Riester aux Antilles et en Guyane
Interview. Franck Riester, ministre de la Culture, était en Martinique, Guadeloupe et Guyane qu'il a quittée lundi 8 avril au soir.
"Un Réseau des cultures d’outre-Mer sera plus efficace pour répondre aux attentes des artistes"
La Guadeloupe et la Martinique disposent chacun d'une scène nationale, mais la circulation des créations hors de ce bassin géographique est complexe. Sachant que l'agence de promotion et de diffusion des cultures d'Outre-mer a été fermée et que la cité des Outre-mer a été enterrée, quelle politique culturelle proposez-vous pour sortir désenclaver la création ?
Concernant la cité des outre-mer, le projet n'est pas enterré mais la question est : que voulons-nous vraiment ? Un bâtiment ou un soutien renforcé aux artistes ultramarins ? Le ministère de la culture a adopté une stratégie pour l'outre-mer et la réorientation des moyens financiers contribuera à réaliser les ambitions du Livre bleu outre-mer : la concrétisation d'un « Réseau des cultures d’outre-Mer » qui sera plus efficace pour répondre aux attentes des artistes.
L’enjeu de diffusion de la création est primordial ; il l’est peut-être davantage encore en ce qui concerne les arts d’Outre-mer. C’est pourquoi de nombreuses voies ont été esquissées et qui ensemble, permettent une réelle valorisation de ces cultures d’Outre-mer. Ainsi, depuis trois ans déjà, avec le concours de leur Direction des affaires culturelles respectives, les Scènes Nationales de Martinique et de Guadeloupe ont créé des liens forts avec l’ONDA, l’Office National de Diffusion Artistique, dont l’une des missions est spécifiquement dédiée à la valorisation des artistes de l'Outre-mer. La première « Rencontre Internationale de Diffusion Artistique » en janvier 2018 à la Martinique a ainsi facilité plusieurs coopérations qui portent leurs fruits : plusieurs équipes artistiques sont aujourd’hui diffusées en France métropolitaine. Par ailleurs, le partenariat avec la Cité internationale des arts de Paris est, à bien des égards, essentiel : plusieurs artistes de Martinique et de Guadeloupe sont régulièrement accueillis à Paris pour des périodes de deux à six mois. C’est l’occasion de présenter leurs créations à des professionnels. Outre ces dispositifs, un Fonds pour les Echanges Artistiques et Culturels (FEAC), financé conjointement par les ministères de la Culture et des Outre-mer, accompagne divers projets artistiques à l'international et en Outre-mer. Enfin, la diffusion de la création est particulièrement renforcée dans le bassin caribéen grâce aux partenariats tissés avec les Alliances Françaises de la zone et qui offrent des collaborations exemplaires en matière de circulation des œuvres et des artistes, dans toute la région.
Quelle politique patrimoniale guide votre action ?
Notre politique du patrimoine est nationale, et répond aux mêmes objectifs de conservation, de transmission et de valorisation dans tous les territoires de la France. Ces objectifs sont portés par tous les services du ministère avec la même ambition d’excellence. Nous lançons 36 opérations en Guadeloupe pour 800 000€. Cette somme permettra la restauration du square et du monument aux morts du Lamentin de 1932, du presbytère du Lamentin et de l'église de la Sainte Trinité de 1931. En Martinique, ce sont 19 opérations de conservation et de restauration pour 1,5M€ : Il s’agit notamment de la restauration à Fort-de-France de l'immeuble La Nationale de l'architecte Xavier Rendu, datant de 1938. Par ailleurs, la nouvelle édition du loto du patrimoine va permettre de réaliser une opération de valorisation, qui concernera la façade de la cathédrale de la ville de Saint-Pierre et des rues Victor-Hugo et Bouillé comme en Guadeloupe la restauration de l'église de Morne-à-l'Eau...
Les Martiniquais ont connu une déception avec l'échec de la candidature des volcans et forêts de Martinique au patrimoine de l'UNESCO. Etes-vous plus optimiste pour la candidature de la yole ronde ?
J’ai tout d’abord le plaisir de vous annoncer que j’ai sélectionné, en accord avec le président de la République, la Yole de Martinique pour le cycle 2020 de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.
