Les prix Fetkann'-Maryse Condé 2018
Ciprut, Coulthard, Jean-Elie et Bacon prix Fetkann' 2015
Le palmarès de la 15e édition du prix littéraire Fetkann' Maryse Condé - « Mémoire des Pays du Sud / Mémoire de l’humanité » a été annoncé jeudi matin au café de Flore à Saint-Germain des Près lors d'une cérémonie placée sous la présidence de Suzanne Dracius et en présence de George Pau-Langevin, la président du conseil départemental de Guadeloupe et du délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et l'homophobie.
Mémoire
Le prix Mémoire a été attribué à Marie-Andrée Ciprut pour son ouvrage paru chez Fortuna, "Filles d'Ariane, des Antilles et d'ailleurs... La résilience en partage".
Psychologue-psychothérapeute et co-fondatrice de Pluriels (un centre de consultations ethnopsychologiques pour migrants à Genève), elle a déjà publié "Un racisme en Noir(e) et Blanc(he)" chez Fortuna en 2015. Cette fois, elle invoque les héroïnes de l'antiquité grecque comme ancêtres tutélaires des femmes antillaises, tisse des liens entre celles-ci et les femmes "potomitan" de plusieurs pays, femmes fortes et solides pour leurs proches, malgré les revers que la vie leur impose. Marie-Andrée Ciprut parvient ainsi à faire résonner les similitudes, souligner les particularismes et faire entendre la petite musique de la résilience féminine à travers les âges. "Les filles d'Ariane sont des battantes, annonce son éditeur, Marie-Andrée Ciprut leur a donné une voix !"
Recherche
Dans la catégorie recherche, le prix est décerné à l'ouvrage publié par l'éditeur canadien Lux, "Peau rouge, masques blancs - Contre la politique coloniale de la reconnaissance" de Glen Sean Coulthard. Politologue, membre de la nation Dénée du Nord-Ouest du Canada, l’auteur reprend ici la critique fanonienne de la reconnaissance dans les débats entourant l’autodétermination des peuples colonisés, notamment les peuples autochtones d’Amérique du Nord, et démontre en quoi cette reconnaissance ne fait que consolider la domination coloniale. Cet ouvrage de théorie politique engagée appelle à rebâtir et redéployer les pratiques culturelles des peuples colonisés sur la base de l’autoreconnaissance, seule voie vers une réelle décolonisation.
Jeunesse
Dans la catégorie jeunesse, c'est Barbara Jean-Elie qui remporte le prix Fetkann' avec "Sina, le secret de la Caraïbe", le premier roman illustré pour enfants sur la Caraïbe, édité par SCITEP en quatre langues : français, créole, anglais et espagnol. Aventurière et intrépide, la petite Sina sillonne la Caraïbe avec Momo le monstre de la montagne, Papou la grenouille et Filou le chien, rejoints par Cristofine la baleine à la recherche du méchant pirate Oscar de Malavida qui a enlevé les parents de Momo, persuadé qu’ils le rendront riche et beau !
Au-delà du conte pour enfant, l’ouvrage est une initiation très documentée aux richesses de l’archipel des Antilles : diversité culturelle, histoire, nature, environnement, mais aussi une première approche adaptée pour les enfants des questions économiques et sociales. Un CD inclus offre la lecture du récit par son auteure et une initiation musicale à la diversité des rythmes de la Caraïbe (calypso, reggae, salsa, konpa, ka…).
Poésie
Le Prix de la poésie est décerné à Joséphine Bacon, poétesse et réalisatrice amérindienne, innue de Betsiamites, installée à Montréal pour son recueil "Uiesh, quelque part" publié chez Mémoire d'encrier. "Quelque part, une aînée avance. Elle porte en elle Nutshimit, terre des ancêtres, une mémoire vive nomadise, épiant la ville, ce lieu indéfini... La parole agrandit le cercle de l’humanité. Joséphine Bacon fixe l’horizon, conte les silences et l’immensité du territoire..."
Mention spéciale
Enfin, le jury du 15e prix Fetkann' a attribué une mention spéciale à Winny Kaona pour son ouvrage "Coeurs biguine, Moune de Rivel & Winny Kaona", Editions A.D.M.T.
