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Publié par fxg

FXG, Daniel démocrite et LMC, le 3 mars 2019 à Gourbeyre, chez Mme Michaux-Chevry

FXG, Daniel démocrite et LMC, le 3 mars 2019 à Gourbeyre, chez Mme Michaux-Chevry

Lucette Michaux Chevry est décédée à l'âge 92 ans jeudi 9 septembre des suites d'un cancer de la gorge. En  mars 2019, elle nous avait accordé une série d'entretiens dans le but de faire son portrait que nous vous livrons ici.

"Ma jouissance c'est d'entendre le nom Michaux-Chevry se répéter le dimanche soir dans un bureau de vote"

Sénatrice, ministre, députée, présidente de la Région, du conseil Général, maire de Gourbeyre puis de Basse-Terre... Lucette a eu depuis 1959 tous les postes que peut offrir la République en étant "une femme dans la forêt des hommes".

Lucette Michaux-Chevry (LMC) était la huitième d'une fratrie de dix enfants, dont quatre filles. "Mes frères imposaient leur domination, mais j'avais acquis de la résistance..." Un jour  qu'elle perd sa dernière bille en jouant contre eux, pour ne pas la donner, elle l'avale !

Son père, professeur de mathématiques, est devenu maréchal ferrant. "Avec la gendarmerie et l'armée à Saint-Claude, et la propriété que lui avait laissée son père, il gagne mieux sa vie en ferrant les chevaux et en faisant de la banane", raconte-t-elle. Sa mère est une femme rigide qui tient un lolo au premier plateau de Saint-Claude.

Lors de la procession de la Vierge, à la fin de la sixième, c'est la première de la classe qui est honorée. Lucette est la première, mais il a été décidé que ce serait la fille du maire Amédée Cabre, ("le prince Cabre, disait-on parce qu'il était royaliste", commente-t-elle), qui couronnerait la Vierge. "J'avais les meilleures notes ; j'étais peut-être un peu dissipée, mais les résultats étaient là." Le jour dit, les enfants et les paroissiens s'élancent en procession derrière la vierge que portent de solides gaillards dans les rues de Saint-Claude. On jette des fleurs. De retour dans l'église où la Vierge a retrouvé sa place, tout le monde s'assoit. Alors la fille Cabre qui tient la couronne de fleurs se lève. La petite Cécette lui fait un croche-patte, la fille Cabre tombe et Lucette s'empare de la couronne avec laquelle elle coiffe la Vierge avant de s'enfuir. Lucette sait qu'elle va prendre une raclée. Elle se cache tout le jour et ne rentre que le soir quand son père rentre. Sa mère l'attend avec le ceinturon. "Je ne baissais pas la tête ; je la regardais..." Son père dit : "Elle a tord, mais elle a bien fait et je la comprends." Elle reçoit tout de même la gifle.  "Je comprenais que le plus humilié est celui qui donne le fouet, pas celui qui le reçoit". "Ne pas plier, résister, commente-t-elle, c'est l'école de mes parents, l'école de ma mère qui le faisait avec brutalité puisqu'elle me tapait, l'école de mon père qui me protégeait."

Camille Jabbour et François Mitterrand

A 19 ans, Lucette rencontre son futur mari au bal du Cygne noir qui se tient au conseil Général. C'est Henri Michaux qui appartient à la bourgeoisie mulâtre et blanche de Basse-Terre. Il est représentant de commerce et imprimeur et il a vingt ans de plus qu'elle. Il l'invite à danser et lui dit : "A partir de maintenant, vous ne danserez qu'avec moi." Elle rit mais acceptera toutes ses invitations à danser ce soir là, mais elle ne l'épousera pas avant deux ans. Elle part à Paris faire son droit, puis elle débute sa carrière d'avocate, d'abord en Martinique avant d'ouvrir son cabinet à Basse-Terre. Un jour, alors qu'elle plaide devant la cour d'assises, le maire de Saint-Claude, Rémy Nainsouta qui passe à proximité, l'entend par la fenêtre du palais de justice "Elle devrait faire de la politique", se dit-il. Nainsouta est un nationaliste guadeloupéen proche des communistes. Il lui parle de ses projets politiques pour elle. Son père s'y oppose mais pas sa mère. Lucette est élue pour la première fois aux municipales de 1959 sur la liste de Nainsouta à Saint-Claude. Mais sa fille Marie-Luce vient de naître ; elle démissionne aussitôt pour se consacrer à son cabinet d'avocate et à sa famille qui s'agrandit avec la naissance de son fils Octave. Elle fréquente néanmoins les socialistes. "Frédéric Jalton est un peu brutal mais c'est une forte personnalité, dit-elle. Georges Dagonia est plus gentleman. René Toribio est brillant. Dominique Larifla commence à s'exprimer et puis il y a Lucien Bernier et Henri Rinaldo." Tous se rencontrent dans le cercle de Camille Jabbour au moins deux ou trois fois par mois. C'est là que LMC rencontrera dans les années 1970 François Mitterrand. Il est le parrain d'un des fils Jabbour. "Il n'y a pas assez de femmes en politique, lui aurait dit François Mitterrand. On ne peut pas laisser le monopole à Gerty Archimède. Il faut y aller..." Elle publie alors des papiers dans Match, le journal de Jabbour.

