Jean-Jacques Seymour in pace

JJS en 2009 à Tropiques FM

Jean-Jacques Seymour : « Je suis un précurseur de médias indépendants »

Le 6 octobre 2015, France-Antilles Martinique publiait le portrait « grand-témoin » de Jean-Jacques Seymour réalisé par FXG, lequel fut son chef d'édition lorsqu'il était rédacteur-en-chef à la Une Guadeloupe. Le 13 octobre, Jean-Jacques Seymour est décédé à l’hôpital de Versailles. Nous republions ce grand entretien.

Jean-Jacques Seymour a débuté sa carrière de journaliste en 1975 à France-Antilles, alors que démarrait l'aventure de Radio Jumbo et de RCI.

Vous avez assisté à la naissance des premières radio-périphériques des Antilles françaises. Comment cela s'est-il passé ?

Patrick Mayer, le patron de Radio Jumbo installée à la Dominique, me demande de lui envoyer un papier pour qu'il juge un peu de ma voix. Deux jours après, il reçoit une bobine enregistrée à Fort-de-France. Aussitôt, il me téléphone : « Tu prends l'avion samedi pour Roseau : tu es embauché » . Je m'installe à l'hôtel Sisséou et je fais connaissance de la rédaction locale qui est logée dans la salle à manger de l'hôtel. C'est là qu'on m'annonce que je vais être correspondant permanent pour la Martinique...

C'est de là que vous avez bâti ce qui va marquer votre carrière : la connaissance du tissu politique local ?

J'ai rencontré Camille Darsières, le président Emile Maurice, les députés Victor Sablé, Camille Petit, le remarquable orateur qu'était Jean Maran, socialiste devenu UDF... J'arrivais tout jeune avec ma touffe de cheveux dans ce milieu, le micro à la main. Tout le monde m'accueillait. Cependant, l'interview qui a marqué les auditeurs de la Martinique est celle d'Aimé Césaire diffusée sur radio Jumbo. C'était une heure d'entretien ! Jamais Césaire n'avait eu une telle interview...

J'ai ainsi fait mes premières armes sur radio Jumbo jusqu'à ce que ce média se trouve en difficulté et soit repris par Guy Noël, qui avait installé Radio Caraïbes à Sainte-Lucie.

Vous entrez alors à RCI...

J'ai commencé le 15 janvier 1978 à RCI. J'avais rencontré quelques jours auparavant Jean-Claude Asselin de Beauville, un des administrateurs de la radio et l'animateur Baltazar. Ce dernier m'avait lancé goguenard : « Bientôt tu seras chez nous, toi! »

Vous avez vécu donc l'enfance de RCI...

C'était l'époque où l'on appelait le standard des Postes-télégraphes-téléphone. On pouvait avoir la communication en dix minutes comme en une heure! Avec des pinces crocodiles, j'envoyais le son de mon nagra et j'envoyais les explications par télex... On pouvait y passer des heures.

Qu'est-ce qui a changé pour les radios avec l'arrivée des socialistes en 1981 ?

RCI a été placée sous la tutelle de la société de financement des radios, la SOFIRAD alors dirigée par Xavier Gouyou-Beauchamp. Il la cède à la Compagnie européenne de publicité, dirigée par Robert Augier et son beau-frère Jacques Dauphin, l'afficheur. Puis, en 1984, RCI revient à la SOFIRAD et au Fabiusien Gérard Ringer... A ce moment-là, j'ai été enfin nommé officiellement au poste de rédacteur en chef, alors que jusque-là, j'en fais ais office. Je suis resté à ce poste jusqu'à la naissance de Télé Caraïbes international en 1994.

Qu'est-ce qui vous a marqué à cette époque ?

Ce sont les menaces de l'ARC (Alliance révolutionnaire caraïbes). De ce fait, mon domicile a été placé sous surveillance policière pendant quatre mois.

Parce que vous représentiez Radio Caraïbes, qui comme RFO et France-Antilles étaient taxés de « médias colonialistes » par les indépendantistes ?

Les indépendantistes parlaient bien sûr de ces médias comme des médias officiels, mais ils faisaient la part des choses. A l'intérieur de ces médias, il y avait des gens proches de la mouvance de l'ARC, mais ils ne développaient pas leurs idées en quoi que ce soit. Au contraire, pour parler très clairement, ils prônaient le respect des uns et des autres. Il ne faut pas oublier qu'avec RCI et radio Jumbo, nous avons été les médias qui ont libéré la parole. J'ai participé à l'aventure bien avant 1981. Quand, en 1975, je fais parler Aimé Césaire une heure sur Jumbo, c'est un événement révolutionnaire ! Lui qui n'avait droit qu'à trois minutes de radio par an au moment du vote des budgets !

Vous êtes devenu un spécialiste de la Caraïbe...

