Les derniers maîtres de la Martinique
Les békés à la télé
Les derniers maîtres de la Martinique, documentaire sur les békés, diffusé sur Canal +, a déjà suscité des réactions lors de sa première diffusion en métropole, la semaine passée, où il a fait 10 % d’audience, la meilleure pour Spécial investigation. Il est diffusé vendredi 6 février à 21 h 50 en Martinique, Guadeloupe et Guyane.
Selon Simon Hayot, le mot béké viendrait de l’ashanti, m’béké signifiant homme détenant le pouvoir, en opposition à m’méké, homme détenant le savoir... C’est sur cette réalité de classe, les Békés, que se penche le journaliste et réalisateur Romain Bolzinger, cette communauté méconnue et discrète qui a traversé les siècles en préservant ses coutumes, ses richesses et ses codes, les héritiers blancs des grandes familles nobles installées dans l’île avant la Révolution française. Et qui ont donc eu un passé esclavagiste.
Au cours des 52 minutes, la parole béké va se libérer. Caméra au poing, Romain Bolzinger s’est fait ouvrir des portes et les békés lui ont parlé. Le business, la banane, la grande distribution et la vie chère, le chlordécone et puis l’histoire et l’esclavage. « Les derniers maîtres de la Martinique », documentaire que diffuse Canal + le 6 février dans son émission Spécial investigation, raconte à sa façon ces personnes qui représentent 1 % de la population martiniquaise, détiennent 52 % des terres agricoles et 20 % de la richesse de l’île. Au-delà des Békés, l’enquête dresse aussi le portrait d’une Martinique rongée par les inégalités et les rancoeurs postcoloniales.
La diffusion française a déjà donné lieu à une micro-polémique quand le critique télé de Télé-Obs a attribué des propos tenus par Alain Huyghes-Despointes à Bernard Hayot qui a fait demander aussitôt un rectificatif.
« Ça va être chaud quand ce docu passera en Martinique »
Alain Huyghes-Despointes déclare : « Dans les familles métissées, les enfants sont de couleurs différentes, il n'y a pas d'harmonie. Moi, je ne trouve pas ça bien. Nous (ndlr : les Békés), on a voulu préserver la race. » Il ajoute : « Les historiens ne parlent que des aspects négatifs de l'esclavage et c'est regrettable ». Patrick Karam, délégué à l’Egalité des chances des Français d’outre-mer a déjà condamné ces mots et demandé des excuses publiques. « Il y a un ton formidable, s’exclame Greg Germain qui a vu le film lors de sa diffusion en métropole, un ton qui n’est pas dénonciateur, mais qui interroge : comment est-ce possible ? » Un téléspectateur résume ainsi le sujet : « la citadelle béké a tenu quatre siècles. Va-t’elle résister au métissage, bla bla bla… » Car, sur Internet, le film fait beaucoup parler : « Ce qui est fort c’est que les journalistes ont réussi à interviewer pas mal de békés, c’est rare qu’ils répondent à des interviews… », peut-on lire sur banmwencolombo.com. « Purée, réagit un autre internaute, laisse tomber ça va être chaud quand ce docu passera en Martinique »…
La mise au point d’Alain Huyghues
Despointes
Canal Plus a diffusé le 30 janvier un document intitulé Les derniers maîtres de la Martinique. Le journaliste qui l’a réalisé m’a interviewé, comme d’autres, prétextant une enquête sur l’économie de la Martinique. Je ne suis pas homme de media et je ne sais pas comment le montage de ce film a été réalisé mais je suis très surpris du mode opératoire et de la déontologie suivie. C’est pourquoi je tiens à faire savoir et à préciser que :
-Je n’ai pas attendu ce journaliste pour témoigner de ce que je ne suis absolument pas nostalgique d’un passé honni.Les propos diffusés ne reflètent en rien mes convictions profondes, le journaliste les a repris en les sortant de leur contexte car je parlais du « passé » et de l’approche patriarcale de cette époque.
-La période de l’esclavage est une tache sombre de l’histoire de nos îles et que je n’ai que mépris pour tous ceux qui tentent de diviser notre population en rouvrant des cicatrices.
-Dès 1998, j’ai signé une pétition publique reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité, ce pourquoi je participe depuis aux commémorations du 22 Mai,
-Ma pratique professionnelle est la meilleure preuve de mon engagement pour une Martinique plurielle, respectueux de toutes ses composantes, et cette posture morale m’impose de refuser toute polémique y compris avec ce journaliste.