FXG, à Paris
José Pentoscrope, père du prix Fetkann'-Maryse-Condé
Enfant de Lapwent, José Pentoscrope a fait de la politique dans sa vie (élu au bureau national du PS, élu de la ville de Massy où il a fait installé une statue de Toussant Louverture sur la place Schoelcher en 1988), a été un économiste au service de collectivités ou de pays d'Afrique, et a été et reste l'animateur du centre d'information, de formation des originaires d'Outre-mer (CIFORDOM). C'est lui qui, en 2001, se basant sur les prescriptions du texte de la loi Taubira visant à promouvoir la mémoire de l'esclavage et de la traite négrière, décide créer ce prix littéraire "Fetkann' - Mémoire des pays du Sud, mémoire de l'humanité". Peu à peu, le rendez-vous du dernier jeudi du mois de novembre au premier étage du café de Flore va s'imposer. Gisèle Pineau, Edouard Glissant, Fabienne Kanor, Suzanne Dracius, Edwy Plennel, Alain Guédé et tant d'autres vont tour à tour être récompensés. Mais c'est sans attendre le prix Nobel alternatif de littérature de Maryse Condé que José Pentoscrope va obtenir l'accord de l'auteur de Ségou pour devenir le prix Fetkann'-Maryse Condé ! D'ailleurs, José Pentoscrope qui a été formé à la musique classique à Massabielle, qui a aiguisé son oreille au son du jazz et qui sait aussi manier le pinceau et les couleurs, ne cache pas son ambition : faire du prix Fetkann-Maryse-Condé, l'équivalent d'un prix Nobel de littérature pour les pays du Sud.
Trois questions à Winny Kaona, chanteuse et auteur de "Coeurs biguine, Moune de Rivel & Winny Kaona",
"Le graal, c'est ce prix Fetkann' Maryse-Condé"
Moune de Rivel, c'est la grande affaire de votre vie ?
Ce n'est pas qu'une affaire, c'est la rencontre de deux âmes soeur unies par la même passion. J'ai découvert cette femme extraordinaire alors que je n'avais que 9 ans sur les ondes de l'ORTF dans une émission qui s'intitulait "Charme de Paris". En entendant cette voix, ses sifflements d'oiseau, je pleurais toutes les fois que l'émission se terminait et chaque semaine, c'était un rituel, je me disais : quand je serai grande, je chanterai comme "Femme" de Rivel... Je disais "Femme" parce que chez nous, il était interdit de parler créole.
Quand l'avez-vous enfin rencontrée ?
Quand j'ai eu une trentaine d'années, en 1988, je suis allée chez elle pour lui demander l'autorisation d'interpréter ses chansons. Que m'a-t-elle répondu ? "Je ne donne pas mes chansons à n'importe qui... Vous chantez quoi ?" Je lui réponds "Jodi sé jenn gen la"... J'avais gaffé, c'était un titre d'Al Lirvat qu'en plus j'avais écorché puisque le vrai titre était "Sé ou menm ki lanmou". Elle m'a repris, mais s'est tout de même mise au piano et j'ai chanté le couplet. Arrivée au refrain, elle m'a serré dans ses bras en me disant : "Après ma mort, quelqu'un de ta génération et de mon pays fera vivre toutes mes chansons..." C'est le premier sceau qu'elle a posé. Quelques années plus tard, sur la scène du Centre des arts, elle annonce à la fin du concert : "Je lègue mon flambeau de chansons à Winny Kaona." C'était il y a 24 ans...
Votre ouvrage vient saluer le centenaire de sa naissance ?
Je me suis mise à l'écriture de "Coeur biguine" qui remporte une mention spéciale. C'est l'histoire de deux artistes, deux âmes soeur... Le livre est sorti en février. En avril, j'ai sorti l'exposition "Une vie en chanson" à Pointe-à-Pitre. En mars, j'ai mis en place la première édition des trophées Moune de Rivel pour que les enfants de l'académie apprennent les chansons de Moune de Rivel et donner à la biguine ses lettres de noblesse. La deuxième édition est déjà programmée... J'ai ensuite sorti le disque "Moune à Tout' moun" et le centenaire Moune de Rivel sera clôturé mercredi prochain à la résidence départementale du Gosier. Mais le graal, c'est ce prix Fetkann' Maryse-Condé reçu aujourd'hui !
Propos recueillis par FXG, à Paris