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Publié par fxg

Bernard Pons se livre dans ses mémoires - partie 2

Grand entretien (suite)

Bernard Pons, l'un des derniers barons de la Chiraquie se confie...

"C'était tellement commode aux autres, à Chirac, à Balladur, à Pasqua..."

Quand vous avez lancé la défiscalisation en 1986, vous dites : "Faisons de l'Outre-mer la Suisse des Caraïbes !"

J'ai même été plus loin ! J'avais proposé que l'on crée un système fiscal avantageux pour les dépôts bancaires en Outre-mer, pour que l'on crée non pas des paradis fiscaux mais enfin... presque. Et là, j'ai été retoqué. Chirac m'a dit que je rêvais !

Cette année 1986, Camille Darsière a célébré le mariage de votre fille. Que retenez-vous de cet homme ?

Il était un des piliers du PPM et un pilier dur. Juriste, il était très engagé et ne faisait pas de cadeau aux autres formations politiques. Avec Emile Maurice, il ne filait pas l'amour parfait, même à l'intérieur du PPM où il y avait souvent des bagarres. Il était le patron et il entendait le rester ! Avec moi, les premiers contacts ont été difficiles et puis, nous avons fini par nous accommoder l'un de l'autre. Il a fait un geste en acceptant de célébrer le mariage de ma fille avec Alex Ursulet.

Vous avez du revenir souvent pour expliquer la défiscalisation...

Je voulais surtout expliquer la loi programme aux parlementaires et aux élus locaux. Cette loi programme, on n'en parle pas beaucoup, mais elle a été formidable, elle a été un booster parce qu'elle a apporté des crédits considérables, des crédits d'Etat. Malheureusement, ça a été arrêté après et l'Etat s'est considérablement désengagé de l'Outre-mer. La situation actuelle à Mayotte et en Guyane en est l'image même !

La Guyane en 2017 et Mayotte en 2018...

A Mayotte, c'est un problème d'immigration, mais d'immigration massive ! Alors moi je crois que tant qu'on n'aura pas rétabli des liens beaucoup plus étroits avec les Comores on n'arrivera pas à grand-chose à Mayotte.  Il ne faut pas les traités par le mépris d'autant plus que le président est un francophone qui a fait ses études à Lyon. Donc rien ne s'oppose à ce que nous mettions un peu dans dans notre vin pour nos relations bilatérales avec les Comores. En deuxième lieu, il faut complètement revoir les infrastructures de Mayotte et revoir aussi la capacité en personnels de sécurité, de santé et sociaux...

En 1986, vous avez permis la rentabilité de la liaison maritime de la CGM avec les Antilles au cours d'une réunion avec Marcel Fabre, Jacques Saadé et les frère Guy et Bernard Hayot. Quel genre d'hommes avez-vous vu dans les frères Hayot ?

Ce sont des mammouths ! Ce sont des hommes qui ont trouvé, quand ils sont arrivés aux affaires, une structure présente, mais qui l'ont développée d'une façon intelligente et moderne. Bernard Hayot qui est présent dans le monde entier reste un Martiniquais de coeur, attaché à sa commune du François, et tout ce qui touche à la Martinique le touche personnellement. Il y a quelques jours encore, il a fait une déclaration sur la faiblesse de la détermination des responsables politiques de la Martinique sur le plan économique par rapport aux autres !

Vous connaissez bien aussi le patron de la banane de Guadeloupe et Martinique, Eric de Lucy...

Il a déjà sauvé la banane antillaise alors qu'elle était moribonde et il est en train de réussir une opération en Afrique qui est absolument stupéfiante ! Plus de 5000 hectares de bananes vont être plantées au Cameroun avec un système de mise en container sur place, d'évacuation sur les navires... Tout est organisé, c'est remarquable ! Eric de Lucy est quelqu'un qui est imposant par sa connaissance de l'Outre-mer, des Antilles en particulier, et par sa connaissance des circuits commerciaux.

Que pensez-vous d'Alfred Marie-Jeanne ?

J'ai toujours eu de très bons rapports avec Alfred Marie-Jeanne. C'est un indépendantiste qui est plus autonomiste qu'indépendantiste et, surtout, c'est un homme non violent. Il est extrêmement intelligent, pointu. Sa maîtrise du créole laisse rêveur. Il connaît presque chaque habitant de la Martinique et il connaît toute la lignée de la famille ! Alfred Marie-Jeanne est porteur de l'histoire de la Martinique !

Il a su faire un accord avec vos amis politiques dont Yann Monplaisir...

