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Publié par fxg

Muriel Tramis, d'Adibou à Remembrance

Muriel Tramis, pionnière du jeu vidéo en France

Muriel Tramis était à l’honneur à Paris lors de la seconde quinzaine d’octobre. Invitée de l’événement de BPI France, le « BIG », organisé à Bercy Arena, elle a eu l’honneur d’être sélectionnée dans le troisième palmarès des « cent femmes de culture » réunies au palais de Tokyo avant d’être invitée à remettre sa médaille du mérite à sa collègue et amie game designer comme elle, Jehanne Rousseau ! Retour sur sa carrière.

Avec sa camarade game-designer Jehanne Rousseau

« Quand j’ai eu la légion d’honneur, déclare Muriel Tramis, ça voulait dire que le ministère de la Culture reconnait officiellement que le jeu vidéo appartient au monde la culture et de l’art. » En fait, les jeux vidéo sont reconnus comme étant le dixième art depuis que le Museum of Modern Art à New York a intégré en 2012 quatorze jeux vidéo à sa collection d’œuvres d'art. Car il faut bien le dire, Muriel Tramis est l’une des grandes pionnières françaises du jeu vidéo ! « Ça a commencé en 1987, raconte-t-elle. « Mewilo » a été non seulement mon premier jeu, mais aussi le premier jeu vidéo qui parlait de la société créole. » Le jeu se déroule à Saint-Pierre juste avant que l’éruption ne détruise la ville. Elle l’a conçu en collaboration avec Patrick Chamoiseau. « Il n’était pas encore connu, il n’avait encore reçu le prix Goncourt, mais c’est un ami d’adolescence, quasi-enfance. J’étais déjà charmée par sa façon de manipuler la langue et je lui ai demandé d’écrire les dialogues du jeu. » Ils ont poursuivi leur collaboration dans la foulée en 1988 avec un deuxième jeu, « Freedom ». « C’est un jeu de stratégie où le joueur incarne un esclave qui doit s’échapper d’une plantation. A l’époque, on jouait sur Amstrad, Amiga, Atari… Et ça fonctionnait avec des disquettes. » CokTel vision, la société qui l’édite alors diffuse ses jeux en quatre langues dans toute l’Europe. « Mewilo » et « Freedom » ont rencontré beaucoup de succès, Muriel Tramis est même invitée à la télévision allemande pour en parler ! Le succès est tel que son éditeur lui propose une place de cheffe de projet à Paris. Muriel connaît même une petite période rose avec les jeux vidéo érotico-soft « Emmanuelle », « Geisha » et « Fascination ». Elle se lance dans la science-fiction avec « Lost in time » qui met en scène un des premiers héros féminins, une femme métisse qui remonte dans son passé dans une île antillaise où elle doit doit sauver son aïeul pour pouvoir exister, façon Sarah Connor et Terminator ! En 1998, elle sort « Urban runner » dont la particularité est d’être composée avec des images réelles. « Je suis entrée un peu dans l’univers du cinéma. » Elle travaille alors avec un réalisateur. Leur équipe est composée de quelques professionnels, mais Muriel fait jouer la plupart de ses collègues de la boite sur un fond vert… C’est la grande époque de l’incrustation.

Succès planétaire d’Adibou

Muriel se diversifie dès 1988 dans le domaine éducatif. Elle publie « La bosse des maths ». « C’est la première fois qu’on propose d’aborder les maths de manière ludique. Ca ne se faisait pas en France. Nathan publiait bien quelques jeux, mais c’était très rébarbatif, très scolaire. » « La Bosse des maths » propose l’histoire de Jo, le dromadaire qui a perdu sa bosser, celle de la baleine à bosse… Toute une histoire qui sous-tend des exercices. Quand CokTel Vision mesure le succès de l’opération, il se dit qu’il y a de la place pour un concept fort et va naître ainsi ADI, accompagnement didacticiel intelligent, prémisse du fameux CD ROM « Le Monde d’Adibou ». C’est un succès planétaire !

