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Publié par fxg

Sébastien Lecornu, de bonnes questions

Interview - Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer

« Nous n’acceptons pas les menaces, les intimidations ou les dégradations de biens »

La commission d’enquête sur le chlordécone a fait 49 préconisations pour une réparation concrète et programmée, dont une loi d'orientation et de programmation encadrant les procédures financières, législatives, réglementaires et techniques relatives aux indemnisations des victimes, à la dépollution des sols et aux réparations. Cette question était au cœur de la grande manifestation du 27 février dernier à Fort-de-France, mais également en Guadeloupe et à Paris. Entendez-vous y donner suite ?

Sortir du chlordécone est une de mes priorités. Je porte une attention particulière à ce dossier, aussi parce que j’ai été secrétaire d’Etat à l’Ecologie mais surtout car je me sens personnellement touché par ce dossier. La majorité des préconisations de la commission d’enquête ont été reprises dans le plan Chlordécone IV, qui a été lancé le 24 février. Il faut désormais que nous avancions dans sa mise en œuvre au plus près des Antillaises et des Antillais. Pour cela, nous avons nommé Edwige Duclay, une ingénieure agronome d’origine martiniquaise, spécialiste des questions de pollution, comme directrice de projets. Elle va coordonner avec les préfectures de Guadeloupe et de Martinique le déploiement des 47 mesures de ce plan. J’ai 34 ans, et pour ma génération, l’époque où l’on pouvait tolérer ce type de scandale environnemental est révolue.

Le président de la République a exprimé sa détermination au président Alfred Marie-Jeanne. Pensez-vous qu’il y aura un procès chlordécone comme y ont eu droit les victimes de l’amiante ou les responsables du sang contaminé ?

Je ne peux pas m’exprimer sur une procédure judiciaire en cours. Si vous voulez mon avis, oui, il faut avancer sur le chemin de la réparation. Comme l’a dit le président de la République, l’Etat prendra sa part de responsabilité pour accompagner les victimes. C’est le sens du fonds national d’indemnisation des victimes de pesticides voté dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

Lors de la manifestation du 27 février à Fort-de-France, les forces de l’ordre étaient étonnamment absentes. Est-ce pour faire oublier l’affaire Keziah en juillet 2020 et cette image d’un gendarme brisant son tambour avec une incroyable rage ?

Le droit de manifester est fondamental. Toutes les manifestations déclarées sont encadrées par un dispositif de maintien de l’ordre, adapté en fonction de la menace à l’ordre public. Ce n’est pas parce que l’on ne voit pas de policiers ou de gendarmes qu’il faut pour autant en déduire qu’ils étaient absents. Les rassemblements du 27 février se sont déroulés dans le calme, excepté quelques débordements inacceptables en marge des cortèges.

Le climat social est extrême en Martinique, depuis mai 2020 avec les Rouge, Vert, Noir, les statues renversées. Quelle analyse en faites-vous ?

La revendication identitaire en Martinique n’est pas nouvelle. Toutes les opinions doivent pouvoir s’exprimer dans notre République, mais en respectant toujours l’Etat de droit ! Nous n’acceptons pas les menaces, les intimidations ou les dégradations de biens publics comme privés. Une fois ceci rappelé, je suis convaincu qu’il est nécessaire de poursuivre le travail de mémoire autour de notre Histoire, y compris dans ses parts d’ombre. Et cela ne passe pas par le déboulonnage de statues. Au lieu de cela, parlons davantage des héros qui nous rassemblent, par exemple de ces bataillons de dissidents antillais qui ont rejoint les Etats-Unis pour débarquer avec les Alliés et libérer la France ! Malheureusement, on ne les célèbre pas assez.

Le climat n’est guère plus respirable en Guadeloupe sauf que ce sont des patrons qui ont bloqué l’île. Le protocole d’accord qu’ils ont signé avec le préfet ne leur octroie pourtant que des mesures auxquelles ils avaient déjà droit. Là encore, quelle est votre analyse de la situation sociale à quelques mois des régionales ?

En Guadeloupe, comme ailleurs en France, la situation économique et sociale est difficile en raison de la crise sanitaire. Mais rien ne justifie les blocages. Le préfet mobilise l’ensemble des outils dont il dispose pour accompagner les entreprises guadeloupéennes. Je n’ose imaginer que certains exploitent ces difficultés en prévision des prochaines élections. J’en profite pour rappeler que les entreprises de Guadeloupe ont bénéficié de plus d’un milliard d’euros de mesures d’urgence économique : c’est considérable. Je reste totalement disponible et à l’écoute des demandes du monde économique pour faire réussir le plan de relance.

Qu’est-ce que la loi 4D va permettre de changer dans nos collectivités d’Outre-mer ? A quel horizon ?