Frédéric Jalton et Lucien Bernier

En 1976, contre la promesse de faire d'elle la prochaine présidente du conseil Général, Frédéric Jalton convainc LMC de se présenter dans le canton de Saint-Claude-Gourbeyre contre l'UNR Robert Tamas. Elue, elle ne devient que la première vice-présidente du socialiste Georges Dagonia. Frédéric Jalton lui fait passer la pilule en lui promettant qu'elle sera la plus jeune sénatrice de France. En 1977, Frédéric Jalton se parjure en mettant cela sur le dos des instances nationales du parti socialiste et il fait élire sénateur Georges Dagonia qui déserte Basse-Terre. C'est sa première vice-présidente, LMC, qui exerce réalité du pouvoir au Conseil général. Le réveil de la Soufrière en 1976 lui ont donné une vraie notoriété en se faisant, avec Haroun Tazieff, le défenseur de la Basse-Terre.

Au renouvellement cantonal de 1979, LMC a compris qu'au PS, Frédéric Jalton est le faiseur de roi et sa femme, Mona, ne veut pas de Lucette. Elle rallie Lucien Bernier qui a quitté le PS en 1974 pour se faire giscardien. C'est lui qui prend la présidence du Conseil général.

Avec l'arrivée de François Mitterrand à l'Elysée, c'est l'heure du projet d'Assemblée unique qu'Henri Emmanuelli, secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, prépare pour la Guadeloupe. A l'époque, tous les blancs pays, toute la droite sont contre. Lucette prend le leadership sur cette question et prépare sa revanche.

Lucette est réélue aux cantonales de 1982. Lucien Bernier est le candidat de la droite. Peu avant le scrutin, Bernier descend à Basse-Terre en étant certain qu'il sera élu président. A Gourbeyre, de          vant la maison de Lucette, il voit toutes les voitures de ses amis qu'il a vus la veille... Quand il arrive au Conseil général, on lui dit : "Tu ne seras pas président, c'est Lucette."

Elle fait jeu égal face à Frédéric Jalton aux deux premiers tours. Jalton qui va gagner au bénéfice de l'âge, déclare alors : "Elle est brillante, elle est compétente, elle est bosseuse... Ca sera une excellente présidente ! Mais, je suis contre parce que c'est une femme..." Papa Yaya, le maire de Capesterre-Belle-Eau, qui ne vote jamais, se lève pour dire qu'il soutient Michaux-Chevry : "C'est la seule qui a des bottes !" Et c'est ainsi que Lucette a été portée à la présidence, en bernant Bernier...

Elle crée le Parti de la Guadeloupe et prépare l'échéance suivante : pour la première fois, les guadeloupéens vont pouvoir élire le président du Conseil régional au suffrage universel. Lucette a pris la tête d'une majorité résolument départementaliste et résolument opposée aux activistes indépendantistes qui font alors sauter des bombes... La liste de Lucette Michaux-Chevry arrive en tête. José Moustache prend la présidence de la Région...

Depuis qu'elle a pris le Conseil général, Lucette ne plaide plus et a laissé son cabinet d'avocat à ses associés. Son mari est malade. Il a une tumeur à la base du cerveau qu'on ne peut opérer. Il souffre. "Il s'énerve pour rien, il casse les verres...", raconte LMC. A l'hôpital psychiatrique de Montéran, à Saint-Claude, un nouveau directeur vient d'arriver. C'est Jean-Paul Fisher, infirmier psychiatrique de formation, un ancien trotskyste et fan de moto. "Il y a de grosses grèves à l'hôpital, raconte LMC, et Fisher veut changer l'hôpital... Tu ne vas rien changer Jean-Paul... Mais Jean-Paul mesure que mon mari est devenu fou.  A partir de là, Jean-Paul Fisher, accompagné du docteur Duquesnoy, vient régulièrement s'occuper de mon mari." M. Michaux décède en 1983.

