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Publié par fxg

Lisette Malidor, une vie

Lisette Malidor, 73 ans, est née à Saint-Joseph où la meneuse de revue et comédienne a vécu jusqu'à l'âge de 14 ans. Cette interview doublée d'un portrait a été publiée dans France-Antilles Martinique le 8 mars dernier à l'occasion de la journée de la femme. (photos Alfred Jocksan)

"J'étais un petit animal un peu sauvage"

Qui étaient vos parents ?

Ma mère était couturière et a eu huit enfants. Elle se métamorphosait à chaque instant, passait de la négritude à l'Indienne... Son sang était tel un fleuve qui changeait de couleur... La peau, les cheveux, les yeux, c'était extraordinaire chez ma mère ! Mon père a fait partie des premiers à transporter la banane en France. Il avait beaucoup de talent, mais c'était un Martiniquais (rires), un coq martiniquais ! On pouvait lui ôter le pain de la bouche, mais impossible de lui enlever sa pochette de sa chemise. C'était un élégant qui portait des vêtements kaki repassés par ma mère. Il ne disait mot, mais son regard disait tout...

Comment la toute jeune fille que vous étiez a pensé à quitter son île natale ?

J'avais une tante qui s'appelait Dalise et qui avait eu l'occasion de connaître la France dans sa jeunesse pour y travailler. Quand elle en est rentrée, elle était déjà âgée, elle nous racontait l'histoire de sa vie en France et nous disait que là-bas, il y avait un doigt qui montrait le chemin... Cette image m'est restée dans la tête et j'ai toujours eu envie d'aller en France parce que j'avais ce doigt devant moi.

Dans quelles avez-vous débarqué dans l'Hexagone au début des années 1960 ?

A cette époque, la grande mode c'étaient des Françaises qui cherchaient des bonnes, des gardes d'enfant... Elles payaient le voyage pour ça. J'ai trouvé une famille (c'étaient des notaires) qui m'a fait venir à Pontoise pour m'occuper de leurs deux enfants. J'ai travaillé pour eux et remboursé mon voyage comme ça. J'arrivais dans cette petite province en hiver, avec une petite robe de couleur, sans manche. Je n'ai pas ressenti le froid tout de suite. J'ai passé alors un moment très difficile parce que je prenais conscience de cette nouvelle découverte de la France, de la vie... J'éprouvais un peu d'angoisse à me retrouver seule pour la première fois, loin de chez moi. Je suis vite partie à Paris chez un oncle qui a signé des papiers de prise en charge parce que je n'étais pas majeure et je suis allée voir des religieuses qui m'ont trouvé un travail chez un médecin. J'ouvrais la porte aux patients, je faisais le ménage... J'ai trouvé cette nouvelle famille comme ça. C'était formidable parce que ces gens étaient généreux dans leur façon d'être et c'est grâce à eux, peut-être, que je suis parvenue à faire de la coiffure et arriver là où je suis.

Comment êtes-vous devenue coiffeuse ?

La dame était très coquette et me demandait de la coiffer, ce que je faisais souvent. Elle était toujours très heureuse des coiffures que je lui faisais et c'est alors qu'elle m'a dit : "Vous devriez apprendre la coiffure." Mais, c'était très difficile pour moi deles quitter, de partir comme ça... Je n'avais pas de logement, pas de travail, rien du tout. Mais j'ai trouvé des gens qui m'ont donné une chambre de bonne contre quelques heures de ménage et je pouvais aller à l'école de coiffure et d'esthétique. J'ai fait l'école du Dr. Latour qui se trouvait sur les Champs-Elysées et quand j'ai eu mon diplôme, le vrai problème s'est présenté. Tant que j'étais au service des autres comme domestique, ça se passait très bien, mais le jour où j'ai voulu faire de la coiffure, ça devenait difficile parce que ça voulait dire être en contact avec les autres...

Vous avez alors découvert le racisme ?

