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Publié par fxg

Le projet de mémorial des noms de Gilles Roussi

Le projet de mémorial des noms de Gilles Roussi

Un mémorial digne du crime de l'esclavage

Monsieur le président de la République, vous avez manifesté, depuis avril 2018, le désir de faire connaître l’histoire de l’esclavage. L’année suivante vous avez prononcé ceci : « Il y a l’histoire sublime, héroïque et édifiante de tous ceux qui ont secoué et brisé ces chaînes odieuses. Face à l’horreur de l’esclavage, il y a eu l’honneur de la résistance et le bonheur enfin de l‘émancipation, C’est une histoire française, une histoire universelle. »

Vous avez ensuite engagé un appel d’offre pour la conception et la réalisation d’une œuvre d’art en hommage aux victimes de l’esclavage au sein du jardin des Tuileries.

J’ai répondu à cet appel d’offre, mais la situation présente semble avoir singulièrement obérer les échéances de ce concours. C’est pourquoi je me permets de vous soumettre directement mon idée sur le sujet.

Sculpteur et Martiniquais d’origine, je travaille sur le sujet de la mémoire de l’esclavage depuis de nombreuses années, depuis 1982 exactement, depuis la mission que m’a confiée Aimé Césaire en Martinique, mais aussi plus avant depuis mes longues conversations avec Flore Roussi, née de parents esclaves, mère de mon père Louis Roussi, mais également de Suzanne, l’épouse d’Aimé Césaire. Avec un autre grand Martiniquais, Pierre Aliker, nous discutions alors de l’utilité des arts dans la société, non pas qu’Aimé Césaire n’y fut pas sensible, mais ses armes penchaient plutôt du côté de la littérature puisqu’il en a même fait un recueil de poésie…

Mon projet repose essentiellement, que dis-je, principalement, sur le lieu assigné aux Tuileries. L’espace alloué est un triangle. Cette figure géométrique comporte de nombreuses références en matière de symbolique, et en ce qui concerne l’objet de cette consultation, je ne peux m’empêcher de me référer au commerce triangulaire. C’est donc cet espace qui a été le principal vecteur de ma réflexion.

Les tuileries ont une histoire qui colle à la splendeur du royaume de France au XVIIe siècle.

En 1664, Colbert et Louis XIV ordonnent que le jardin soit entièrement redessiné par Le Nôtre. La signature de Le Nôtre illustre son classicisme par la géométrie et la symétrie, c’est le Jardin à la française.

L’énoncé du concours assigne comme emplacement au monument une parcelle triangulaire proche du Jeu de Paume. Or, le jardin des Tuileries est un des maillons de la grande perspective parisienne qui part désormais de la pyramide de Peï pour parvenir à l’Arche de la Défense en passant par le Carrousel du Louvre, l’Obélisque de la Concorde et l’Arc de Triomphe.

C’est exactement dans cet axe que doit se poser le monument. Moi qui, lors de mes précédents travaux concernant les libertés, ai toujours eu recours aux prismes à section carrée, l’étude du plan de masse du jardin des Tuileries tout en symétrie m’a poussé à « déchirer » ce carré pour en faire deux triangles. Il existe dans le vocabulaire maritime de cette époque une expression particulière, triviale pour les damnés de la mer : « Le passage du milieu » J’ai rencontré cette formule lors de la lecture de l’ouvrage de Marcus Rediker, « A bord du négrier ». C’est entre les deux blocs triangulaires qui forment le monument que je situe ce passage du milieu. Ce cheminement aussi étroit que l’autorise la loi d’accès aux personnes handicapées (soit 1,6 à 2 m) illustre à la fois les conditions du voyage et s’inscrit dans l’axe historique de Paris. Ceux qui l’emprunteront découvriront sur ses parois les boiseries des cales des navires moulées dans la matière même du monument, donnant à voir ce que les déportés voyaient lors de leur transport, c’est-à-dire leurs « conditions de stockage ». La « peau » extérieure des blocs comporte les 200 000 noms. Cette multitude, cette infinitude saisit le visiteur d’un vertige indicible, par l’étendue du nombre.

Un QR code sera discrètement placé pour accéder au serveur qui délivrera l’ensemble des noms et des matricules.

Si nous considérons que votre volonté est de marquer, par votre mandature, la mémoire de l’esclavage, les méfaits de la colonisation, et surtout votre engagement à cet égard, il vous faut donc « revoir » l’emplacement du monument et lui permettre de gagner un peu plus de hauteur pour inscrire votre patte dans la capitale française. Vous connaissez l’exercice du pouvoir, je crois que ce n’est pas chose aisée, mais que restera-t-il aux yeux de l’histoire après cette crise sanitaire ?

Je vous remercie de votre attention et vous prie d'agréer, Monsieur le Président l'expression de ma très haute considération et de mes sentiments dévoués.

Gilles Roussi, sculpteur, ancien professeur aux Beaux-Arts de Saint-Etienne

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