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Publié par fxg

Fonctionnaire ultramarin dans l'Hexagone

Le témoignage accablant d’un gardien de la paix muté dans l’Hexagone

Il s’appelle Rémi (nom d’emprunt), il a 30 ans et vient de la Basse-Terre. Pour son plus grand malheur, il a réussi le concours des gardiens de la paix. Rencontre avec un fonctionnaire qui tient à mettre en garde la jeunesse antillaise face au miroir aux alouettes que peut constituer la vie dans l’Hexagone.

Il a été scolarisé à Rivière des Pères, a passé le bac avec mention, et s’est arrêté après sa deuxième année d’anglais à Fouillole pour travailler mais l’emploi n’était pas forcément au rendez-vous. Alors que son projet était d'aller dans le privé, sa mère, fonctionnaire comme pas mal de membres de sa famille, l’oriente vers le concours de la fonction publique. Le temps de le passer, il se fait recruter comme adjoint de sécurité à Pointe-à-Pitre où il travaille sous l’autorité des officiers du commissariat de Pointe-à-Pitre. Le temps d’avoir le concours… « ADS, témoigne-t-il, c’est un contrat de six ans et à ce titre, un emploi précaire, au-delà de cette période, c’est bye-bye ! On est reversé dans le monde civil… » Remi est plutôt doué et, du premier coup, réussit le concours de gardien de la paix en externe. « Je ne suis resté ADS qu’un an. J'étais alors dans l’euphorie de la réussite. J'ai vu que ma vie allait changer puisque j'allais devenir fonctionnaire stagiaire. » Il est nommé dans un commissariat à Paris. Son départ est un peu hésitant… « Ça a été lacunaire ! Je n’étais pas vraiment préparé à quitter ma famille… » Le désenchantement arrive vite. Pourtant Rémi est né à Paris où il a vécu avec sa mère jusqu’à la fin de la maternelle, et où son père, Martiniquais d’origine, habite toujours. « J’avais l’habitude de venir régulièrement en France, mais l’amour que j’avais pour Paris, c’était un amour de vacances, quelque chose de passager ! » Mais quand il se rend compte que c’est là qu’il va faire sa vie, ce n’est plus la même ! « C’est sans commune mesure avec les DOM ! Je n’avais pas encore la force psychologique de me dire vraiment que j’allais quitter l’île. » Il a beau exister une communauté antillaise forte en région parisienne dont la fréquentation permet de ne pas trop être dépaysé, il se sent déraciné. « Je suis parti trop tôt de Paris pour pouvoir m’y sentir à nouveau chez moi ! » Bref, la vie associative, les réunions zouk, accra, boudin, ça permet d’atterrir en douceur, mais ça ne suffit pas. « Ça va deux minutes en fait ! Une association ne remplace pas le manque familial, l’environnement. Vous avez deux mondes différents avec un fonctionnement, une mentalité, un brassage de populations différents. » Surtout, Rémi s’est retrouvé confronté au racisme. « Ce sont des choses auxquelles on ne nous prépare pas nous fonctionnaires ultramarins ! On sait que ça existe, mais entre en parler et y être confronter, ça change tout ! » Rémi décrit un racisme sous-jacent, pernicieux avec son voisin, sa boulangère mais aussi au travail… « C’est toujours sur le ton de la plaisanterie qu’on fait passer des vérités, observe-t-il. Entendre dire des choses sur les Noirs, ça endurcit ! Surtout quand on vous précise que ce n’est pas de vous qu’on parle… Mascarade et faux-semblants ! » Rémi a compris qu’il avait de la chance : on le tolère parce qu’il est sympa ! Alors, la solution, c’est la mutation ? « Il faudrait que, une fois faite notre expérience ici, et pas au bout de dix ans, l’on soit muté chez nous d’autant qu’il y a un besoin criant. » Bien sûr, il sait que le concours qu’il a passé est un recrutement national, mais il invite ses collègues hexagonaux à imaginer l’inverse : « Laissez tout derrière vous, restez un an ou deux sans voir vos familles ! »

« Ce n’est pas une petite aventure ! »

Rémi voudrait plus de justice et ne pas avoir à attendre 8, 15, parfois 20 ans. Il se souvient de ce collègue martiniquais qui a refusé de changer de grade pour être muté plus vite. Il a quand même attendu quinze ans ! « Pourquoi pas muter les Ultramarins chez eux alors qu’ils sont plutôt rares sont les fonctionnaires métropolitains, mis à part les cadres, qui demandent les îles. En général, ils veulent une place au soleil et les avantages financiers, les primes… » L’action des associations telle GPX Outre-mer avait donné lieu en 2014 à un rapport sur le retour des fonctionnaires ultramarins chez eux mais rien n’a vraiment bougé depuis… Les congés bonifiés sont mal perçus par les collègues hexagonaux et ils sont grignotés. L’an dernier Rémi a vu de ses compatriotes guadeloupéens gagner enfin leur mutation, sauf que c’était à Saint-Martin… « Comme Saint-Martin dépend de la Guadeloupe, ils disent Guadeloupe comme si c’était pareil ! » La plupart des fonctionnaires l’ont compris : pour avoir de la stabilité, ils finissent par faire leur vie et des enfants sur place. « Mais ceux qui ne veulent pas faire leur vie ici ? Mes collègues pour la plupart se résignent… » Rémi est persuadé que l’expérience acquise à Paris est un atout indispensable à condition que ça ne devienne pas une condamnation à l’exil, à vie. Son pire souvenir, c’est le suicide d’un fonctionnaire de 23 ans. Il était des Abymes et a été retrouvé pendu chez lui à Paris, parce qu’il était, entre autres, seul.

 Par son témoignage, Rémi veut mettre en garde les jeunes tentés par les encarts publicitaires de l’administration : « Préparez-vous ! Ce n’est pas une petite aventure. » Mais il s’adresse également aux élus oublient parfois de s’engager : « Ils promettent tout en campagne et restent bouche fermée lorsqu’ils sont à l’Assemblée. » Et l’on parle d’une Guadeloupe qui vieillit et de sa jeunesse qu’on n’arrive pas à faire revenir, sa jeunesse qui s’est résignée…

FXG

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