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Publié par fxg

Le roman de Brival n'était malheureusement pas dans ma sélection 2024 du prix Fetkenn'-Maryse Condé

Le roman de Brival n'était malheureusement pas dans ma sélection 2024 du prix Fetkenn'-Maryse Condé

Richard Wagner, le nègre et l’écrivain

Le nouveau roman du Martiniquais Roland Brival qui sort le 2 septembre, met aux prises le grand compositeur Richard Wagner avec un ancien esclave martiniquais. Une intrigue qui permet à l’auteur de pousser plus loin la réflexion autour du « Je est un autre ».

Roland Brival fait un retour remarqué en littérature avec « Les derniers jours de Richard Wagner » que publie Caraïbéditions. Depuis la publication des « Fleurs rouges du flamboyant » (Mercure de France, 2018) le Martiniquais, auteur d’une vingtaine de livres depuis 1978, n’avait plus publié de roman. Cette fois, il s’empare d’un personnage dont la musique « est d’une telle portée que jamais auparavant on n’avait eu connaissance de ces territoires inconnus ». Wagner, c’est La Walkyrie, Tristan et Isolde, L’or du Rhin, mais c’est aussi celui qui préfigure les idées nazies de pureté raciale lorsqu’il publie en 1850, puis sous son nom, en 1869 « Le judaïsme dans la musique » et qu’il affirme que l’assimilation juive dans la culture française empêche de voir « l’influence corrosive de l’esprit juif sur la culture moderne ». Brival choisit d’offrir à ce génie musical dont Hitler a fait son maître, un domestique noir, Barnabé Morel, un Martiniquais né esclave avant d’être affranchi en 1848 et d’émigrer en France hexagonale. Au service du compositeur allemand établi à Venise les dernières années de sa vie, le Martiniquais entreprend de raconter, sous forme de lettres jamais expédiées, son quotidien à sa sœur restée au pays. C’est la découverte de ce manuscrit qui fait le fond du roman. D’emblée, quand Barnabé aide Wagner à s’habiller, ce dernier se comporte comme si son valet n’existait pas. « Comme si, au lendemain de l’abolition, nous nous étions réveillés pour découvrir que nous ne sommes rien. Des gens sans fond, sans mémoire, sans racines. Des hommes devenus à ce point étrangers à eux-mêmes qu’il ne leur reste plus qu’à se chercher ailleurs une trajectoire, un sens, une route qui puisse leur conserver l’espoir de retrouver un jour le royaume des vivants. » Barnabé a donc décidé de percer le mystère qui entoure le compositeur… Dans le palais de Wagner, nulle trace d’esclaves noirs enchaînés. « Nos semblables n’y figurent que sous les traits de serviteurs, de princes ou de marchands africains réduits aux rôles de figurants ». Chez les Wagner, Barnabé n’est qu’un enfant, « un adulte dépourvu de la maturité requise pour prétendre les égaler ». Et voilà Brival projeté malgré lui sur sa part d’identité noire. Ce n’était pas prévu ! « En France, écrit-il, le racisme n’est pas institutionnel ou franchement assumé comme il peut l’être aux Etats-Unis. Il se dissimule. Dans la désinvolture ou l’ironie d’un regard (…) Un sourire de façade. Un surnom exotique donné comme le gage d’une amitié forcée »

Qu’est-ce qu’un Noir, un Blanc, un Juif ? La réponse est un homme

A travers la relation du maître antisémite et son serviteur noir, Brival, fils d’une Normande et d’un Martiniquais, se confronte à la difficulté d’être l’autre. Comme son héros. « Il ignore encore le bruissement des koras, le frémissement des trompes en corne de buffle et en métal forgé, ou le souffle d’un orchestre de mille balafons réunis »… Et comment le grand Wagner « pourrait-il admettre qu’il puisse exister, en dehors d’une fosse d’orchestre, une musique toute aussi noble que la sienne ? Mais, non. Violons, hautbois et piano. Voilà ce que nous ont appris les Blancs, nous détournant de nos musiques d’origine ». Qu’est-ce qu’un Noir, un Blanc, un Juif ? La réponse est un homme, mais dans la Venise de cette fin du XIXe siècle, tout n’est que « leurre de paradis » dont Barnabé « traque les mensonges et les trahisons ». Le racisme n’est pas pour Brival qu’une question de couleur de peau, c’est aussi et surtout « une tentative désespérée afin d’interdire à l’autre l’accès à un territoire de pensée, à une culture, à une essence ». Et Wagner se met à penser au racisme, « dernier rempart d’une humanité hideuse derrière les murs illusoires de la haine et de la bêtise », Wagner subitement s’interroge en regardant son valet noir : « L’Allemagne a besoin des Juifs pour devenir la grande nation dont elle rêve, tout comme l’Europe aura un jour besoin des peuples de ses colonies. »

Grâce à cette réflexion romanesque sur Wagner et son nègre, Roland Brival plonge en lui-même sans fausse pudeur, il réalise qu’après des années de surexposition médiatique où il fut l’auteur fétiche de grandes maisons d’édition, il a vécu l’effondrement des ventes de ses livres, chaque fois un peu plus déçu par le reflet de son image dans son miroir… « Je me cherchais ailleurs et ne me trouvais pas… Je n’existais qu’à travers les yeux de l’autre tout en affichant à la ronde une allure d’homme arrogant. » C’est le message de Barnabé Morel, né esclave : « Oublier les discours des larmes et des complaintes. Effacer les dettes et les armoiries de la haine. S’ouvrir à l’autre comme s’ouvrir à soi-même. Se construire au-delà de toute forme d’appartenance. » En ce sens, le roman de Brival est une belle ode à l’humain comme en sont capable les écrivains de l’antillanité.

FA Paris

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