Cela montre l'intelligence des deux. Ils avaient affaire à un gros morceau, Serge Létchimy, qui était un des poulains de Césaire et qui semblait déjà tenir en main toutes les structures politiques de la Martinique, c'est-à-dire la Région, la capitale et le département. Et puis, tout d'un coup, cette alliance a surpris tout le monde, moi-même en particulier. Une alliance extrêmement intelligente si elle débouche sur une dynamique économique et sociale plus grande. Or, je sens que depuis le démarrage, il y a des frictions, des freinages et qu'ils n'arrivent pas à donner ce qui répondrait à l'espoir qui les a fait élire. L'heure de vérité est venue pour eux ! Il faut qu'ils se reprennent. Il y a un problème de logement social, d'insalubrité, de précarité... Regardez Fort-de-France à partir de 21 heures... Il n'y a rien ! C'est une ville endormie... Et, globalement, la Martinique est aussi endormie sur le plan économique.

Autre personnalité dont vous avez été proche, c'est Gaston Flosse en Polynésie...

C'est un cas particulier. Il vient de perdre à nouveau au premier tour des élections territoriales... Gaston est un cas, c'est un Polynésien dans l'âme, il maîtrise toutes les langues vernaculaires de tous les atolls de Polynésie. Il est la Polynésie et la Polynésie, c'est lui ! Il s'est totalement identifié à ce pays et il a le sentiment que rien ne peut marcher sans lui. Mais l'âge est là. Moi, je me suis rendu compte de mon âge à 75 ans ; il en a 85 passés. Il devrait peut-être ouvrir les yeux...

Oscar Temaru n'est pas tellement plus jeune...

Non, mais on voit aussi le résultat qu'a fait Oscar... Ce n'est pas brillant. C'est sans doute un des plus mauvais résultat qu'il ait enregistré depuis longtemps !

Que pensez-vous de son combat pour l'indépendance de la Polynésie ?

Je ne me mets pas à la place des autres ; ce sont eux qui décident, qui choisissent. Ce que je dis, c'est que l'outre-mer est une chance pour la France, mais la France et l'Europe sont une chance pour l'Outre-mer. Et aujourd'hui où il y a de grands ensembles qui se conjuguent ou qui s'affrontent, je crois qu'il est capital que ces départements, ces territoires réfléchissent bien à leur avenir et celui de leurs enfants. Je crois qu'une large autonomie, comme celle dont bénéficient la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie et dont bénéficient de plus en plus les départements d'outre-mer, est la meilleure formule, la plus intelligente. Il faut aussi que les Métropolitains se rendent compte qu'ils ont intérêts à porter un regard bienveillant sur l'Outre-mer parce que c'est la présence de la France dans le monde. Le Pacifique devient au XXIe siècle, la première mer du monde, et déjà que la Chine développe des tentacules sur le Vanuatu. Il faut faire attention ! Donc la présence française est capitale. Pour la conquête spatiale, la présence française sur les deux hémisphères est un élément de plus pour la conquête spatiale européenne.

A la Réunion, on chuchote que Paul Vergès vous a aidé à faire gagner Jacques Chirac en 1995...

Il a été un interlocuteur constructif avec Chirac alors qu'il était vraiment très engagé politiquement, c'était un communiste actif ! Mais, avec lui, c'était aussi la Réunion avant tout, peut-être même avant son engagement politique. Il était disposé à comprendre, à aider et il a plutôt facilité les choses, même après que je sois parti. Car à l'époque où j'étais ministre de l'Outre-mer, il était balbutiant politiquement. Il est devenu après président du conseil régional et d'ailleurs, je lui tire un coup de chapeau parce qu'il a été l'un des premiers à lancer des opérations pour les énergies renouvelables. Et puis, au plan local, il arrivait à avoir de bons rapports avec ses collègues qui n'étaient pas de la même formation politique que lui, en particulier avec Jean-Paul Virapoullé ou André Thien Ah Koon — je salue leur longévité !

Vous avez connu Gaston Monnerville, député de la Guyane puis sénateur du Lot, Léon Bertrand, ministre de Jacques Chirac, mais quid de Christiane Taubira ?

Je ne l'ai pas tellement connue quand je m'occupais de l'Outre-mer ; elle ne jouait pas un rôle très important sur le plan politique guyanais. Elle a milité avec les indépendantistes mais je n'ai pas eu de rapport avec elle. Je l'ai rencontrée aux obsèques d'Aimé Césaire...

Vous évoquez la loi Taubira dans votre livre...

