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Publié par fxg

Interview Xavier-Marie-Bonnot, réalisateur des Possédés de Faaité

« Les bourreaux furent aussi les victimes et vice versa »

- Quel est le sujet des possédés de Faaité ?

Début septembre 1987, six personnes ont été brûlées, certaines vives, sur l’atoll de Faaité, dans les Tuamotu. Une septième a échappé de justesse aux flammes du bûcher… Ce drame hors du commun a suscité à l’époque une immense émotion, que ce soit en Polynésie ou en France, et même dans le reste du monde. On a du mal, encore aujourd’hui, à imaginer la cruauté de tels actes. Un fils qui brûle sa mère… N’oublions jamais que cela s’est produit sur le territoire de la république française…

Nous avons voulu, avec le recul nécessaire, raconter ces événements, en évoquer les causes et, bien entendu, les conséquences. Sans juger personne, sans aucun a priori moral. Nous voulions voir la vérité brute et tenter d’expliquer. Car cela n’a jamais été fait.

Tout au long de ce tournage, j’ai gardé présent à l’esprit une phrase de Claude Lévi-Strauss : « le barbare c’est d’abord celui qui croit en la barbarie ». C’est difficile de se détacher de ses préjugés quand on doit filmer ce qui fut objectivement des actes de barbarie… Pourtant, il faut bien se garder de juger les habitants de Faaité. Nous n’avons aucune leçon à leur donner. Tous ont été des victimes de ce qui s’est passé sur leur île.

- Pourquoi revenir sur un tel fait divers ? Quelle lumière nouvelle apportez-vous ?

Au-delà des faits, la tragédie de Faaité nous parle de l’isolement des communautés Paumotu et de la fragilité des sociétés minuscules qui vivent sur les atolls. Plusieurs observateurs ont cherché à expliquer de manière rationnelle ce qui s’était passé. On a parlé de sorcellerie, de prêtresses qui auraient semé la discorde sur l’atoll. Tout cela est exact, mais encore faut-il donner à chacun sa part de responsabilité. Il est vrai que deux femmes ont débarqué sur l’île durant l’été 1987 et ont instauré des groupes de prière sur le modèle du Renouveau Charismatique. Il s’agissait de prêcher de manière musclée. Elles ont prétendu avoir des visions et ont déclaré que l’atoll allait être englouti si jamais les habitants de l’île ne se repentaient pas. Quand on vit sur un atoll minuscule, cette prophétie raisonne plus fortement qu’ailleurs. La peur du cyclone est bien présente.

Alors chacun y est allé de sa confession, s’accusant des petites turpitudes qui étaient restées secrètes. En faisant cela, ces prêtresses ont libéré des énergies néfastes pour une microsociété. Chacun s’est mis à regarder l’autre avec suspicion. Il n’y a que 200 habitants à Faaité… Et puis ces femmes ont quitté l’île en laissant derrière elle des apôtres et c’est là que les choses ont commencé à dériver. Il y a eu une espèce de prise de pouvoir de la part de certains jeunes. Ils ont décrété, à la suite des prêtresses, que le diable était sur l’île. Or le seul moyen d’éliminer le diable passe par l’exorcisme, et quand ça ne marche pas, on a recours au feu ! 

Le film revient donc sur le cours des événements et en explique la mécanique implacable. Surtout, il donne la parole à des gens qui ne s’étaient pas exprimés sur le sujet depuis les événements. Je pense à monseigneur Coppenrath, au juge d’instruction Max Gatti qui connaît remarquablement le dossier, aux avocats qui nous ont accordé beaucoup de temps et à toutes les autres personnes qui nous ont aidés. Tout cela donne de nouvelles pistes d’explication et apporte au sujet un éclairage nouveau. Il faut savoir que le sujet est tabou à Tahiti et que c’est assez courageux de la part des intervenants d’avoir participé à ce tournage.

- Comment avez-vous été accueilli à Faaité, près de vingt ans après les faits ?

Je n’ai pas eu besoin d’y aller. En fait, je dois rendre hommage au travail de Brigitte Olivier de la Servière et de Lorenzo Marama, tous deux journalistes à RFO, qui avaient tourné un sujet à Faaité et qui étaient parvenus à faire parler les habitants. Je me suis servi de leur reportage comme archives. Ils avaient recueilli l’essentiel non sans difficultés. Je sais qu’on a voulu interdire la diffusion de leur sujet et qu’on a exercé des pressions sur les habitants pour qu’ils ne leur parlent pas. Lorenzo connaît très bien les Tuamotu, dont il est originaire. Il m’a éclairé sur certaines coutumes et certaines pratiques propres à cet archipel. Son éclairage est particulièrement intéressant.