En 1985, Lucette Michaux-Chevry perd le conseil général parce que Henri Beaujan, le maire du Moule, veut la présidence. Les socialistes le travaillent... Raymond Viviès joue et perd. Dominique Larifla l'emporte. Un an plus tard, le PS Félix Proto reprend la Région à José Moustache...

L'ami Jacques Chirac

Lors d'un meeting électoral 1986, un projectile incendiaire atteint le président de la CCI de Basse-Terre, Gérard Penchard. Alors que c'est LMC qui était visée. Penchard s'est jeté sur elle pour la protéger. Il faut dire qu'un de ses fils a épousé sa fille Marie-Luce. Mais LMC se montre ingrate et son compère lui en gardera une rancune tenace. Sa fille Marie-Luce préfère s'éloigner de cette mère encombrante et part vivre et travailler dans l'Hexagone.

Alors que LMC vit sous protection policière, qu'elle a fait fortifier sa villa de Gourbeyre, sa liste aux législatives rapporte deux sièges au RPR ; elle se retrouve propulsée secrétaire d'Etat dans le gouvernement de son ami Jacques Chirac.

"Mon mari a rencontré Chirac chez le Dr Hélène en 1972 ou 1973 avec Marlène Captant, Jacques Foccart, Amédée Valeau... Jacques Foccart est l'ami des Michaux, c'était aussi un parent de mon père... Chirac est sympathique ; mon mari l'invite. Chirac arrive, il y a du fruit à pain, il y a Foccart... Et Chirac dit : "Je reste à manger chez vous !" Il aimait la bringue, il buvait bien, il buvait de la bière, il aimait le piment, il aimait le boudin, il aimait les marinades... C'est comme ça que je l'ai connu."

Lucette a pris la ville de Gourbeyre en 1987, alors qu'elle est secrétaire d'Etat à la Francophonie du gouvernement de Jacques Chirac. La mort du maire, Euloge Noglote, la propulse à la tête de la commune dont elle n'était jusqu'alors que la première adjointe. Puis elle prend la Région en 1992 à son ami Félix Proto, qui a soigné son mari, grâce à un accord avec Dominique Larifla. Lucette est présidente, mais Larifla attaque les élections. "En 1993, témoigne-t-elle, on refait les élections et je les bats ! Quand je me suis assise là, à la présidence de l'assemblée régionale, c'était fini !"

La même année, Lucette retrouve le gouvernement au secrétariat d'Etat à l'Action humanitaire... "Je n'ai jamais aimé Balladur et il ne m'aimait pas. Je suis allée voir Chirac : "Tu as entendu le discours de politique générale de Balladur ? Il est candidat à la présidentielle contre toi ! Et il est en train de flatter tout le monde. Tu n'as personne ! Tu n'as que Toubon, Juppé et Michaux !"

Au conseil des ministres, François Léotard, ministre de la Défense et maire de Fréjus, parle d'installer des avions à la Martinique "parce que c'est à côté". "Monsieur le président, je peux parler ?", demande la Guadeloupéenne. "Lucette, vous avez la parole." "Léotard, ce n'est pas parce que vous êtes le maire d'une grosse ville et moi celui d'une petite ville que votre cerveau est plus intelligent et plus important que le mien !" Mitterrand l'applaudit. Elle l'accompagnera en Afrique du Sud ; elle sait qu'il est gravement malade.

Les premières affaires judiciaires

Elue maire de Basse-Terre et sénatrice en 1995, elle conserve la Région en 1998 face à Jacques Gillot. "J'ai fait venir Sourya Bonaly au vélodrome de Gourdeliane. J'ai fait venir Johnny allumer le feu, j'ai fait venir les tambours des rois africains..." Elle est en campagne permanente !

"Je n'ai jamais fait de l'argent le sens de ma vie. Ce qui m'intéressait, c'était la jouissance physique que j'éprouvais le soir du dépouillement quand j'entendais mon nom : "Michaux-Chevry, bis, ter..." Voilà ce qui était mon plaisir ! C'était charnel ! J'étais en transe ! Quand j'avais 250 voix, que l'autre en était à 40... Quand j'allais faire du soutien dans une commune, j'entendais "Carabin, bis, ter, quater"... "Moustache, bis, ter, quater"... "Chaulet, bis, ter..." Je passais et j'avais un plaisir charnel ! Toribio ? J'arrive le lundi, j'embrasse Toribio, sa mère est mon amie, et je lui dis : "Je vais faire battre José dimanche !" José me dit : "Tu perds ton temps !" "José, je vais te faire baver ! J'ai pris domicile ici, je reste toute la semaine !" Et je bats Toribio ! Quand j'entends les dépouilleurs : "Julliard, Julliard, Julliard..." Et dehors, mes soutiens crient "Michaux ! Michaux !..."

