A vos droits Outre-mer
Outre-mer et droits de l'Homme
Au cours d'un colloque qui s'est tenu jeudi à Paris, la commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) a présenté la synthèse d'un travail qu'elle a mené pendant deux ans sur l'effectivité des droits de l'Homme dans les outre-mer : accès au droit et à la justice, droit à l'éducation et droit à un environnement sain.
"Les promesses de la République ne sont que partiellement honorées." L'ancienne ministre des Outre-mer, Ericka Bareigts a ouvert jeudi matin le colloque de la CNCDH en citant Césaire et sa fameuse formule sur "les Français à part entière et les Français entièrement à part"... Et pour enfoncer le clou, elle a ajouté : "C'est tout le sens des excuses que j'ai prononcées sur le balcon de la préfecture de Cayenne..."
Renée Koering-Joulin, conseillère honoraire à la Cour de cassation, a ouvert le bal de l'indignité en s'arrêtant sur quelques chiffres qui placent la France au 14e rang sur 28 pour le budget de la Justice. En 2017, ce budget était de 411 millions d'euros dont 11 pour les cinq DOM. 56 % de ces 11 millions vont à la Réunion, 17 % à la Martinique, 19 % à la Guadeloupe, 7,8 % à la Guyane et 3,1 % à Mayotte... La situation de la Guyane est très particulière, comme celle de Mayotte, puisque la justice y semble un enfant plus que pauvre alors que l'activité judiciaire y est très riche. Ainsi, la cour d'assises de Cayenne a fonctionné à temps plein en 2016, quant à la chambre détachée de Saint-Laurent, sous-équipée, elle ne bénéficie que de deux avocats sur place, les 78 autres sont à Cayenne... A Mayotte, ils ne sont que 37 avocats ! Grâcieuse Lacoste, ancienne première présidente de la cour d'appel de Saint-Denis dont dépend aussi Mayotte a souligné entre autres le manque de traducteurs assermentés... "On fait de l'état-civil, mais pas du droit familial de manière complexe puisqu'il n'y a pas de mariage civil et peu de divorce, on ne fait presque pas de droit social et commercial, mais du pénal !"
Côté éducation, Ségolène Lette, membre de la délégation des jeunes du Secours catholique, a regretté que les programmes scolaires ne prennent pas en compte l'histoire des outre-mer et encore que les orientations scolaires soient peu adaptées : pas d'offre de stage supérieure à deux mois car au-delà, la rémunération devient obligatoire, pas de formation sur place adaptée aux besoins des territoires ou aux envies des jeunes, des formations trop longues pour des jeunes qui ont connu l'échec scolaire et encore des livres scolaires trop chers... Elle a souligné que l'interdiction de "correction physique" devrait être compensée par une formation à la parentalité...
Un point particulier a été fait concernant les doctorants. Ainsi le montant des bourses diffèrent selon les territoires : 1200 euros par mois en Martinique ou à la Réunion, 1320 en Guadeloupe, 1210 à 1265 à Mayotte et 3 à 4000 euros par an en Guyane tandis que la Région Ile-de-France offre 1400 euros par mois et y ajoute une aide à la mobilité...
Extractions minières
Mais le débat le plus passionné a été celui lié au droit à un environnement sain... "Montagne d'or, sargasses, chlordécone", a résumé le modérateur de la table ronde pour ouvrir le débat... Nicole Questiaux, ancienne ministre, ancienne présidente de la CNCDH et ancienne présidente de section au Conseil dEtat, a rappelé la position de la CNCDH sur "les dangers que les activités extractives en Nouvelle-Calédonie et en Guyane font courir aux populations locales". Comme Gabriel Serville qui, au sujet de la Montagne d'or, en priait la veille Nicolas Hulot à l'Assemblée nationale, la CNCDH recommande un moratoire "pour responsabiliser toutes les parties prenantes". Elle veut des études sur les risques, des études d'impact, et ensuite des actes de l'ensemble des administrations en matière de santé et de sécurité. Florencine Edouard, fondatrice de l'Organisation des nations autochtones de Guyane, a plaidé "la citoyenneté autochtone marquée par l'harmonie avec la nature". Elle assure que le développement guyanais, c'est d'abord lutter contre la biopiraterie. "Il ne suffit pas, lance-t-elle, de dire non à la Montagne d'or pour protéger l'Amazonie, mais que dire à ceux qui veulent du développement économique ?" Denez Lhostis, président d'honneur de la fondation Nature Environnement, s'est clairement positionné contre, parlant même de "projet dangereux et mortifère". Philippe Edmond-Mariette, avocat martiniquais et membre du Conseil économique, social et environnemental, en appelle à l'arme de la justice pour s'opposer au code minier, pour réclamer des indemnisations dans le dossier du chlordécone ou celui des sargasses à l'instar de ce que les Polynésiens ont obtenu pour les essais nucléaires dans la loi égalité réelle outre-mer. "Il y, a une place pour une justice climatique", a-t-il martelé et lui qui a gagné un procès à Cayenne contre les promoteurs de la Montagne d'or, assure que « rien ne résiste à l’opinion publique lorsqu’elle est en mouvement ». Dans la salle, une militante de "Or de question" lui répond : "Ce n'est pas le code minier qui est périmé, mais l'industrie minière !"
FXG, à Paris
La réponse de Thierry Bert
Invité à clôturer le colloque en lieu et place la ministre des Outre-mer qui n'a pu répondre à l'invitation de la CNCDH, le coordinateur des assises des Outre-mer, Thierry Bert a décelé un inconscient dans l'intitulé de ce colloque : "A vos droits m'a fait pensé au départ d'une course pour acquérir des droits... dans l'essentiel, nous savons que les droits y sont mais que le problème, c'est l'effectivité des droits mais aussi la cohérence de ces droits entre eux. Quelle est la cohérence du droit à l'environnement et du droit à l'emploi ? Quelle cohérence entre les droits et le droit, y compris le droit constitutionnel car si nous voulons faire prévaloir des droits mais qu'il s'agit de marcher sur les platebandes des collectivités territoriales pleinement compétentes, nous n'en avons pas le droit." Et Thierry Bert annonce qu'il rejoint le député Serville en disant, pince sans rire, "Moi non plus, je ne crois pas au livre bleu, je crois simplement à une prise de conscience générale des populations, des collectivités, des élus, de nous -mêmes, pour mettre à nos marques et effectivement commencer la course." Il résume ce colloque à un dialogue entre "éthique de conviction et éthique de responsabilité"... Il renvoie ainsi la cherté des livres scolaires à leur non exonération de l'octroi de mer par les collectivités, le manque de transport scolaire à la défaillance des communes... "Ce sont des questions beaucoup plus gênantes qui doivent néanmoins être posées pour que nous puissions progresser dans la vérité, dans la transparence et tous ensemble..."