Pour trouver du travail, j'allais tous les jours, très tôt le matin, dans les bureaux de placement. Ca a duré très longtemps. Tous les matins, j'y allais pour rien. Au bout d'un certain temps, on m'a donné des adresses de salons où je me rendais pour m'entendre dire : "Ce n'est pas ce que nous attendions." Ils ne voulaient pas de blacks. Mais je crois que chacun de nous dans la vie a une porte, un destin, une chance... Nous pouvons aussi avoir le malheur total, dans toute sa vie... Mais moi, j'ai eu de la chance car dans ce bureau de placement où j'allais tous les matins, est arrivé un homme qui cherchait une fille pour faire des shampooings et manucures dans un salon de coiffure du 16e arrondissement. Je vois encore ce monsieur, petit, presque chauve, autoritaire, Jacques Vallez, devant l'agent du bureau qui lui disait en me regardant : "Je suis désespéré parce que cette fille vient tous les matins chercher du travail et elle ne trouve rien." Jacques Vallez est venu vers moi et m'a dit : "Vous savez faire des shampooings ?" Je lui dit : "Oui et non, je sors d'école, je n'ai jamais travaillé..." C'était un lundi, jour de fermeture des salons ; un des employés de M. Vallez était tombé malade. Il m'a emmené, en métro, et nous sommes arrivés dans ce tout petit salon où il recevait de vieilles bourgeoises. Il s'est installé dans le fauteuil, a posé sa tête et m'a dit : "Vous allez apprendre à faire un shampooing." Il n'avait pas de cheveux et j'ai dû lui faire trois shampooings ! "Ca va aller, m'a-t-il dit, mais surtout, ne mouillez pas la robe des dames." C'était ma hantise ! Il m'a conseillé d'acheter une petite blouse blanche et j'ai commencé le lendemain. Quand les bourgeoises m'ont vu, elles n'osèrent rien dire parce que ce monsieur avait une très forte personnalité. Il était comme un père. Le midi, personne ne sortait ; il faisait cuire du riz dans une petite pièce au-dessus du salon et nous mangions toutes avec lui.

Et pourtant vous n'êtes pas restée...

La fille que je remplaçais a prolongé son arrêt de un à six mois. Quand elle est revenue, j'ai dû partir. Un représentant de shampooings Loréal est passé et il connaissait tous les salons. Il a parlé de moi et j'ai atterri à l'hôtel Normandie à Deauville pour la saison d'été, puis dans un salon de la rue Milton. Il était tenu par un Juif pied-noir communiste qui vendait l'Humanité dans le salon et tout les cadres du siège du parti communiste, voisin, venaient s'y faire coiffer. J'ai ainsi rencontré Georges Marchais mais encore le directeur du théâtre du Palais royal, Jean-Michel Rosière. J'ai assisté à nombre de discussions politiques dans ce salon avec des rasoirs qui sifflaient sur la tête des gens ! Je suis restée deux ans dans ce monde de fourmillement de gens divers, avec des pensées diverses, qui discutaient de politique et étaient complètement à gauche !

C'est là que votre destin a basculé ?

Dans ce salon,  venait un M. Leblanc, responsable d'une société qui s'occupait de tous les programmes et toutes les glaces de tous les théâtres de Paris dont le Casino de Paris qui venait d'être repris par Roland Petit et sa femme Zizi Jeanmaire. Et M. Leblanc me demande si je connaissais des jeunes qui voulaient aller vendre des programmes au Casino. Je me propose ; il me dit qu'il ne sait pas, qu'il va demander... Il revenait toujours sans réponse... Comme j'insistais, il m'a emmené avec lui pour me présenter au directeur. Il était midi. Le directeur m'a à peine regardé et a dit : "Bon, ça va, ça va aller..." Et c'est comme ça que je suis entrée au Casino de Paris, pour vendre des programmes. Pendant peut-être un an, j'ai travaillé la journée au salon et j'allais vendre des programmes le soir, habillée par Yves Saint-Laurent - il s'occupait de tous les costumes au Casino. Et quand je vendais le programme, il se passait déjà quelque chose avec le public dans le hall... Des gens me demandaient si j'allais faire un numéro sur scène ; je ne comprenais pas.

Comment êtes-vous passée du hall d'entrée à la scène ?