Lucette commence à connaître les affres de la justice pénale. Il y a des juges qui lui cherchent des noises : les oeuvres sociales de Gourbeyre, l'emprunt Roddhlams-Pacary, le marché des lycées Geprémo, l'affaire Dominici/Société caraïbéenne d'études (SCE)... Certaines font pshitt, d'autres ne lui valent que des condamnations minimes parfois plus de dix ans après. Mais Lucette garde un souvenir amer de ce qu'elle nomme "les cicatrices de la justice" : "On a créé ce climat détestable pour casser ma carrière politique... Un grand ministère, celui de la Coopération m'attendait après l'élection de Jacques Chirac à la présidence de la République. Au lieu de ça, je me suis retirée car je salissais l'image de Chirac..."

La déclaration de Basse-Terre

Lucette songe à la Déclaration de Basse-Terre depuis ce qu'elle appelle le "grand pardon" de Jacques Chirac aux militants indépendantistes. Mais sa décision ne sera prise qu'après 1995, lors d'un déplacement en Jamaïque. "Ces gens-là sont proches des Etats-Unis et de l'Angleterre et ont une vision territoriale de leur île et nous, c'est une photocopie, un calque des textes français qu'on applique ici." LMC se rapproche du Martiniquais "Marie-Jeanne qui est pour l'indépendance" et du Guyanais "Karam qui est plus permissif, plus facile à travailler". "Je ne suis pas indépendantiste, dit Lucette en signant le document le 1er décembre 1999 au conseil régional, je suis nationaliste. Le principe de la Déclaration de Basse-Terre, c'est l'autonomie dans la République."

Le président Chirac envoie Lucette à la conférence de l'AEC à Carthagène. L'avion présidentiel vient la chercher en Guadeloupe. Elle prend Marie-Jeanne et Karam au passage, arrive à Carthagène comme un chef d'Etat. "On avait le sentiment que je parlais au nom de la France, qu'on était en train de récupérer le pouvoir local qui valorisait l'homme antillais dans son bassin naturel, qui le valorisait tout en restant dans un noyau dur de protection internationale de la France." Lucette défile entre Castro et Chavez...

Elle contourne alors la ministre de l'Outre-mer pour demander directement au président Chirac le changement de statut de la Guadeloupe et une consultation populaire. La ministre de l'Outre-mer Brigitte Girardin l'a pourtant prévenue du risque : trois mois avant les régionales de 2004, si elle perd le référendum, elle perd les régionales. Lucette est pourtant sûr que toute la gauche va la suivre... "C'est là que Lurel a tout cassé !", dit-elle. Elle perd le référendum en décembre 2003, puis la Région en mars 2004 au profit de Victorin Lurel. Elle refuse violemment les fleurs que lui offre le nouveau président de Région. C'est un revers, un camouflet !

Les derniers mandats

Lucette est néanmoins réélue contre tout attente et grâce aux communistes, sénatrice dès le premier tour six mois plus tard ! Lucette révèle : "Géniès avait prévenu Jacques Chirac que je ne voterai pas Gillot. Gillot a trahi ! Chirac a du insister : "Il faut que Lucette vote Gillot au 2e tour..." Ce mandat de sénatrice, Lucette va le garder jusqu'en 2011, alors que sa fille est ministre de l'outre-mer du président Sarkozy. "Je ferraille, je ferraille", avait-elle l'habitude de dire quand on lui demandait ce qu'elle faisait au palais du Luxembourg... En 2012, elle prend la présidence de la CASBT et laisse son écharpe de maire de Basse-Terre à sa fille en 2014.

A partir de 2017, la justice tourne à nouveau autour d'elle qui commence à soupçonner son système de financement politique sur fonds publics via des associations montées sur mesures et un système de "sponsoring associations". Son dévoué Fred Madinécouty qui gère ses affaires personnelles depuis 1986, cet employé communal de Gourbeyre qui l'a suivie à la Région et qu'elle a fait directeur général des services de la communauté d'agglo, est emprisonné. Il finit par cracher le morceau... Après le fameux 17 janvier 2019 qui la voit elle, sa fille et son petit-fils rester en garde à vue à la PJ à la demande d'un autre juge et pas des moindres, le juge Tournaire, elle finit par démissionner de son dernier mandat politique à la CAGSC. C'était le 31 janvier 2019... Le tribunal correctionnel devait la juger ce mois-ci dans l'affaire Madinécouty. Anguille de prétoire jusqu'au bout, elle a une dernière fois encore échappé aux mailles de la justice. A 92 ans, Lucette affichait plus soixante ans de vie politique au compteur, autant que la Constitution de la Ve République.

FXG, à Paris

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