De 1977 à 1981, notre rédacteur en chef était l'ancien secrétaire général de la rédaction d'Europe 1, Patrice Louis. Patrice voyait grand. Il a très vite compris qu'au-delà de la Martinique et de la Guadeloupe, il y avait un environnement. Ma chance à moi, qu'aucun journaliste ne pourrait plus avoir aujourd'hui, est d'avoir été présent dans cette radio au moment de la décolonisation des petits Etats de la Caraïbe. Londres a lâché toutes ses îles et j'ai assisté à toutes les montées des drapeaux. Je deviens le spécialiste par mes rencontres avec des Premiers ministres ou les hommes politiques importants de ces nouveaux Etats caribéens...

Avez-vous rencontré Maurice Bishop, l'éphémère chef du gouvernement révolutionnaire de la Grenade ?

Non seulement je l'ai connu, mais profitant de la dernière tournée dans la Caraïbe d'Olivier Stirn, alors secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, je me suis retrouvé à Grenade avec Bishop. C'est la dernière fois que nous l'avons vu vivant avant les événements de 1984 durant lesquels il a été tué.

Vous sembliez plus proche de nos voisins qu'on ne l'est aujourd'hui...

Nous avons formidablement reculé! En 1975, il y avait aussi Radio Antilles qui était basée à Montserrat. Cette station avait plusieurs programmes dont un en français sur la Caraïbe, tous les jours à 17 heures. A l'époque, on était informé sur Sainte-Lucie, la Dominique, Grenade, la Barbade... Aujourd'hui, on n'a plus ça et c'est dommage. On reste franco-français.

Pourquoi avez-vous quitté RCI ?

Je n'ai pas quitté la radio. Le président Robert Augier et Jean-Claude Asselin de Beauville me demandent de participer à la création de TCI, Télé Caraïbes international... Cette chaîne aurait dû aller loin, si elle n'avait été victime des antagonismes martiniquais et guadeloupéens. Elle a mis du temps à démarrer et la Martinique a dû supporter tous les frais de lancement qui auraient dû être mutualisés avec l'ouverture de TCI Guadeloupe. C'est ainsi qu'ATV, l'autre chaîne privée, très offensive à l'époque sous la houlette de François Faivre, a pu prendre son envol au détriment de TCI.

Vous souvenez-vous de votre première apparition sur TCI ?

C'était dans le journal T V, « Bonsoir chez vous » . Ça a été un bon slogan ! C'est à dire que nous rentrions chez les gens à 19h30, l'heure à laquelle les familles s'installaient pour dîner. Dès le départ, notre audience a été fulgurante. Outre le JT, j'animais le Grand Oral et une émission de reportages sur la Caraïbe, réalisés par Pascale Lavenaire. C'était bien avant RFO et Marie-Claude Céleste qui sont arrivés avec des moyens plus importants que les nôtres ! J'avais signé un accord avec Harry Mayers, le grand patron de Caribbean Broadcasting Union à la Barbade, pour avoir toutes les images de la Caraïbe. Cette formidable aventure a duré trois ans, mais nous étions étouffés à devoir du pognon à tous les fournisseurs. Nous avions de très bonnes émissions, mais notre erreur stratégique a été d'imiter RFO qui retransmettait du foot et on achetait le match ! Je suis parti quelques mois avant le dépôt de bilan.

Vous entrez à ICS, une radio qui a bien moins d'audience que RCI. Pourquoi pas à RCI ?

Je ne sais pas si RCI avait besoin de moi (rires), mais moi je sais qu'à partir du moment où l'on a un micro, on peut faire passer ses messages ! Avec ICS, on est parti de 1% d'écoute pour arriver à plus de 9%

C'était considérable. J'avais bien compris qu'avec cette seule fréquence, on n'y arriverait pas. Je suis allé voir physiquement les dirigeants de toutes les radios libres de la Martinique. Je leur ai proposé gratuitement de diffuser mon journal de midi et celui de 18 heures en direct. Une fois par mois, j'allais dans une de ces radios pour y réaliser mon journal. Du coup, on a élargi le spectre de notre auditorat pour nous retrouver sur le même territoire, à égalité avec RCI, avec moins de personnels, moins de moyens financiers, moins de tout, mais nous avions une grande écoute...

Vous partez à Paris en 2004 et lancez avec succès le mensuel Kankan infos et c'est l'infarctus...

J'ai 55 ans. Je passe à 19 h 10 dans la rue Lafayette, face à la Commission de la carte de presse des journalistes professionnels et je ressens la première décharge. Je me rends dans une pharmacie proche et le pharmacien appelle les secours aussitôt. Je m'en sors. Kankan est repris par un Guadeloupéen qui disparaît de la circulation après un numéro... Je continue de collaborer avec Amina pour qui j'écris des portraits quand survient la bataille pour Médiatropical, puis Tropiques FM.

La plupart des grandes figures de RCI sont passées par RFO sauf vous ! Pourquoi ?

J'ai une certaine indépendance. Le service public et moi, ça fait deux (rires)! En fait, je suis un précurseur de médias indépendants. Dans ce métier que je pratique, il ne faut pas se laisser encrouter dans un système, si on veut évoluer. Aujourd'hui, je suis obligé d'aller en Afrique pour monter des projets. Est-ce normal ? Je monte une radio en Afrique de l'Ouest avec des Africains constructeurs !