Philippe Gustin, délégué à la reconstruction de SXM et SBT
Philippe Gustin, délégué interministériel à la reconstruction de Saint-Martin
"La reconstruction ne doit pas échapper au milieu économique local"
Vous avez pris l'attache de votre homologue néerlandais pour envisager de renforcer la coopération, mais la différence des statuts des deux parties de l'île ne pose-t-elle pas un problème ?
Il faut tenir compte de ces statuts différents, mais ça ne change pas énormément les choses en bout de course. La collectivité de Saint-Martin a une grande latitude en termes de compétence, notamment en ce qui concerne l'urbanisme, comme dans la partie hollandaise. C'est vrai que de l'autre côté, les compétences vont beaucoup plus loin. Je pense en particulier à la police locale en partie hollandaise tandis qu'en partie française, c'est une compétence régalienne confiée à la police aux frontières et à la gendarmerie, même s'il y a aussi une police territoriale. Ces petites différences sont importantes pour le sujet capital de la maîtrise de l'immigration.
C'est un sujet qui vous préoccupe au titre de votre mission de reconstruction, pourquoi ?
La population de Saint-Martin a quadruplé depuis la fin des années 1980. Et cela a abouti à de l'habitat précaire dans des zones à risque. C'est ce que j'appelle la double peine : ceux qui sont en situation irrégulière construisent sans droit dans des endroits très vulnérables et sont les premières victimes. Il faut donc, entre les deux parties de l'île, puisqu'il n'y a pas de frontière, avoir une approche commune de l'immigration parce que sinon, c'est tout l'équilibre de la société dans l'île entière qui est menacée. Nous devons avoir impérativement des politiques harmonisées, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Cela implique des négociations d'Etat à Etat...
Mon homologue néerlandais a indiqué que les Pays-Bas conditionnaient l'aide apportée à la maîtrise de la sécurité et des flux migratoires.
Les casinos resteront toujours en partie hollandaise et l'hôpital de Concordia en partie française...
Certes, mais nous pouvons déjà avoir des projets de coopération plus intenses sur les aspects structurants que sont l'épuration, le traitement des déchets, les réseaux d'électricité et de communication qui fédèrent de manière institutionnelle une île fédérée de manière sociétale. C'est donner du corps à tout cela.
Qu'en est-il de la plateforme quadripartite pour mener ces projets structurants ?
Cette plateforme existe et aurait dû fonctionner pour le projet d'une station d'épuration commune... Malheureusement, ce projet n'est pas arrivé au bout... Il faut réactiver cette plateforme qui associait les deux Etats et les deux collectivités car elle permettrait d'aller chercher des financements communs au niveau de l'Union européenne pour tous ces projets structurants. Je crois que la collectivité de Saint-Martin est tout à fait disposée à ce dialogue au sein de cette instance.
Vous avez inclus l'aéroport de Juliana dans ces projets. Cela implique-t-il la fermeture de Grand-Case ?
Non, il ne s'agit pas de fermer Grand-Case... Nous avons un vrai aéroport international sur cet île et on est parfois plus vite rendu à Juliana qu'à Grand-Case. Il s'agirait plutôt de rationaliser tout ça dans une logique économique qui est celle d'un développement touristique harmonieux de l'île.
Vous attendez le 30 octobre le rapport d'une mission de l'inspection générale. Quel est le but de cette mission ?
Il s'agit de faire un état des lieux de la facture. A combien se chiffre l'impact d'Irma ? Elle devra ensuite faire des propositions s'agissant de la résilience des services de de l'Etat et de la Collectivité sur place...
Mais encore ?
Comment face à une crise de cette ampleur, on se dimensionne et on s'organise pour mieux faire face et tirer les leçons de ce qui s'est passé. La mission abordera sans doute la défaillance de certains réseaux qui sont tombés en carafe trop rapidement...
