L'affaire George Floyd et la France
Violences policières : la France peut-elle dédouaner sa police de racisme ?
L’affaire George Floyd pourrait-elle se passer en France ? Sur les plateaux télé, les éditorialistes n’ont pas lésiné pour dédouaner la France d’être un pays raciste du point de vue institutionnel. Le ministre de l’Intérieur lui-même dans son allocution au sujet de la question du racisme et de la mise en cause des forces de l’ordre, le 8 juin dernier, n’a-t-il pas déclaré : « J’aimerais que chacun se rappelle que la France, ce n’est pas les Etats-Unis, se rappelle que policiers et gendarmes (…) sont là, sans cesse, présents, face au terrorisme, face au crime, face aux trafics, face aux violences, face au racisme, aussi. » Christophe Castaner a même précisé : « Il n’y a pas d’institution raciste ou de violences ciblées. Il n’y a qu’une police républicaine au reflet de la société. » Il avait pourtant écouté les podcast d’Arte Radio dénonçant les propos ouvertement racistes échangés dans un groupe facebook de 2000 policiers… « La police française, ce n’est pas la police américaine », a martelé le ministre. Mais il a admis que personne ne doit risquer sa vie lors d’une interpellation. : « La méthode de la prise par le cou, dite de l’étranglement sera abandonnée et ne sera plus enseignée dans les écoles de police et de gendarmerie. » C’est celle-ci qui a abouti à la mort de George Floyd ou celle de Cédric Chouviat.
Le racisme comme justification de l’esclavage
Certes, la France n’a pas connu la ségrégation comme les Etats-Unis, mais elle a été colonialiste et esclavagiste. Ainsi que le dit le président de la Fondation Mémoire de l’esclavage, Jean-Marc Ayrault, « le racisme est une idéologie qui s’élabore sur le développement de la traite esclavagiste et qui en devient la justification. (…) En France, il n’y a pas longtemps qu’on réévalue la part de l’esclavage dans la formation du racisme anti-noir, bien que les sociétés antillaises, guyanaise, réunionnaise, chacune de façon particulière, aient été façonnées par le « préjugé de couleur » comme on disait. » Depuis l’assassinat de George Floyd, on évoque Adama Traoré, jeune Noir mort étranglé par des gendarmes à Beaumont sur Oise. Mais les autres, les nôtres ? Ici, dans ces colonnes, depuis des années, nous relatons des « bavures policières » à l’encontre d’Antillais noirs. Elles sont nombreuses, même si, par chance, on n’a guère compté de décès, à l’exception notoire de ce CRS guadeloupéen, Jean-Marc Niçoise, que son chef avait traité avec deux de ses collègues antillais de « banania » et qui a fini par se donner la mort à l’âge de 36 ans… Et oui, même la police est victime de racisme dans la police… Le brigadier martiniquais Georges Sully, affecté à la sécurité des déplacements du président de la République, a subi un contrôle abusif et violent alors qu’il allait prendre son train pour aller travailler… Deux ans après les faits, le parquet n’avait toujours rien fait, l’obligeant à déposer une nouvelle plainte avec constitution de partie civile…
Etranglé au point d'avoir eu du mal à ingurgiter pendant trois jours
Plus récemment, c’est le jeune Martiniquais Mathieu Barre qui se faisait tabasser en sortie de boite de nuit à Paris : fracture du crâne. "C'est parce que je suis Noir qu'ils m'ont frappé et la question que je me pose : ces violences resteront-elles impunies ?", demandait alors la victime avant d’être entendue par l’IGPN. Son dossier judiciaire n’est pas encore bouclé… Nous avons aussi raconté la mésaventure de la martiniquaise Kathleen Gervinet, 25 ans, hôtesse à l'aéroport Roissy Charles de Gaulle, contrôlée par un équipage de police alors qu'elle se rendait à son travail un matin d’avril 2018. Elle aussi a une plainte en cours à l’IGPN. Etienne John, Marie-Galantais de 25 ans, serveur dans un restaurant du Marais, s’est retrouvé poursuivi pour outrage sous l'empire d'un état alcoolique alors qu’il a été violemment interpellé au moment où, revenant du travail, il rangeait un vélib. Il assure avoir été étranglé au point d'avoir eu du mal à ingurgiter pendant trois jours. "J'ai été gardé en cellule toute la journée... J'ai compris qu'ils me reprochaient un outrage parce que j'ai contesté..." Les policiers s’étaient trompés de personne, à l’instar du titre du livre du Martiniquais Gilles Roussi, « Tous les nègres se ressemblent »… Les artistes Kalash et Admiral T, eux aussi, ont eu à subir garde à vue et procès en raison de leur apparence ! Dix ans avant eux, c’est encore un Martiniquais qui a été victime de violences policières, c’était l’avocat du serial killer Guy Georges, Me Ursulet. Depuis, ce dernier s’est fait une spécialité de défendre les victimes de violences policières. Il est parvenu à faire condamner l’Etat deux fois. La première pour déni de justice dans l’affaire des CRS « Banania » et la seconde pour traitements inhumain ou dégradant par la Cour européenne des droits de l’Homme. Cette fois, c’était un Français d'origine maghrébine rendu infirme après un contrôle musclé dans une gare SNCF et débouté par la justice française. Onze ans après les faits, la France a été condamné à lui verser plus de 6 millions d’euros en réparation de son préjudice.
Le numéro RIO des policiers doit être visible
Depuis l’affaire Floyd et la manifestation de soutien aux proches d’Adama Traoré, Christophe Castaner a adressé aux directeurs généraux de la police nationale, de la gendarmerie nationale, de la sécurité intérieure et au préfet de police une instruction : « Aucun accroc à la déontologie ne peut être toléré. Aucun raciste ne peut porter dignement l’uniforme de policier ou de gendarme. » Désormais, une suspension sera « systématiquement envisagée pour chaque soupçon avéré d’actes ou de propos racistes », les procédures disciplinaires seront toujours « engagées en parallèle des procédures pénales ». Enfin, répondant aux critiques émises sur les contrôles au faciès, le ministre de l’Intérieur rappelle que « chaque policier et gendarme doit porter, visible, son RIO et je demande également que l’usage des caméras piéton soit renforcé lors des contrôles d’identité ». Le moment a été mal choisi par le député LR Eric Ciotti pour déposer une proposition de loi punissant de 15 000 euros d’amende toute personne filmant la police.
FXG
Les Noirs ont six fois plus de risques d’être contrôlés que les Blancs
A la station de métro Châtelet, la probabilité de contrôle des Noirs* est 11,5 fois plus grande que celle des Blancs ; au métro Gare du Nord, elle l’est de 6,7 fois ; sur la place de la Fontaine aux Innocents et au RER de la gare du Nord, elle l’est respectivement de 3,9 et 3,3 fois. Globalement, ils ont six fois plus de risques d’être contrôlés que les Blancs. Cette donnée établit clairement que les Noirs font l’objet d’un contrôle au faciès. Les Arabes sont également davantage contrôlés que les Blancs : dans l’ensemble, leur probabilité de contrôle est 7,8 fois plus forte que pour ces derniers.
*Sources : René Lévy, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) du CNRS, co-auteur avec Fabien Lévy d’un rapport publié en 2009, Police et minorités visibles ; les contrôles d’identité à Paris