C'est bien normal pour un ancien ministre de l'outre-mer qui adore l'outre-mer ! Je sais que l'esclavage est une plaie mal cicatrisée, qui pèse profondément sur tous ceux qui en ont été les victimes indirectes et qui se sentent encore profondément blessés dans leurs racines. Je le mets aussi au crédit de Jacques Chirac.

En Nouvelle-Calédonie, la grande figure chiraquienne, c'était Jacques Lafleur...

Une forte personnalité ! Il avait tenu la Calédonie à bout de bras, un peu seul avec l'ancien maire de Nouméa, Laroque. Laroque était un gaulliste de la première heure, une personnalité forte ! C'est Laroque qui a fait naître Lafleur sur le plan politique et c'est Laroque qui lui a donné ce tempérament un peu rugueux du Calédonien. Avec Jacques, c'était tout ou rien. Ou il vous aimait et vous prenait dans ses bras, il vous amenait chez lui et vous traitait comme un ami de toujours, ou alors, il vous faisait la tête, il refusait de vous voir. Il vous envoyait une délégation et il vous faisait dire qu'il était absent ! Il boudait. avec Jacques Lafleur, c'étaient des bouderies ou des démonstrations d'amitié excessives !

Anticipant, la violence de la crise, vous auriez aimé que le procès aux assises des auteurs de la mort des frères de Jean-Marie Tjibaou soit dépaysé, mais Jacques Lafleur s'y serait opposé. Résultat, ils ont été relaxés. Est-ce exact ?

Nous nous n'y pouvions rien, c'était la justice ! Les inculpés qui étaient déférés aux assises avaient pris un avocat parisien de droite, un type de talent qui a démontré d'une façon incontestables que leurs clients étaient en état de légitime défense. La gendarmerie avait reçu pour ordre de ne plus sortir, de ne plus aller sur le terrain et de ne plus rien voir ! Donc, ils avaient organisé des milices et voilà. Ca a été un guet-apens meurtrier puisqu'il y a eu dix morts dont deux frères de Tjibaou... Mais, là, c'était la justice. Chirac et moi n'y pouvions rien. Alors Jacques Lafleur avait voulu s'impliquer dans ce dossier et je me demande même si ce n'est pas lui qui avait choisi l'avocat...

Trente ans après, vous revenez sur la prise d'otages d'Ouvéa et vous critiquez son instrumentalisation a postériori... Pouvez-vous expliquer ?

L'instrumentalisation a posteriori se comprend très bien ! En 1988, se produit un changement de majorité. Mitterrand est réélu face à Jacques Chirac qui avait été Premier ministre de cohabitation. C'est une revanche, pas pour Mitterrand qui était déjà fatigué quoi que toujours un bon manoeuvrier, mais pour son entourage. C'était une revanche sur 1986 ! Le problème à Ouvéa avait été réglé par la force malheureusement, puisqu'il n'y avait pas d'autre issue, que j'avais exigé que l'ordre soit conjoint entre le président de la République et le Premier ministre et que je n'aurais rien fait si l'ordre avait été seulement donné par le Premier ministre... Ce sont eux qui ont donné l'ordre, pas moi. Le problème a été réglé par la force et il y a eu des victimes parmi les forces de l'ordre, parmi les ravisseurs, mais pas parmi les otages, ce qui était miraculeux. Personne ne l'a relevé, pas plus qu'on a parlé des douze otages qui ont été libérés avant par la négociation. Ils n'ont pas été libérés spontanément ! C'est le colonel Benson qui, parce qu'il a su utiliser les éléments coutumiers présents sur le terrain, a permis la libération des douze otages du sud. Une fois les otages libérés, tous ceux qui avaient été compromis ont été déférés à la justice. Ils ont eu des avocats. Comme c'est le nouveau pouvoir qui était en place, aussitôt, on leur a donné des avocats très liés à la ligue des droits de l'Homme et comme la meilleure défense, c'est l'attaque, ils ont fait de la surenchère sur la libération des otages. Tous les moyens ont été bons, jusqu'à même dire qu'il y avait eu des exactions, etc... L'enquête diligentée par M. Chevènement, menée par deux généraux, a montré qu'il n'y avait eu qu'une exaction sur Alphonse Dianou dont je dis dans mon livre qu'elle est regrettable parce qu'il était un bourreau et qu'on en a fait une victime.

Le livre de Legorjus et le film de Kassovitz vous prêtent un bien sale rôle...

Oui. Je l'explique par le comportement de M. Legorjus qui est aussi à l'origine de monstruosité qui ont été dites après et il s'est parjuré ! Et il arrive à convaincre Kassovitz qu'il est le héros de cette histoire. Et il fait de son livre un scénario formidable ! Kassovitz va se faire avoir et ce film fera un bide total ! Moins de 125 000 entrées.