Cette mission est-elle nécessaire pour activer les fonds de secours de l'Union européenne ?
Le diagnostic financier que fera la mission en relation avec la Collectivité
sera la facture que nous allons présenter à l'Union européenne. Il y a également un troisième volet à cette mission, c'est de s'assurer que les fonds qui seront obtenus pour la reconstruction seront utilisés en toute transparence.
Qu'en est-il du tissu économique de l'île près de deux mois après ?
Il y a trois catégories d'entreprises, celles qui fonctionnent sans avoir à recourir au chômage partiel. Ce sont souvent des entreprises individuelles ou de tous petits effectifs dans le secteur du BTP ou le service... Il y a les entreprises qui ont besoin de l'aide au chômage partiel pour maintenir le contrat avec une partie de leurs salariés pendant cette mauvaise passe. Ceux qui ont le plus besoin sont les entreprises du secteur touristique puisque la vraie saison ne recommencera qu'en novembre 2018. Cette aide au chômage partiel concerne environ 3000 employés à Saint-Martin et près de 1 500 à Saint-Barthélemy. Et puis, il y a une troisième catégorie d'entreprises, celles qui sont obligées de mettre la clé sous la porte et de licencier leur personnel.
A combien évalue-t-on le nombre de ces sociétés en faillite ?
On a un problème de fond à la base : l'absence d'outil statistique fiable. Nous n'étions pas en mesure, avant Irma, de dire combien d'entreprises étaient en vie... On cite souvent le chiffre de 6 ou 7 000. Le président de la chambre de commerce et d'industrie estime que le cyclone Irma allait nous permettre, grâce à ce nouveau pointage, d'avoir enfin une idée très précise du nombre d'entreprises qu'il y a encore sur l'île.
On a parlé de 7 à 8 000 personnes qui ont quitté l'île, sur une population officielle de 30 000 habitants...
Les personnes qui ont quitté l'île ont été rigoureusement comptabilisés à leur arrivée soit à Pointe-à-Pitre, soit à Fort-de-France, soit à Orly...
La question se pose alors sur les 30 000 habitants officiels. N'y en a-t-il pas plus ?
Sans doute...
Le cyclone est donc l'occasion de tout reconsidérer ?
En termes statistiques, c'est une grosse difficulté de ma mission. Chaque fois, on me parle de chose et moi je demande combien... Voilà pourquoi est importante la mise en place d'un guichet unique pour les entreprises. Nous allons pouvoir les recevoir quasiment individuellement, les conseiller, voir les difficultés qu'elles rencontrent... Ce n'est pas la même problématique si vous êtes chauffeur de taxi ou si vous avez un hôtel avec 500 employés. On doit avoir quelque 5 000 entreprises et on peut se permettre d'avoir un traitement qui soit le plus indifférencié et individualisé pour apporter la réponse la plus adéquate pour que chacune maintienne son activité.
La reconstruction doit permettre aussi de relancer l'économie...
A condition que la concurrence ne soit pas faussée avec des entreprises de la partie hollandaise ou des entreprises qui viennent de l'extérieur et qui pourraient plus facilement prendre les marchés. Il ne faut surtout pas que cette reconstruction échappe au milieu économique local et que ce soit la double peine...
Avez-vous un rôle à jouer pour cela ?
Oui j'ai un rôle à jouer. Et ça commence avec la maîtrise des prix. Que l'on n'ait pas tout d'un coup un emballement. La Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIECCTE) doit être très attentive. Elle s'est déjà rendue sur l'île et reviendra. Mais je souhaite que les Saint-Martinois qui s'aperçoivent de dérapage sur les prix des matières premières le signalent le plus rapidement possible parce que c'est une compétence de l'Etat et il doit pouvoir sévir pour éviter de tels dérapages. Il ne faudrait surtout pas qu'il y ait des effets d'aubaine du fait de la crise. Ca serait catastrophique.
Propos recueillis par FXG, à Paris