secrétariat général du RPR que j'occupais depuis 1979 en 1984. Chirac m'a installé au boulevard des Invalides pour m'occuper de l'Outre-mer A ce moment-là, la priorité, c'est le Pacifique et la Nouvelle-Calédonie. Je suis dans l'opposition, je reçois toutes les informations qui nous sont données par nos élus dans les collectivités locales ou au Parlement et je les communique à Jacques Chirac qui prépare les législatives de 1986.

Vous rencontrez alors Lucette Michaux-Chevry qui sera votre collègue au gouvernement... Quel genre de femme est-elle alors ?

La dame de fer ! Lucette est une fille extraordinaire, d'abord avocat de profession, une oratrice de talent, une guadeloupéenne à part entière, un franc-parler, un culot monstre, mais un coeur énorme ! Voilà comment je peux la décrire...

En Martinique, vous êtes liés à Emile Maurice qui préside alors le conseil général...

Emile Maurice, c'était le sage. Il était issu de l'enseignement et parmi tous les hommes politiques locaux que j'ai rencontrés, c'est celui qui m'a le plus impressionné par sa modestie, son travail, sa modération. C'est moi qui ai prononcé son éloge funèbre à la place de Jacques Chirac. Le sénateur Valcin était un excellent juriste et j'avais avec lui d'excellentes relations comme avec Camille Petit, le député qui était médecin comme moi. Mais quand Emile Maurice prenait la parole, il était digne de crédit.

Vous souvenez-vous de Michel Renard, dit le sheriff ?

Michel était maire du Marigot. Ancien communiste, il a été assez longtemps le secrétaire départemental du RPR. C'était un grand type, la grande gueule qui se présentait aux élections municipales contre Césaire à Fort-de-France. Il avait ses gardes du corps, Césaire avait les siens et ça faisait des affrontements musclés que Michel adorait raconter !

Quels étaient vos rapport avec Aimé Césaire ?

Bien qu'adversaires politiques, nous avons toujours eu des rapports extrêmement courtois. Il m'a beaucoup aidé pour la loi de défiscalisation et la loi programme. J'arrivais à avoir avec lui un dialogue constructif. Césaire était un homme engagé sur le plan culturel avec la négritude, mais sur le plan économique et social, il était prêt à discuter avec des  responsables politiques qui n'étaient pas de son bord, ce qui était mon cas.

Césaire vous a-t-il impressionné ?

Il est né à Basse-Pointe, ce tout petit village au sud de la Dominique, dans un océan toujours agité... Sortir de ce petit village pour faire naître et devenir l'homme de culture mondial que représente Césaire, il a fallu une volonté personnelle ! Pour lui, aucun combat n'était jamais perdu... Et il était d'une modestie et d'une simplicité déconcertante.

Aimé Césaire a reçu Nicolas Sarkozy dans son petit bureau de Fort-de-France en 2006 et lui a donné pendant près d'une heure un véritable cours sur le colonialisme après l'affaire de la loi sur la  colonisation positive...

Nicolas et le colonialisme (sourires)... Nicolas a toujours d'énormes qualités, mais il a les défauts de ses qualités et la patience n'est pas son fort et l'était encore moins quand il était président de la République...

Le président Sarkozy a cru qu'il suffisait d'invoquer le nom de Césaire pour faire une politique en Outre-mer...

La fille de Lucette, Marie-Luce Penchard n'avait pas le tempérament de Michaux-Chevry, sa mère et je crois qu'elle ne connaissait pas l'outre-mer. Depuis que je m'intéresse à l'Outre-mer, je n'ai pas vu de gens qui paraissent avoir une fibre. J'ai vu de bons administrateurs qui restait plus souvent à Paris qu'en Outre-mer...

Cinq ministres originaires d'outre-mer se sont succédés rue Oudinot depuis 2009. Comment les avez-vous trouvés ?

Je ne peux pas dire qu'ils ont apporté ce qu'on était en droit d'attendre d'hommes et de femmes issus de l'Outre-mer qui par principe auraient du s'impliquer plus fortement. Ils ont suivi les dossiers. Ils ont fait preuve de plus de suivisme que d'initiatives. A aucun moment, je n'ai vu un projet... Je pense au logement social, à la précarité...

Considérez-vous que le président Macron a une vision pour l'Outre-mer ?

J'ai trouvé son discours de Cayenne intéressant. Pour un homme qui n'avait aucune raison de s'intéresser particulièrement à l'outre-mer, c'est le premier après Jacques Chirac qui a une vision positive et active de l'Outre-mer. Il veut faire de l'Outre-mer un acteur et non pas un assisté, c'est cela qui me paraît intéressant.

Quel était le lien du président Mitterrand avec l'Outre-mer ?

Il n'avait pas une attirance tellement grande... Intellectuellement non... Je raconte le voyage à Saint-Pierre-et-Miquelon, mais Saint-Pierre-et-Miquelon, c'est à part, ce n'est pas du tout l'Outre-mer tel que nous le connaissons, c'est une exception, une particularité dans l'outre-mer

Jacques Chirac a-t-il été le premier président à avoir une vraie affinité avec l'Outre-mer ?

Dès qu'il m'a confié en 1984 le dossier de l'Outre-mer, Chirac m'a demandé de m'y impliquer totalement. Il savait ce que m'avait demandé Pompidou en 1968, il connaissait mon intérêt et m'a assuré de son soutien "par tous les moyens". Il voulait que je sois ministre d'Etat à l'Outre-mer et c'est Balladur qui s'y est opposé, voulant être le seul ministre d'Etat du gouvernement... Ce qui m'importait, c'était qu'il me soutienne vis-à-vis du budget et que je puisse faire la défiscalisation et la loi programme. On a depuis critiqué la défiscalisation, mais personne ne l'a abrogée.

A suivre...

Propos recueillis par FXG, à Aigues-Mortes

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