Enfin, je tiens à présenter mes sincères regrets à tous ceux qui ont été ou qui pourraient être blessés lors de la diffusion de ce document
Le synopsis
Les funérailles nationales d’Aimé Césaire sont le point de départ de ce portrait de la Martinique moderne. Et puis, tandis qu’on a vu passer le chef de l’Etat, le Premier ministre, d’anciens Premiers ministres, apparaît la longue silhouette d’un homme portant blazer et lunettes noires, Bernard Hayot, 119e fortune de France. Comme d’habitude, il ne parlera pas ou peu, il est venu pour se recueillir… Le réalisateur a suivi des figures tels qu’Eric de Lucy et Gérard Bally dans leurs péripéties bananières, élyséennes et bruxelloises, Frédéric de Raynal à Banamart face à ne grève des ouvriers de la banane et Laurent de Meillac confronté à l’histoire du chlordécone. On revoit le Pr Belpomme, Me Germany et même Jean-Pierre Soissons, ministre de l’agriculture en 1993… Puis, Yves Hayot qui en convient : « C’est toute la profession qui a demandé la rallonge. » Il y a du blé dans la banane.
Au Cap Est, à « Békéland », chez Alain Huyghues Despointes, l’octogénaire ouvre sa maison coloniale et présente l’arbre généalogique commun aux familles békées, celui de Jean Assier. C’est lors de cette séquence qu’il évoque « les bons côtés » de l’esclavage, des « valeurs humaines » et la volonté de ne pas se mélanger, « de garder la race pure »…
Nous voilà aussitôt transportés auprès d’une jeune Antillaise smicarde dans un supermarché. Elle se plaint de la cherté de la vie… Michel Branchi, ancien directeur de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes met en cause « le petit nombre d’opérateurs sur un petit marché ». Il parle d’hégémonie des grandes familles. Robert Parfait rappelle que la loi autorise 25 % de part de marché par enseigne de la grande distribution et l’un d’eux en détient 43 %. Au groupe Despointes où l’agroalimentaire est important, on accuse des surcoûts de production de 15 à 20 %. Mais et la défiscalisation ? interroge le reporter avant de citer un rapport parlementaire qui « stigmatise les marges des industriels » et dénonce le partage du marché de l’importation par Sogédial et Sodicar. Le film ne va pas jusqu’à parler de pwofitasyon mais évoque 1 milliard d’euros détenus par les békés, et la plainte du maire de Sainte-Anne, Garsin Malsa, qui réclame des réparations pour 200 milliards d’euros. L’élu nationaliste accuse les békés de « continuer de piller et de favoriser un apartheid économique »… 100 familles et 400 000 habitants. Le ton est à l’enquête, mais la charge est lourde.
Les derniers maîtres de la Martinique, documentaire sur les békés, diffusé sur Canal +, a déjà suscité des réactions lors de sa première diffusion en métropole, la semaine passée, où il a fait 10 % d’audience, la meilleure pour Spécial investigation. Il est diffusé vendredi 6 février à 21 h 50 en Martinique, Guadeloupe et Guyane.
Selon Simon Hayot, le mot béké viendrait de l’ashanti, m’béké signifiant homme détenant le pouvoir, en opposition à m’méké, homme détenant le savoir... C’est sur cette réalité de classe, les Békés, que se penche le journaliste et réalisateur Romain Bolzinger, cette communauté méconnue et discrète qui a traversé les siècles en préservant ses coutumes, ses richesses et ses codes, les héritiers blancs des grandes familles nobles installées dans l’île avant la Révolution française. Et qui ont donc eu un passé esclavagiste.
Au cours des 52 minutes, la parole béké va se libérer. Caméra au poing, Romain Bolzinger s’est fait ouvrir des portes et les békés lui ont parlé. Le business, la banane, la grande distribution et la vie chère, le chlordécone et puis l’histoire et l’esclavage. « Les derniers maîtres de la Martinique », documentaire que diffuse Canal + le 6 février dans son émission Spécial investigation, raconte à sa façon ces personnes qui représentent 1 % de la population martiniquaise, détiennent 52 % des terres agricoles et 20 % de la richesse de l’île. Au-delà des Békés, l’enquête dresse aussi le portrait d’une Martinique rongée par les inégalités et les rancoeurs postcoloniales.
La diffusion française a déjà donné lieu à une micro-polémique quand le critique télé de Télé-Obs a attribué des propos tenus par Alain Huyghes-Despointes à Bernard Hayot qui a fait demander aussitôt un rectificatif.