Roland Petit cherchait une fille mannequin nue pour sa revue. La fille qui devait faire ça n'était jamais là pour faire le spectacle... Ca devenait urgent de trouver quelqu'un. Je crois que Roland Petit a dû me cerner dans le hall puisqu'un jour, il m'a demandé de passer une audition. Je ne savais pas danser, mais ce qu'il voulait voir, c'était mon corps, comment j'étais faite... J'ai commencé à paniquer ; j'ai pensé à ma mère, à l'éducation que j'avais reçue... Jamais je n'avais montré mon corps nulle part. Mais ce que j'avais vu sur scène - la revue avait déjà commencé - n'avait rien de vulgaire. Il y avait des costumes, même s'ils étaient minimes. Roland Petit a bien vu que je n'étais pas professionnelle. Je n'avais rien d'une fille qui faisait du cabaret ; j'étais un petit animal sur la scène, un peu sauvage. Il m'a simplement dit : "Il va falloir beaucoup travailler." Mais il n'avait pas dit oui ni non, il m'avait vue, c'est tout. Et puis un jour, on m'a appelée, j'étais engagée. D'abord mannequin, puis j'ai beaucoup travaillé la danse. Dans la précipitation... J'ai toujours dû apprendre très vite pour travailler rapidement. Je ne crois pas avoir eu en Roland Petit un maître. Il ne m'a jamais formée, je me suis formée toute seule. Mais mon destin a commencé comme ça.

On vous a vite comparée à Joséphine Baker...

Quand j'ai commencé au Casino, la presse a parlé de la nouvelle Joséphine Baker. Mais Joséphine Baker était toujours vivante ! Elle était à ce moment là en situation difficile et la princesse de Monaco lui avait donné un logement parce qu'elle était à la rue. Grâce à Jean-Claude Brialy, à l'occasion de l'anniversaire du prince, Joséphine a pu monter une revue. Elle est alors monté à Paris voir Roland Petit pour lui proposer sa revue, là où elle avait débuté, au Casino après le théâtre des Champs-Elysées. Mais Roland Petit venait de commencer avec moi... "Ecoutez, lui a-t-il dit, j'ai Lisette, c'est difficile pour moi..." Il me semble que Roland Petit a fini par lui dire qu'il voulait bien de sa revue à condition que, en cas de pépin, je puisse prendre la relève parce que le spectacle doit continuer... Elle a du dire non puisqu'elle est partie à Bobino. Je ne l'ai rencontrée que plus tard, au Cirque d'hiver, où je faisais un numéro de trapèze et elle, un numéro avec un poney. Je suis allée la voir dans sa loge pour lui présenter des excuses, lui dire que je n'étais pour rien dans la proposition de Roland Petit. "Je sais, m'a-t-elle répondu, on compare toujours deux Noires." Peu après, elle m'a envoyé une lettre : "Chère Lisette, vous êtes mon enfant. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à venir vers moi..." Joséphine Baker était une femme qui voulait être la mère de tous les enfants du monde, mais je crois que moi, jeune, je l'ai transportée quelque part... Notre confrontation l'a portée car c'est la loi du métier : tant qu'on est encore là, on existe ! C'était un dédoublement. Jeune, elle avait représenté une vie extraordinaire et tout à coup, j'étais là aussi... Mais c'est la vie, la roue tourne... Mais, ça a été pour moi très agréable de la rencontrer.

Ca vous est arrivé plus tard de ressentir la même chose ?

Non pas encore, parce que je n'ai vu personne encore. Et puis, le music hall tel qu'il était à cette époque a disparu. Il n'y a plus de music hall ! Le Casino de Paris existe mais c'est un garage, les Folies bergères sont fermées. A mon époque, toutes ces boites marchaient ! C'était plein tous les soirs...

Et vous avez rencontré beaucoup d'artistes alors...

Au Casino de Paris, j'ai rencontré Serge Gainsbourg quand il est venu faire les musiques de la dernière revue de Roland Petit... Il a écrit des chansons pour moi, mais c'est Roland Petit et Zizi qui choisissaient tout. Les chansons qu'il a écrites pour moi, peut-être deux, je ne les ai pas chantées. Mais, puisque c'était une continuation de revue, j'ai chanté toutes les chansons qu'il avait écrites pour Zizi Jeanmaire ! J'ai aussi fait un voyage aux Antilles avec Henri Salvador. Nous nous étions rencontrés à la Martinique, c'était une star !