A l’origine, la petite Martiniquaise suit sa scolarité au pensionnat Saint-Joseph de Cluny, puis au séminaire-collège pour préparer son bac scientifique. Son père tient une auto-école et un service d’ambulance ; sa mère est fonctionnaire à l’hôpital. En 1975, elle intègre une école d’ingénieur, l’Institut supérieur d’électronique de Paris avant de démarrer une carrière à l’Aérospatiale. « Je travaillais dans un service qui équipait les drones militaires. A l’époque, les drones étaient de gros suppositoires, pas du tout miniaturisés comme aujourd’hui ! On les tirait au centre des Landes, là où on teste les missiles sur des avions cibles, et on lançait les drones qui faisaient des mesures et des contre-mesures. »

Des armes et des états d’âme

Muriel Tramis, Mélissandre Monatus et Sylvain Chabi, trois des quatre Sensastic

L’affaire dure cinq ans jusqu’à la guerre des Malouines en 1982. Muriel se rend compte que les armes qu’elle teste servent, tuent. Quand les Argentins détruisent un navire britannique avec un exocet français, Muriel a des états d’âme et réalise qu’elle ne veut pas faire sa carrière dans les armes. « J’ai donné ma démission et j’ai fait une formation en marketing. » Elle découvre la créativité de la publicité et le pouvoir des images. « C’est là que j’ai commencé à penser éducation ludique. » A la fin de sa formation, elle fait un stage dans une petite boite qui commençait à faire des jeux éducatifs, c’est CokTel Vision. Elle découvre à la fois la palette graphique et le monde des agences de pub. A la fin de son stage, elle leur propose de produire un scénario de jeu. Ce sera « Mewilo » qu’elle programme avec l’aide d’un copain graphiste.

Après le succès d’Adibou, CokTel Vision est racheté et finit dans la corbeille Vivendi qui a fusionné avec Universal… « C’est devenu une grosse boite qui avait les contenants, les contenus et puis Jean-Marie Messier, qui avait une vision, a perdu la confiance de ses actionnaires, de ses amis politiques, et tout s’est effondré… Tous les studios ont fermé les uns après les autres. » Muriel en profite pour rentrer au pays après trente ans de vie parisienne. Elle crée sa société « Avantilles », spécialisée dans la représentation des villes en 3D. Elle s’attèle à la modernisation du port de Grand-Rivière, la réhabilitation des quartiers du François, le Club Med à Sainte-Anne, le port de plaisance du Marin. « C’étaient les débuts de la réalité virtuelle, des maquettes dans lesquelles on se promenait… » Elle a même reproduit, c’est son dada, Saint-Pierre avant 1902, qu’elle présente au festival « Laval virtuel » en 2007.

Un nouveau projet en recherche de financements

Paola et Paps Bwa, personnages de Remembrance

Elle prend ensuite trois années sabbatiques et elle écrit un roman, « Au cœur du giraumon », un recueil, « Contes créoles et cruels » et elle s’occupe de sa maman. Et puis le jeu vidéo lui a manqué… Mais avant de créer son studio, « Sensastic games », elle écrit le scénario de « Remembrance » et obtient en 2020 le soutien du CNC. Encore une fois, Muriel replonge dans l’univers de Saint-Pierre en 1900. L’héroïne féminine, Philadora, une Parisienne « belle-époque » débarque dans la capitale de la Martinique pour élucider une affaire de zombi qui hante une habitation créole… Aujourd’hui, le projet en est au prototypage qu’elle a confié à « Liberty games », un studio réunionnais, mais son illustrateur reste le talentueux Haïtien Kendy Joseph. « On a achevé une première phase, mais il nous manque des sous. En plus du CNC, on a eu 25 000 euros de la Réunion et, bien heureusement, je ne doute pas que la Martinique soutienne rapidement ce genre de projet… »

FXG

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