Vous vous êtes retrouvés seuls face aux attaques... Vous avez appelé Jacques Chirac au lendemain de son échec électoral de mai 1988 ; il est resté aux abonnés absents. Vous ne le racontez pas dans votre livre, pourquoi ?

Non... Parce que ce n'était pas glorieux pour Chirac. Il se tenait très éloigné d'Ouvéa. J'étais là pour prendre les coups. D'ailleurs, il y a quelqu'un qui ne s'y est pas trompé c'est Christnacht. Il y a quelques jours, il a twitté sur mon livre en disant : "Il est très intéressant le livre de Bernard Pons, en particulier le chapitre sur la Nouvelle-Calédonie. J'avais toujours pensé qu'on lui avait fait porter le chapeau..." Ce n'est pas que j'ai porté le chapeau, c'est que c'était tellement commode aux autres, à Chirac, à Balladur, à Pasqua... Il n'y en a qu'un qui a été correct, c'est Giraud...

Pourquoi votre amitié avec Jacques Chirac a pris fin ?

Je me suis opposé à des prises de position du président de la République, en particulier la dissolution de 1997 dont j'explique qu'elle est une faute grave, une faute politique grave qui a marqué notre pays. Ca, je ne pouvais pas l'admettre, donc j'ai claqué la porte. A partir de ce moment-là, j'ai été excommunié. Du jour où je suis rentré au gouvernement comme ministre de l'Equipement, j'ai été repris par l'action politique, par le travail et je ne me suis pas éloigné de l'analyse politique, mais j'ai cru que ma familiarité avec Chirac pouvait continuer, mais en fait un président de la République ne peut plus avoir d'amis, de copains issus du monde politique. Ce n'est pas possible, il peut avoir des amis personnels en dehors du monde politique et encore, très peu, mais il ne peut plus avoir de copains. Cette fonction présidentielle est impitoyable. J'ai eu du mal à le réaliser... Quand j'ai rencontré Philippe Seguin à la veille des élections municipales à Paris où j'avais l'habitude de conduire la liste dans le 17e, il s'est opposé. Il avait reçu l'ordre de m'exécuter politiquement et comme il ne m'aimait pas tellement, ça ne le gênait pas beaucoup... Alors j'ai réalisé mon âge, 75 ans ! J'ai su que c'était la fin de ma carrière politique et j'y ai mis fin sans aucune amertume.

Pourquoi avoir choisi la Martinique pour la première partie de votre retraite ?

Parce que ma femme était amoureuse de la Martinique ! Quand notre fille s'est mariée en Martinique, une grande partie des invités ont été logés à Grande-Anse aux Anses d'Arlet, ma femme également. Elle est devenue complètement amoureuse de Grande-Anse et elle a voulu absolument qu'on achète une maison là. Quand nous avons vendu notre propriété de Grasse, nous avons eu de quoi acheter quelque chose de plus près de la mer sur la Côte d'Azur et en même temps à la Martinique. J'ai acheté sans défiscaliser et M. Plenel est venu sur place pour le vérifier...

Et pourquoi en être parti ?

En 2010, nous avons eu la dengue. Ma femme a été très malade, ma fille Nathalie a failli mourir et moi, j'ai eu la dengue hémorragique qui m'a valu une greffe  de la valve aortique à l'hôpital Pompidou en 2013. Mes enfants n'ont plus voulu y aller... J'ai eu la sensation que l'on se foutait éperdument du sujet ! Et quand les deux ministres, Roseline Bachelot et Marie-Luce Penchard, sont venues toutes les deux, elles ont fait trois petits tours, sont allées saluer le préfet qui était lui aussi hospitalisé... J'ai regardé leur manège, c'était pitoyable ! Si on ne prend pas des mesures, on aura de plus en plus de gros problèmes.

Quel avenir voyez-vous pour l'Outre-mer ?

Je ne comprends pas que ces territoires d'outre-mer ne s'investissent pas comme la Réunion a pu le faire du temps de Paul Vergès dans les énergies renouvelables. Je ne comprends pas qu'il n'y ait nulle part outre-mer des études pour inventer le nouveau logement antisismique, anticyclonique, isolé thermiquement et phoniquement, bioclimatique, indépendant au point de vue énergétique et à bas coûts ! Je ne comprends pas qu'on ne lance pas des études sur l'élimination du déchet là où il est produit... L'Outre-mer a tous les atouts pour le faire.

Propos recueillis par FXG, à Aigues-Mortes

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