Vous avez été meneuse de revue au Casino, aux Folies bergères et au Moulin rouge...

J'ai commencé en 1970 au Casino et j'ai donné ma dernière revue au Moulin rouge en 1990, au moment de la guerre du Golfe.

Comment est survenu l'appel du théâtre ?

Lorsque je suis arrivée au Moulin rouge, j'ai souhaité très vite faire du théâtre et j'ai été approchée par une femme très connue, Anne Delbé, qui a  écrit sur Camille Claudel. Elle m'a proposée de jouer "La ville" de Paul Claudel. Les conditions étaient difficiles parce qu'elle n'avait pas d'argent. Elle avait monté un chapiteau sur la place devant Beaubourg et je jouais juste avant d'aller au Moulin rouge.

Et comment êtes-vous arrivée à faire du cinéma ?

Je ne me suis jamais considérée comme une actrice de cinéma. J'ai eu l'occasion de tourner avec des gens très bien, comme Joseph Losey dans "La Truite", Jean-Claude Mission dans "Ronde de nuit", avec Eddy Mitchell et Gérard Lanvin... Un film policier qui a bien marché ! J'ai fait un dernier film, il y a trois ans avec Peter Greenaway ; il n'a pas très bien marché... Ces gens sont venus me chercher parce qu'ils pensaient que j'étais quelqu'un à part... Mais je n'ai pas eu de très bons agents et je n'ai pas eu tellement de propositions. Il y aurait plus à faire mais j'ai de la chance de pouvoir continuer encore !

Joseph Losey, ce géant d'Hollywood, vous a recruté sur simple casting ?

C'est une rencontre qui m'a laissé un souvenir étonnant. Il m'avait donné rendez-vous dans son appartement de la rue Jacob dans le 6ème arrondissement. Son chien avait bouffé tout le bas de mon pantalon pendant que je discutais avec lui ! Et je n'osais rien lui en dire... C'était un homme que j'admirais, très beau, âgé, marqué, et il me semble bien qu'il avait bu, mais j'avais envie de le prendre dans les bras tant il était beau et doux. Vraiment, ce fut une belle rencontre !

Est-ce que votre antillanité a pu être un atout dans votre carrière ?

Mon antillanité m'a sûrement portée... Mais dans ce métier, il y a des modes... On veut plus d'Africains, plus de métis... J'ai traversé tout ça et j'ai toujours, quoiqu'en pensent mes compatriotes, été portée par mon identité. Cette histoire d'identité, je l'ai toujours portée avec moi, c'est ma faiblesse et ma force.

Quand j'étais au music hall, je n'ai pas hésité à aller au Théâtre noir à Belleville pour jouer des auteurs négroafricains... Le Théâtre noir a été une aventure magnifique mise en place par Benjamin Rosette et ce théâtre a drainé des jeunes, des gens extraordinaires qui ont fait découvrir des auteurs négroafricains, caribéens... Moi-même j'ai joué une pièce qui s'appelait "Errance", un montage de textes de nombreux poètes caribéens et africains... Et c'est dans ce Théâtre noir que j'ai reçu une médaille de Jacques Chirac, alors maire de Paris. Ce théâtre, c'était un garage où il se passait plein de choses. Le musicien Vincent Oryéma a joué dans ce spectacle, "Errance", avant de devenir une star ! Il est passé par là alors qu'il vivait des moments difficiles, que son pays était en guerre...

Faut-il faire plus de place aux acteurs noirs ?

C'est sûr qu'il faut faire plus de places aux acteurs noirs, mais il faut une écriture, des auteurs ! On ne peut pas tout le temps jouer des classiques. Nous vivons dans une société moderne ; nous avons besoin d'auteurs modernes qui écrivent, pas forcément pour les Noirs, mais pour tout le monde, pour la société dans laquelle ils sont. J'ai peut-être eu de la chance de vivre une période où il y avait moins d'acteurs. Maintenant, il y en a beaucoup plus, donc il faut qu'il y ait une écriture, des réalisateurs et des metteurs en scène qui sont à la hauteur ! Si les gens n'ont pas de talent, on ne va pas les faire travailler, il faut du talent ! Quand on regarde les Américains, ils se sont battus et ils se battent encore, mais quand ils sont à l'écran, on les regarde, on n'a pas envie de tourner la tête ! Parmi tous ces immigrés qui arrivent, s'il y en a deux ou trois qui trouvent à s'épanouir, qui nous apportent aussi quelque chose, c'est merveilleux !