Les habitants de Faaité ont beaucoup souffert de la tragédie qui s’est déroulée sur leur sol. Ils en restent profondément meurtris. Songez que tout le monde dans l’île est concerné et que les bourreaux furent aussi les victimes et vice versa

- A la fin du film vous présentez une nouvelle piste d’enquête évoquant le foncier, pourquoi ne pas l’avoir explorée ?

Elle est particulièrement délicate. C’est la parole d’une habitante qui valait la peine d’être reproduite. Pour deux raisons. La première est qu’elle va à l’encontre des thèses communément admises sur l’hystérie collective. Comment concevoir que 200 personnes soient réduites pendant trois jours à une espèce de folie qui les empêche d’avoir tout discernement ? La deuxième est qu’elle soulève un problème crucial sur les atolls, celui de la propriété de la terre. Dans la tradition polynésienne, l’homme appartient à la terre et non l’inverse. Avant la colonisation, tout était fait pour que ces problèmes de partage du territoire n’existent pas. On comprend pourquoi ! Comment gérer de tels conflits quand on est à peine 200 et qu’il n’y a rien alentour. Rien !

- Selon vous, qu’est-ce qui a rendu possible un tel holocauste et pourquoi n’employez-vous jamais ce terme là qui désigne précisément un sacrifice religieux par le feu ?

Le drame de Faaité s’explique par la convergence de plusieurs lignes de forces. Il y a une dimension religieuse incontournable. Les gens des Tuamotu sont très tournés vers le surnaturel. La venue des prêtresses a considérablement joué dans le déclenchement du drame. Il y a ensuite un contexte social et économique, l’isolement absolu, le délaissement. Qu’a fait la France sur ces atolls ? Si peu au regard de l’argent qui a été dépensé en Polynésie…

Enfin, il ne faut pas négliger l’humain et des considérations bien matérielles, comme le partage des terres ou la jalousie. Or sur l’atoll personne ne peut faire grief à l’autre de ses ressentiments sous peine de briser l’harmonie nécessaire à la paix. C’est l’essentiel : le nécessaire non-dit. On n’exprime pas les choses de peur de briser l’harmonie. Ce qu’on fait exactement les prêtresses c’est d’avoir libérer la parole par la confession. En faisant cela, elles laissaient la porte ouverte à tous les abus. Quand elles sont parties, il a fallu que cette communauté gère tout ce flot de griefs et de pêchés qui avaient été avoués. C’est là qu’il y a eu prise de pouvoir par certains jeunes. Il faut rappeler que le maire est absent, qu’il n’y a pas de curé, que le policier municipal est absent lui aussi. Plus aucune autorité. La voie était libre pour un putsch d’une poignée de jeunes chauffés à blanc par les prêtresses. Mais ce qu’il faut dire, aussi atroces que soient les événements, c’est qu’il ne s’agit que d’un déplacement sur la plan surnaturel de problèmes très matériels. Un ethnologue, Yannick Fer, m’a parlé d’un vocabulaire par lequel les souffrances de cette société se sont exprimées. Je pense qu’il a raison. Le drame de Faaité c’est celui d’une société d’abondance qu’on a transplantée dans la société de consommation. Loin de tout. L’océan pour seul horizon. La vie dure des atolls, les cyclones… Comment voulez-vous que 200 habitants, désorientés, qui ne voient la goélette qu’une fois par mois, parviennent à gérer des drames que nous gérons avec des tribunaux et toute une armada de lois ? Il suffisait d’un téléphone à Faaité pour que les choses s’arrêtent. Ce téléphone n’existait pas. A la place, il y avait une radio où tout le monde entendait ce que vous disiez. Impossible de dénoncer les horreurs sans risquer soi-même de finir sur le bûcher.

Il n’y a pas une explication, mais plusieurs. Le terme holocauste fut utilisé à l’époque par la presse. Je l’avais écrit dans mon commentaire, mais on m’a demandé de le retirer. Le mot est en effet extrêmement connoté, il désigne aujourd’hui le massacre de millions de juifs dans les camps nazis. Il devenait donc trop fort pour s’appliquer à la tragédie de Faaité. En outre, il ne donnait qu’une dimension religieuse à ce drame, ce qui n’est pas tout à fait exact.

Propos recueillis par FXG, agence de presse GHM

 

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G
<br /> Un Réalisateur qui ne se rend pas sur les lieux de son documentaire et prétend apporter un angle nouveau à des faits "seulement" vieux de 20 ans, il y a là quelque chose que je ne comprends pas.<br /> L'interview met bien en évidence les paradoxes du personnage...<br /> <br /> <br />
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