Prise en charge des victimes d'actes de terrorisme : le témoignage de Thierry Dol
Trois ans après la libération des quatre otages d'AQMI au Niger, dont Thierry Dol, la prise en charge des victimes d'acte de terrorisme est encore balbutiante alors que depuis 2015 les victimes se comptent par centaines.
Thierry Dol a craqué
Thierry Dol a fini par appeler à l'aide. C'était après les attentats parisiens du 13 novembre 2015. "C'est en état d'urgence qu'on a vu mon état dépressif et suicidaire." Jusqu'alors l'ingénieur franciscain essayait de faire bonne mesure. Il souriait à ses amis, ses voisins, assurait qu'il allait au mieux... Mais au fond de lui, c'était la valse aux idées noires. "Beaucoup d'événements m'ont conduit vers un gouffre... Les attentats du 13 novembre, puis l'évasion de Rachid Rafaa ont développé chez moi un sentiment d'insécurité, d'angoisse." Dans le même temps, la presse publiait les révélations d'un ancien de la DGSE, Jean-Marc Gadoullet, laissant entendre que les otages d'AQMI au Niger, auraient pu être libérés bien avant le 29 octobre 2013... "Nous avons été des prétextes, s'insurge Thierry Dol, nous avons été instrumentalisés... Tout ça est peu propice à ce que je me projette dans l'avenir."
Le 11 décembre, Thierry Dol a eu 36 ans. Cette date correspond à son 1139e jour de liberté retrouvée, autant que sa détention dans le désert aux mains des islamistes.
"Chaque nouvelle menace d'attentats, explique le Pr Louis Jehel, psychiatre à l'hôpital Pierre-Zobda-Quitman, qui l'a pris en charge, vient réactiver les blessures que ressentent les victimes."
Sa première rencontre avec Thierry Dol a eu lieu via Martinique 1ère quand on lui a demandé de commenter le retour de Thierry Dol sous les acclamations des Martiniquais. "C'est bien l'euphorie, mais ça ne suffit pas à dissoudre la gravité, la peur, la souffrance... Il faut plus que trois ans pour se reconstruire, retrouver une trajectoire de vie qui ne soit pas celle imposée par les terroristes."
Impact traumatique
Ces trois dernières années ont été un grand moment de solitude pour Thierry Dol, revenu au pays trouver le réconfort auprès de ses parents. Si ce n'est le soutien sans relâche de son avocat qui l'a accompagné chez le défenseur des droits comme à l'Elysée (et dont ils sont à chaque fois ressortis dépités), il est resté livré à lui-même, sans prise en charge ni coordination de soins. "C'est comme si on ne prenait pas en compte le développement de sa vie psychique, commente le professeur. Les victimes ne veulent pas être en quête, mais être aidées car elles sont dans l'incapacité de retrouver leur autonomie."
Le centre de crise du CHU qui l'a accueillit n'existe que depuis 2013. "Grâce à ce service, je me suis raccroché à une branche, raconte Thierry Dol... C'est une situation de handicap d'avoir été dissocié et cela nécessite un statut protecteur comme pour les handicapés, même si le handicap est invisible à ceux qui ne savent pas le regarder." Il éprouve le sentiment d'avoir une dette envers les gens, "parce que tout le monde a fait beaucoup pour moi..." Il vit sa situation comme une phase d'attente, un moment difficile pour essayer de sortir du désespoir. C'est ce qu'on appelle l'impact traumatique. "Avoir le sentiment de revivre après sa mort, explique le Pr. Jehel, est très désorganisant. Cela peut aussi rendre asocial. Cette situation de valse-hésitation de la mort est d’un coût psychique monumental inimaginable. Ce n'est pas une angoisse de mort existentielle, mais un réel ressenti de détresse et de mort imminente face à la jouissance perverse du terroriste. Cette effraction dans la vie psychique déstructure les fondement s de la vie et les liens de confiance avec les hommes."
Le plus souvent, même les gens bien intentionnés sous-estiment l'impact de leur comportement sur la personne qui a traversé l’effroi de la rencontre avec la mort... "Demandez à une personne qui a été victime ce qu'elle devient, professe le psychiatre, et non pas comment elle va, ce qui l’exposerait au constaté répétitif de sa souffrance ! Et proposez lui votre aide active et douce, cela pourra réduire un peu le sentiment de culpabilité dont elle souffre."
Aujourd'hui, Thierry Dol préfère se déconnecter du temps de la société, mais il voudrait pouvoir donner son retour d'expérience, "pour que les nombreuses autres victimes aient un cadre plus adapté, plus humain que ce que j'ai eu."
FXG, à Paris
SOS Kriz
Après l'attentat de Nice, le dispositif d’intervention psychologique par les Cellules d’Urgence Medico Psychologique, a vraiment bien fonctionné pendant trois semaines, grâce à la mobilisation d’un grand nombre de régions dont la Martinique... Mais dans les mois qui ont suivi, la nécessité de développer des consultations est resté un problème crucial... "Le système s'améliore, assure le Pr. Jehel, pour le court terme mais il y a un déficit de ressources sur le moyen terme pour les consultations de psychotraumatologie. Il est nécessaire de mettre en place un lieu de soins et de consultation, agréable et confidentiel, mais également des ressources sociales et juridiques pour chaque région, dans un travail pluridisciplinaire."
Le Pr. Jehel a travaillé avec la direction générale de la Santé dans un groupe de travail dédié à la phase des interventions d’urgence, mais il plaide au-delà pour l’émergence des centres régionaux du psychotraumatisme. "Il n'existe pas encore de dispositif national ou régional pour les victimes, regrette-t-il, alors qu'il existe des centres de ressources à la disposition des intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles." Mercredi dernier, la société française de traumatologie (AFORCUMP-SFP) se réunissait pour élaborer des "référentiels de prise en charge" pour les victimes d'attentat et de catastrophes sanitaires et, la semaine précédente, Juliette Méadel, secrétaire d'Etat chargée de l'aide aux victimes, participait à une table ronde sur la réussite de l'accompagnement psychologique des victimes d'attentats et d'actes de terrorisme.
En Martinique, le Pr. Jehel a obtenu de disposer d'un centre de psychotraumatologie distinct, mais proche du CHU. Hélas, l'absence d'informatique et de secrétariat l'empêche de fonctionner alors que le local est loué depuis un an... Il existe toute de fois un numéro d'urgence "SOS Kriz" (0596 42 00 00) pour la Martinique qui n'est pas forcément la plus mal lotie puisque ce n'est que ce vendredi 16 décembre que la ville de Paris s'est dotée d'un comité local de suivi des victimes.
Une affaire dépaysée au tribunal administratif de Fort-de-France
Thierry Dol a engagé la responsabilité de l'Etat pour "faute lourde en ce que la France lui a porté assistance tardivement lors de la séquestration dont il a fait l'objet par Al Qaïda au Maghreb islamique entre 2010 et 2013". Le recours qu'il a déposé devant le tribunal administratif de Paris a été renvoyé devant la juridiction administrative de Fort-de-France.