Avez-vous découvert cette relève d'auteurs modernes aux Antilles ?

Peut-être faudrait-il que je puisse vivre plus longtemps dans ces pays... Vous savez, je ne vais pas voir un spectacle parce qu'il y a un Noir dedans, je vais voir un spectacle parce que c'est un spectacle. C'est tout ! L'un des derniers films que je suis allée voir au cinéma, c'était "Chocolat". J'ai beaucoup aimé parce que ça montre vraiment le problème qui a existé à une époque... Et j'aime l'acteur ! Ce Black, il a un corps, une présence... Il a quelque chose ! Il faut reconnaître les gens quand ils ont du talent ! C'est le talent qui fait qu'on oublie quand on est Noir... Malheureusement, je répète cette phrase qui a été dite à une très belle mannequin, Cathy Rozier. On lui a dit : "Vous êtes tellement belle qu'on oublie que vous êtes noire." C'est possible d'entendre ça encore... Mais quand le talent est là, je vous assure, ça sublime tout ! Les préjugés, tout ça, ça tombe ! Il ne faut pas être médiocre devant les gens, il faut avoir un corps, un regard, une présence, il faut être là ! J'ai l'impression malheureusement qu'il y a beaucoup de comédiens qui n'ont pas de corps... On a l'impression qu'ils sont mal à l'aise dans leur costume ! C'est bien de vouloir jouer, mais il faut aussi être désiré et c'est bien d'être désiré par les autres. Quand j'ai débuté au music hall, on est venu me chercher et chaque fois, on est venu me chercher...

Quand avez-vous pu revenir la première fois dans votre île ?

Je crois que j'ai dû attendre dix-sept ans ! C'est un ami qui m'a suggéré de revenir dans mon pays. Nous sommes partis ensemble et j'ai redécouvert un pays. Il n'y avait plus de sentiers battus, mais des routes ; les gens avaient des toilettes chez eux... J'ai trouvé un beau pays, mais j'ai trouvé que ça allait trop vite pour les Antilles, le modernisme, les constructions, l'environnement... Si le pays ne fait pas attention, ça peut-être très grave ! Il faut préserver cette nature de végétation, de beauté, de couleur... Le béton n'est pas l'avenir du pays, n'est pas l'avenir du monde. Le pays est si petit... Il faut le protéger. Il est défiguré par ces supermarchés... Affreux !

Quel regard portez-vous sur la création aux Antilles ?

Je suis allée dernièrement en Guadeloupe pour dire un texte de Mme de Duras que je porte depuis 25 ans ; je l'ai joué au MACTe et j'ai découvert ce lieu. J'espère qu'il va s'y passer des choses intéressantes ! Pour l'heure, ça va à tâtons. Je trouve que les Antillais ont du mal à avancer; ça tourne en rond ! Il y a des gens qui ont envie de créer, de faire de belles choses et ça piétine. Quand on est capable de faire un tel lieu de mémoire, il faut être capable d'aller faire des choses à l'extérieur ! Je ne sais pas si c'est la chaleur qui fait ça, mais je trouve que tout ça manque de dynamisme... Ca manque de tout ! C'est un peu navrant, lorsque l'on a vécu autre chose et que l'on retourne dans son pays, que les gens ne soient pas culturellement reconnaissants quelque part...

Quel accueil avez-vous reçu ?

J'ai joué deux spectacles en Martinique parce que j'avais un metteur en scène qui avait ses entrées là-bas. Ma mère venait de mourir, mon père n'était plus là non plus... C'était très émouvant : la première fois que j'allais jouer là-bas, ils n'étaient plus là... Et puis je suis allée jouer un nouveau spectacle sur l'esclavage et, malheureusement, c'est passé comme un cheveu sur la soupe. A la Réunion, à Maurice, ça a eu un succès terrible, chez moi, non... C'était bien avant que Mme Taubira fasse reconnaître la traite et l'esclavage comme crime contre l'humanité. Nul n'est prophète en son pays...