Après la loi Engagement et Proximité que j’ai portée comme ministre chargé des Collectivités territoriales en 2019, le projet de loi “4 D” est une loi de confiance dans les collectivités et les élus locaux. Si l’ensemble des mesures de ce texte a vocation à s’appliquer à l’Outre-mer, j’ai tenu à ce qu’un titre spécifique lui soit consacré pour aller encore plus loin. Par exemple, sur la gestion des risques majeurs. Lorsqu’un événement de ce type survient, nous allons alléger les procédures afin de permettre aux autorités de se concentrer sur l’essentiel : le service au public et le retour à la normale.

Vous avez proposé une feuille de route sur l’eau en Guadeloupe. Quels sont ses grands axes ? Quel calendrier, quels financements ?

Ma feuille de route est très claire : que les Guadeloupéennes et les Guadeloupéens aient enfin de l’eau potable dans leur robinet. Cela fait trop longtemps que cela dure, et cela n’a jamais été une compétence de l’Etat. Je l’ai annoncé en novembre dernier, cela passera par la création d’un syndicat unique consacré à la gestion de l’eau potable et de l’assainissement d’ici à septembre 2021. Quant à notre engagement financier, nous prendrons notre part. L’Etat a apporté 90 millions d’euros de subventions entre 2014 et 2020 à l’eau potable et à l’assainissement en Guadeloupe et nous poursuivrons notre accompagnement : près de 30 millions d’euros supplémentaires sont programmés d’ici 2022.

La proposition de loi Modem sur la gouvernance de l’eau que vous avez soutenue au Parlement contre l’avis du président de Région a-t-elle eu des incidences sur votre relation avec Ary Chalus ? Il avait refusé de vous voir fin décembre…

Ne revenons pas sur cet épisode, qui est désormais clos. Depuis, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec le président Chalus à plusieurs reprises. La proposition de loi a été adoptée dans un climat consensuel à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Avec les élus, nous avons le même objectif : améliorer le service aux usagers de l’eau en Guadeloupe. C’est la seule chose qui compte, je veux des résultats, et vite !

De la même manière, votre feuille de route a fait réagir le député de la majorité Max Mathiasin qui vous reproche d’exclure les cadres guadeloupéens de la coordination de préfiguration du syndicat unique de l’eau. Comprenez-vous sa réaction ?

Je ne la comprends pas. Vous pensez vraiment que ces débats sont à la hauteur de l’enjeu ? Je ne suis personnellement candidat à aucune élection en Guadeloupe. Sortons des postures politiques et agissons ensemble pour rétablir un service de qualité pour nos concitoyens.

D’un point de vue sanitaire, les risques de débordement des services d’urgence sont-ils maîtrisés, la campagne de vaccination touche-t-elle suffisamment et assez rapidement de personnes ?

Avec le président de la République et le Premier ministre, nous avons pris la décision d’avoir une gestion différenciée de la crise sanitaire en Outre-mer. Nous prenons les décisions les plus adaptées à la réalité de la circulation du virus dans chacun des territoires. Dès que la menace des variants s’est précisée, nous avons limité les seuls déplacements aux motifs impérieux avec une septaine. Je peux comprendre le sacrifice que cela représente notamment pour le secteur du tourisme, mais c’est la seule condition pour limiter leur présence et protéger nos concitoyens, tout en maintenant une vie économique endogène aux îles. En parallèle, nous redoublons d’efforts pour convaincre chaque personne en droit de se faire vacciner : les doses sont là, allez-y !

Le dispositif COROM pour aider les villes les plus déficitaires a été lancé : Fort de France et Saint Pierre en Martinique, Pointe à Pitre, Saint François, et Basse-Terre en Guadeloupe. De combien vont bénéficier ces municipalités ? D’autres communes seront-elles concernées et quand ?

Le dispositif Corom permet à l’Etat d’accompagner sur 3 ans ces communes volontaires, en échange d’engagements leur permettant de revenir à une meilleure santé financière. C’était une recommandation du député Jean-René Cazeneuve et du sénateur Georges Patient. Au total, ce sont 30 millions d'euros sur 3 ans pour financer ces contrats qui sont mobilisés. Je réunirai prochainement, avec Olivier Dussopt, ministre délégué aux Comptes publics, les maires de ces villes pour leur préciser les contours de cette expérimentation. Pour le moment, nous restons sur ces 9 villes pour ce premier volet.

L’association République et développement dénonce le système de soutien à la filière banane via le POSEI (400 euros par tonne). Selon son animateur, Max Dubois, cette aide européenne a abouti à une réduction de 12 000 emplois en 2007 à 6 000 en 2020. Même tendance chez les petits producteurs. Ils étaient 520 en 2007 contre 350 aujourd’hui. N’est-il pas temps d’être disruptif ?

Je tiens d’abord à rappeler que ce secteur reste le premier employeur privé aux Antilles. Un actif antillais sur vingt travaille dans cette filière. En revanche, c’est un fait, la production a baissé de près de 20% due à la multiplication des aléas climatiques violents. Le cyclone Maria en 2017 a détruit une grande partie des plantations. Notre priorité aujourd’hui avec Julien Denormandie, c’est la transformation agricole dans les Outre-mer avec, entre autres, l’objectif de développer l’autonomie alimentaire dans les DROM à horizon 2030.

Propos recueillis par FXG

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