Ciolos veut reformer seul la politique agricole des Regions ultraperipheriques
Menaces sur la souveraineté agricole française en outre-mer
Le commissaire européen à l’agriculture, Dacian Ciolos, veut décider seul de la nouvelle politique agricole des Etats pour leurs régions d’Outre-mer.
Depuis quelques semaines, les milieux agricoles domiens s’inquiètent des projets du commissaire européen à l’Agriculture, le Roumain Dacian Ciolos. Celui-ci s’est saisi d’une réforme rapide et en profondeur du POSEI sans consulter les Etats membres concernés, c’est-à-dire la France, l’Espagne et le Portugal, ni les Régions ultrapériphériques (RUP). Il s’apprêtait même à diffuser, dès la semaine prochaine, un « document public de consultation » préparé par ses services et exposant ses orientations. Le gouvernement français assure ne pas etre au courant et met sur le compte de « rumeurs » tout ce qui aurait rapport à quelconque contenu, aucun document définitif ne lui ayant été transmis. Il s’estime donc incapable officiellement d’évaluer le degré de réflexion du commissaire européen. Pourtant, à Bruxelles, le document du commissaire, alors encore ultra-confidentiel, a fuité et le ministère des Outre-mer a recu mercredi soir, dans l’urgence, des représentants de producteurs guadeloupéens pour déminer le terrain. Le contenu du document a déclenché la fronde de la plupart les dirigeants de filières des quatre Dom, mais aussi des Acores, Madère et des Canaries. Ainsi le president d’Iguavie, l’interprofession de la filiere viande en Guadeloupe, écrit au commissaire le 16 avril : « Preuve que votre souhait d’aller tres vite se fera au détriment de la rigueur de l’évaluation, la présentation du document public de consultation contient déjà les réponses aux questions posées (…) [comme] la pertinence de l’application d’un dispositif différencié de la PAC aux RUP. Cette approche conduit à envisager le découplage des aides… »
M. Ciolos a déclaré que son document n’était qu’un « brouillon », mais à l’unisson de l’Espagne et du Portugal, le gouvernement français, singulièrement le ministère des Outre-mer, se déclare opposé au découplage des aides, à la fin du régime spécifique d’approvisionnement, à l’intégration du POSEI dans la PAC et à la remise en cause du montant des enveloppes d’aides. « L’économie agricole des DOM est spécifique et le POSEI permet son développement. On en a encore besoin pour développer la filière de diversification », indique la rue Oudinot. Une position qui éclaire quant aux risques qui pèsent sur la politique de soutien à nos agricultures.
Décrue du soutien européen aux cultures traditionnelles
Le découplage des aides, en cours depuis vingt ans en Europe, conduit à limiter les productions plutôt qu’à les développer, avec l’impact inévitable sur l’emploi agricole et la reprise des exploitations. Le découplage conduit aussi, à moyen et long terme, à une sortie progressive des aides financières. Autre risque relevé par les professionnels, la mise en concurrence des filières au sein d’un même RUP, entre RUP et entre Etats : « Les grandes filières sont loin d’empêcher les filières de diversification de se développer a contrario de ce qui est suggéré dans [le] document », écrit le professionnel qui conclut sa missive ainsi : « Le danger, c’est une décrue du soutien européen aux cultures traditionnelles de nos régions sans nouveau relais de croissance (…) A la lecture de votre projet de consultation, on ne peut que déduire que l’agriculture des RUP n’a plus vocation exportatrice et qu’elle doit se réduire à une agriculture d’autosuffisance alimentaire pour les régions concernées. » Les professionnels réclament avant toute réforme une étude d’évaluation menée par un cabinet indépendant.
Le 7 avril dernier, Dacian Ciolos recevait Virginie K’Bidi, vice-presidente de la Région Réunion, venue plaider la reconduction des dispositifs pour la période post 2013. Le commissaire expliquait, à l’issue de cet échange, qu’il défendrait « le maintien d’instruments spécifiques pour les RUP tant au titre du POSEIDOM que sur le plan des dérogations afin de permettre notamment un meilleur approvisionnement du marché local ». Il indiquait encore que « la diversité de l’agriculture européenne [devait] être valorisée, et que le maintien de cette diversité était l’un des objectifs de la réforme de la PAC ». S’il est exact que ni le système POSEI, ni le montant de l’enveloppe du POSEI ne sont remis en cause, le projet Ciolos revient à priver les Etats de la décision quant à la politique agricole qu’ils veulent mettre en œuvre dans leurs RUP. A ce train-là, il est légitime de se demander à quoi pourrait alors bien servir un volet outre-mer dans la future loi de modernisation agricole.
FXG, à Paris
Photo : agri-newsmalta.blogspot.com
Les chiffres du POSEI
Le programme spécifique à l’éloignement et l’insularité dans les DOM (POSEI) est le versant domien de la politique agricole commune (PAC). Concrètement, le POSEI France propose un dispositif d’aides financières découlant d’une adaptation de la PAC de l’Union européenne aux départements d’outre-mer. Ce programme regroupe des mesures permettant d’aider à l’approvisionnement de matières premières agricoles non produites localement et de favoriser les productions agricoles locales.
Le régime spécifique d’approvisionnement représentait pour les quatre départements une aide européenne de 20,7 millions d’euros en 2012 et les mesures en faveur des productions agricoles locales, 257,1 M€ dont 129,1 M€ pour la banane, 74,9 M€ pour la filière canne, 26 M€ pour la filière viande et 13,4 M€ pour la diversification. L’aide nationale totale s’élève à 40 M€ pour la diversification et 100 M€ pour la canne.
Le montant global du POSEI pour la France, l’Espagne et le Portugal s’élève à 680 M€.