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Publié par fxg

Le rapport Lurel expliqué par Lurel

Au moment où l'on commémore les 70 ans de la départementalisation, Victorin Lurel propose au gouvernement les pistes pour changer de modèle économique avec l'égalité économique réelle. Interview.

"Un big bang et un état d'urgence sociale"

Dans le rapport que vous avez remis mardi 15 mars à George Pau-Langevin et Ericka Bareigts, vous évoquez la nécessité d'un big bang pour l'outre-mer. De quoi s'agit-il ?

Après l'égalité civique de 1848, l'égalité politique et institutionnelle de 1946 et l'égalité sociale dans la décennie 1990, il faut aujourd'hui l'égalité économique et donc bousculer les procédures. Le principal vecteur d'égalité, c'est l'emploi. Un big bang, c'est zéro charge sur l'emploi, des zones franches globales partout, l'interdiction de laisser sortir un jeune du système scolaire sans le placer en formation pour une qualification, c'est une priorité forte accordée aux TPE/PME qui constituent l'essentiel de notre tissu productif en leur donnant un tiers des marchés publics, en leur accordant une priorité pour la cession de leurs créances commerciales... Si après deux mois, leurs factures ne sont pas payées par les collectivités, les grands clients, les titulaires de marchés publics lorsqu'ils sont sous-traitants, ces créances doivent pouvoir être cédées sans frais à une banque publique comme la Bpi qui elle a les moyens du recouvrement...

Vous avez aussi parlé de "décréter l'état d'urgence sociale"...

Il faut décréter un contrat unique d'embauche, régionaliser le SMIC tout en gardant son niveau national avec une compensation différentielle par l'Etat et Pôle emploi. En cas de mauvaise conjoncture, quand le chiffre d'affaires diminue, il faut que le chômage reste le dernier recours. Il faut donc maintenir les salariés dans l'entreprise et dans l'emploi comme le font l'Allemagne et le Canada. On diminue le temps de travail de tous les salariés, mais la différence entre leurs salaires et le temps partiel doit être compensé par Pôle emploi et l'Etat. On a sauvé plus d'un million d'emplois comme ça en Allemagne !

Pour proposer ce changement de modèle, ne faut-il pas lever des verrous institutionnels ?

Oui, il faut modifier la rédaction de l'article 73 de la Constitution parce que le Conseil constitutionnel a une interprétation restrictive de la notion d'adaptation. Même chose pour la Commission européenne et la Cour de justice de l'Union européenne qui ont une conception restrictive de la dérogation et du droit dérivé. Une rédaction nouvelle de l'article 73 doit tenir mieux compte des handicaps permanents, des caractéristiques et des contraintes particulières.

Vous proposez aussi d'ouvrir le champ des habilitations à la Réunion qui en est privée depuis l'amendement Virapoullé de 2003...

Il faut réintégrer la Réunion dans la possibilité de fixer la règle. Ils ont un pouvoir d'habilitation, mais ils ne peuvent pas changer les règles dans certaines matières. Cette frilosité de Jean-Paul Virapoullé à l'époque doit être surmontée. Le député réunionnais Jean-Jaccques Vlody a déposé une proposition de loi constitutionnelle pour réintégrer la Réunion dans le giron des habilitations.

Cela ne suffit pas à changer de modèle...

C'est vrai, il faut aussi travailler au pouvoir d'achat, ça veut dire prendre en compte la situation des retraités qui gagnent moins que le seuil de pauvreté. Il faut un complément temporaire de retraite pour leur permettre d'atteindre au moins le minimum vieillesse, c'est-à-dire 60 % du revenu médian, à peu près 980 euros. Il faut augmenter les salaires et donc que les cotisations salariales ne soient plus payées et que l'on compense par une augmentation de la TVA... Parce que c'est la consommation qui tient la croissance. Il faut organiser les consommateurs, ces gens qui élisent chaque jour des produits en les achetant. Il faut en démocratie libérale et de marché un contre-pouvoir consommateur...

Vous insistez aussi sur le foncier, pourquoi ?

Le foncier joue un rôle considérable dans nos économies insulaires. Il faut, lorsqu'il existe pouvoir l'hypothéquer, pouvoir le vendre et ce n'est pas toujours le cas. Il faut donc là où il y en a, comme en Guyane, une réforme foncière sur au moins 100 000 hectares pour mettre à la disposition des acteurs économiques du foncier disponible à prix raisonnable. Et pour éviter la spéculation, on peut le faire avec des groupements fonciers agricoles copossédés par les acteurs économiques et une banque. Ailleurs, il faut rétrocéder la bande des 50 pas géométriques. C'est prévu pour 2021 ; il faut donc faire le cadastre et statuer dès maintenant sur l'avenir de ces terrains.

Vous insistez aussi sur la nécessité de maintenir sur place l'épargne locale, pourquoi ?