« Ça va être chaud quand ce docu passera en Martinique »
Alain Huyghes-Despointes déclare : « Dans les familles métissées, les enfants sont de couleurs différentes, il n'y a pas d'harmonie. Moi, je ne trouve pas ça bien. Nous (ndlr : les Békés), on a voulu préserver la race. » Il ajoute : « Les historiens ne parlent que des aspects négatifs de l'esclavage et c'est regrettable ». Patrick Karam, délégué à l’Egalité des chances des Français d’outre-mer a déjà condamné ces mots et demandé des excuses publiques. « Il y a un ton formidable, s’exclame Greg Germain qui a vu le film lors de sa diffusion en métropole, un ton qui n’est pas dénonciateur, mais qui interroge : comment est-ce possible ? » Un téléspectateur résume ainsi le sujet : « la citadelle béké a tenu quatre siècles. Va-t’elle résister au métissage, bla bla bla… » Car, sur Internet, le film fait beaucoup parler : « Ce qui est fort c’est que les journalistes ont réussi à interviewer pas mal de békés, c’est rare qu’ils répondent à des interviews… », peut-on lire sur banmwencolombo.com. « Purée, réagit un autre internaute, laisse tomber ça va être chaud quand ce docu passera en Martinique »…
La mise au point d’Alain Huyghues
Despointes
Canal Plus a diffusé le 30 janvier un document intitulé Les derniers maîtres de la Martinique. Le journaliste qui l’a réalisé m’a interviewé, comme d’autres, prétextant une enquête sur l’économie de la Martinique. Je ne suis pas homme de media et je ne sais pas comment le montage de ce film a été réalisé mais je suis très surpris du mode opératoire et de la déontologie suivie. C’est pourquoi je tiens à faire savoir et à préciser que :
-Je n’ai pas attendu ce journaliste pour témoigner de ce que je ne suis absolument pas nostalgique d’un passé honni.Les propos diffusés ne reflètent en rien mes convictions profondes, le journaliste les a repris en les sortant de leur contexte car je parlais du « passé » et de l’approche patriarcale de cette époque.
-La période de l’esclavage est une tache sombre de l’histoire de nos îles et que je n’ai que mépris pour tous ceux qui tentent de diviser notre population en rouvrant des cicatrices.
-Dès 1998, j’ai signé une pétition publique reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité, ce pourquoi je participe depuis aux commémorations du 22 Mai,
-Ma pratique professionnelle est la meilleure preuve de mon engagement pour une Martinique plurielle, respectueux de toutes ses composantes, et cette posture morale m’impose de refuser toute polémique y compris avec ce journaliste.
Enfin, je tiens à présenter mes sincères regrets à tous ceux qui ont été ou qui pourraient être blessés lors de la diffusion de ce document
Le synopsis
Les funérailles nationales d’Aimé Césaire sont le point de départ de ce portrait de la Martinique moderne. Et puis, tandis qu’on a vu passer le chef de l’Etat, le Premier ministre, d’anciens Premiers ministres, apparaît la longue silhouette d’un homme portant blazer et lunettes noires, Bernard Hayot, 119e fortune de France. Comme d’habitude, il ne parlera pas ou peu, il est venu pour se recueillir… Le réalisateur a suivi des figures tels qu’Eric de Lucy et Gérard Bally dans leurs péripéties bananières, élyséennes et bruxelloises, Frédéric de Raynal à Banamart face à ne grève des ouvriers de la banane et Laurent de Meillac confronté à l’histoire du chlordécone. On revoit le Pr Belpomme, Me Germany et même Jean-Pierre Soissons, ministre de l’agriculture en 1993… Puis, Yves Hayot qui en convient : « C’est toute la profession qui a demandé la rallonge. » Il y a du blé dans la banane.
Au Cap Est, à « Békéland », chez Alain Huyghues Despointes, l’octogénaire ouvre sa maison coloniale et présente l’arbre généalogique commun aux familles békées, celui de Jean Assier. C’est lors de cette séquence qu’il évoque « les bons côtés » de l’esclavage, des « valeurs humaines » et la volonté de ne pas se mélanger, « de garder la race pure »…
Nous voilà aussitôt transportés auprès d’une jeune Antillaise smicarde dans un supermarché. Elle se plaint de la cherté de la vie… Michel Branchi, ancien directeur de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes met en cause « le petit nombre d’opérateurs sur un petit marché ». Il parle d’hégémonie des grandes familles. Robert Parfait rappelle que la loi autorise 25 % de part de marché par enseigne de la grande distribution et l’un d’eux en détient 43 %. Au groupe Despointes où l’agroalimentaire est important, on accuse des surcoûts de production de 15 à 20 %. Mais et la défiscalisation ? interroge le reporter avant de citer un rapport parlementaire qui « stigmatise les marges des industriels » et dénonce le partage du marché de l’importation par Sogédial et Sodicar. Le film ne va pas jusqu’à parler de pwofitasyon mais évoque 1 milliard d’euros détenus par les békés, et la plainte du maire de Sainte-Anne, Garsin Malsa, qui réclame des réparations pour 200 milliards d’euros. L’élu nationaliste accuse les békés de « continuer de piller et de favoriser un apartheid économique »… 100 familles et 400 000 habitants. Le ton est à l’enquête, mais la charge est lourde.