Son coup de coeur : "Le MACTe est un endroit merveilleux, un temple de la mémoire, mais fait avec beaucoup de tact ! On ne sent pas de rancune, mais une histoire qui existe...""

Son rêve : "J'ai toujours des rêves impossibles, mais mes plus petits rêves peuvent m'apporter un grand bonheur."

Son coup de gueule : "Parce que le théâtre, c'est la gaité, la joie, la poésie, ce sont des auteurs, des créations, les Molière devraient s'ouvrir au théâtre de rue ! Je trouve ça un peu trop bourgeois, ça manque de couleurs, d'audace... Molière devrait être Molière !"

Portrait

Distinguée par un Molière

Lisette Malidor a fréquenté des gens extraordinaire, Yves Saint-Laurent, Pierre Bergé, Roland Petit, Zizi Jeanmaire, Jean Genêt, Jacques Chazot... Elle a même défilé comme mannequin dans un film documentaire sur Rudolph Noureev... La chanteuse Barbara aussi... Lisette l'avait appelée quelques mois avant sa mort pour son spectacle, "L'Amour toujours". Lisette lui avait demandé de lui écrire une chanson et Barbara lui avait répondu : "Je ne peux pas, j'ai déjà tellement du mal à écrire pour moi..." C'est une femme qui l'a beaucoup touchée, comme Jean Genêt dont elle entend encore la voix...

Lisette a été très heureuse de participer au documentaire sur Moune de Rivel... "Je l'ai très bien connue à la fin de sa vie...." Moune de Rivel, alors journaliste pour Jeune Afrique, était venue la voir à ses débuts au Casino. "J'ai voulu faire un spectacle avec elle, mais Moune de Rivel faisait ses choses à elle. C'était difficile de la faire diriger par un metteur en scène. Moi, j'ai besoin d'être dirigée, mais elle, non, elle menait les choses seule."

Lisette Malidor fait partie des rares comédiens noirs distingués par un Molière. C'était en 2001 pour le spectacle "Lady's night", joué au Rive gauche.

Récemment, elle s'est rendue à Aix-en-Provence pour dire un texte qu'elle porte depuis quinze ans... "Je voulais parler du tabac par rapport à l'histoire du monde, l'histoire de notre identité par rapport à l'esclavage..." Cette idée, elle l'a ramenée d'un séjour en Afrique où elle était venue jouer. "J'ai vu des enfants qui vendaient des cigarettes dans la rue et j'ai été marquée par cette image. "Comment se fait-il que des enfants vendent des cigarettes dans la rue pour gagner de l'argent alors qu'ailleurs on dit que c'est un danger ?"

Lisette a d'abord effectué des recherches historiques à la BNF. "Le tabac est arrivé en Afrique pour servir de monnaie d'échange... Imaginez ce qu'il représente pour un fumeur, un délice, et ce qu'il représente par rapport à l'histoire... Depuis les chamanes qui l'employaient pour entrer en contact avec les Dieux... C'est le cheminement de cette histoire qui m'intéresse." Et puis elle a rencontré le psychanalyste Philippe Grimberg qui a écrit "Il n'y a pas de tabac sans Freud". L'approche identitaire du tabac par Lisette l'a touché. Maintenant, elle aimerait pouvoir rejouer ce spectacle. "J'aimerai, j'aimerai... Mais pour l'instant, c'est devenu tellement difficile d'apporter des rêves et des projets... Ca tourne en rond ! Moi, je vis à la campagne, je vis avec la nature et je me ressource là-bas. J'essaie d'éloigner de moi toutes les mauvaises ondes de la société, la violence ! Si on regarde la nature, je vous assure que ça pourrait épargner la vie de ceux qui sont dans la souffrance, dans la laideur..." Et dans sa campagne, elle songe à Glissant, à Gratiant,... "Si je devais faire quelque chose, ce serait du Gratiant pour la beauté de sa langue créole. C'est difficile à porter au théâtre !" Même pour quelqu'un comme elle qui a si bien su dire du Césaire sur les planches !

FXG

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