Il faut du crowdfunding et crowdlanding, de l'épargne publique locale via les plateformes collaboratives pour investir sur place, notamment pour les projets des TPE/PME. On peut aller plus loin et imaginer le bit coin (si j'avais été réélu, je l'aurais fait en Guadeloupe), une monnaie locale réservée à la production locale ! Le fonds d'investissement de proximité (FIPDOM) n'est hélas cantonné qu'aux épargnants locaux. Il faut permettre à nos FIPDOM d'aller collecter l'épargne sur tout le territoire national. Il y a aussi les primes d'assurance qui ne sont pas réinvestie chez nous. Je demande à ce que 5 % de cette collecte soit investie dans le logement social et intermédiaire.

Vous abordez aussi la part que les Outre-mer pourraient mettre au service de ces plans de convergence. Quelles sont les marges de manoeuvre de nos territoires ?

Dix ans après le lancement de la marche vers l'égalité réelle, il faudra penser à la contribution des collectivités et des territoires. Les apports pourront venir de la masse des sur-rémunérations des fonctionnaires. Ca ne s'appliquerait qu'aux nouveaux entrants dans la fonction publique, on ne touchera pas aux droits acquis. Il faudra le faire en fonction du coût de la vie, de l'inflation locale. Nous demandons la même chose sur la réduction d'impôts sur le revenu. Aujourd'hui, le salaire déclaré au fisc est déjà au niveau du salaire moyen national et parfois un peu plus élevé. Il faudra là aussi demander une contribution en fonction des facultés de chacun. Nous pouvons aussi aller trouver des ressources avec la TVA. Il n'y en a pas à Mayotte ni en Guyane avec un taux zéro. Il faudra au cours des 25 ans qui viennent arriver à mettre 1 ou 2 points de TVA supplémentaires, voire arriver au taux normal de TVA de 8,5 %. Nous pouvons encore agir en matière d'octroi de mer. Il ne s'applique actuellement qu'aux biens, mais pas aux services. C'est une piste de réflexion pour nos élus locaux. En tout nous pourrions parvenir à trouver 500 millions de réaffectation pour le financement des infrastructures publiques et la marche vers l'égalité.

Vous voulez ouvrir la défiscalisation aux équipements publics avec des partenariats public privé ?

Pour les infrastructures de transport, il faut pour chaque territoire entre 2,5 et 3 milliards sans compter le matériel roulant ou le personnel... On n'a pas les moyens même si on prend cinq ans pour le faire. Il faut donc de l'argent public de l'Etat et des contributions locales. A cela, il faut joindre l'argent privé en étendant la défiscalisation aux investissements publics... Et quand on aura fait ça, il pourra être envisagé, par les collectivités, de demander aux automobilistes de s'acquitter par exemple de péages pour entrer dans les villes, pour emprunter des équipements comme la nouvelle route du littoral à la Réunion. Il faudra aussi construire des routes solaires qui rapportent... Je n'ai pas osé dire dans mon rapport qu'il faut limiter le nombre de voitures par foyer et qu'il faut augmenter le prix du gazole... La réflexion sera peut-être engagée par des élus courageux.

Vous soutenez qu'il faut sortir d'une économie à rendement décroissant. De quoi s'agit-il encore ?

Avec l'Internet des objets, le big data, les coûts tombent ; les produits sont pratiquement à coût marginal proche de zéro. Cela va créer de meilleurs profits, des rentes comme on l'a vu avec Uber ou Airbnb en métropole. Ca change le fonctionnement du capitalisme, c'est pourquoi, il faut mettre à la disposition de tous le big data, c'est-à-dire d'utiliser les réseaux sociaux sans passer par des intermédiaires...

Cette loi d'orientation, finalement, ne fera-telle pas que formaliser les missions du ministère des Outre-mer ?

Elle va mettre plus de cohérence, plus de lisibilité et de visibilité dans l'action publique. Nous demandons au président de la République de réunir chaque année un comité interministériel de l'Outre-mer en mars avant de commencer la discussion budgétaire pour l'année suivante pour qu'on sache ce que tous les ministères font en faveur des Outre-mer. On aura un observatoire de la convergence du commissariat général à l'égalité des territoires, des études statistiques appropriées de l'INSEE et une évaluation tous les deux ans des plans de convergence par la commission nationale d'évaluation des politiques publiques outre-mer (CNEPEOM). Localement les assemblées devront tenir leurs engagements et les inscrire dans leurs débats d'orientation et leurs crédits budgétaires...

Des retours du gouvernement déjà ?

Vendredi, nous avons eu une première réunion d'analyse et de premiers arbitrages... Nous avons besoin d'évaluation sur les retraites par exemple, les infrastructures publiques... L'Etat fera ses calculs et nous proposera une trajectoire et les élus auront aussi à répondre à cette urgence sociale. Il faudra trouver la solution optimum budgétairement et fiscalement parlant pour l'Etat, les collectivités, les contribuables, les consommateurs et pour les entreprises. On demande des efforts à tous, mais l'Etat devra faire le premier effort pendant une dizaine d'années...

Propos recueillis par FXG, à Paris

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