Au travers de ce choix, il s’agit de reconnaître les efforts menés pour sauvegarder non seulement les savoir-faire de charpente liés à la construction de ces embarcations traditionnelles uniquement en bois, mais aussi des techniques particulières de navigation, fondées sur un esprit associatif et collaboratif, et des pratiques physiques et festives, marquées par des courses dans les différents ports de l’île et par le Tour des Yoles, moment intense qui mobilise aujourd’hui des dizaines de milliers d’habitants. Cet esprit associatif et bénévole, on le retrouve dans le succès de notre programme d’action pour le développement de la yole : alors qu’une seule association avait été créé en 1990, on en compte désormais une quarantaine. La yole ronde est à ce titre constitutive de l’identité et de la culture martiniquaise.
Le pass culture est en expérimentation ici. Mais comment lui reconnaître les mêmes avantages que dans les départements où il est expérimenté dans l'Hexagone avec la très mauvaise couverture internet du territoire ?
Le pass culture est un engagement fort du président de la République. Il est expérimenté, depuis le 1er février, dans cinq départements : la Seine Saint-Denis, l’Hérault, le Finistère et le Bas-Rhin et la Guyane. Je tenais à me rendre d’abord ici, en Guyane, après deux mois d’expérimentation afin de rencontrer des jeunes de 18 ans qui bénéficient des 500 euros, mais aussi les acteurs culturels qui proposent leurs offres.
Le pass peut prendre la forme d’une application qui géolocalise les offres culturelles, mais on peut aussi y accéder depuis un ordinateur connecté (dans une bibliothèque, une mission locale, pôle emploi…). Les jeunes volontaires en Guyane sont particulièrement actifs et heureux de connaître de nouvelles propositions culturelles et de pouvoir y accéder. Je peux déjà vous annoncer que nous allons innover très prochainement en leur proposant une offre avec le transport intégré pour qu’ils puissent se rendre au festival de BD sur le fleuve.
La ville de Saint-Laurent du Maroni connaît un fort développement démographique et connaît un développement culturel significatif avec KS and Co et le Théâtre école Kokolampoe, le festival des tréteaux du Maroni et bientôt le festival international du film Amazonie Caraïbes. Allez-vous accompagner cette politique culturelle très fragile, au moins autant qu'elle puisse l'être à Cayenne ?
La Guyane est très engagée de ce point de vue : l’Etat contribue largement, aux côtés de la ville, au financement des opérateurs culturels de l’ouest de la Guyane. A Saint-Laurent-du-Maroni, vous le soulignez, la situation est singulière et connaît un développement culturel conséquent grâce aux efforts consentis par l’Etat et par la ville.
En 2018, la Direction des affaires culturelles a ainsi apporté un soutien financier à la compagnie de théâtre « KS and CO ». L’Etat et la compagnie ont par ailleurs signé une convention qui offre et stabilise les activités de « KS and CO ». L’association « Atelier Vidéo Multimédia » a quant à elle bénéficié d’une aide pour conduire avec succès le festival international du film Amazonie Caraïbes.
Enfin, compte-tenu des contraintes socio-économiques qui marquent le territoire, la Direction des affaires culturelles a également apporté une aide spécifique à la ville de Saint-Laurent-du-Maroni dans le but de soutenir plusieurs actions en faveur de l’éducation artistique et culturelle et de diverses manifestations culturelles.
Où en est le projet de transformer le MACTe en Etablissement Public de Coopération Culturelle ?
Le MACte est un centre d’interprétation, lieu de recherche et de culture dédié à la mémoire de l’esclavage. Je tiens également à souligner que c’est aussi une réussite architecturale incontestable ! Sa transformation en Etablissement Public de coopération Culturelle est actée. Je me félicite de l’engagement des collectivités de Guadeloupe en ce sens, notamment du conseil régional. Ce nouveau cadre permettra de structurer son action autour d’un projet scientifique et culturel à la hauteur des ambitions affichées et de bénéficier de partenariats plus étroits avec des institutions culturelles de l’hexagone.
Le MACTe pourra être l’institution phare d’un pôle régional d’éducation artistique et culturelle (PREAC), sur la thématique « Histoire et mémoires », en partenariat avec le rectorat et les collectivités.
Vous avez confirmé le souhait du gouvernement de fermer la fréquence de France Ô sur la TNT. Quel cahier des charges comptez-vous soumettre à France Télévisions pour que les Outre-mer soient visibles sur la télévision nationale ?
Dans le cadre de la réforme de l’audiovisuel public, le gouvernement a fait le constat que l’organisation actuelle du service public audiovisuel ne permettait pas de donner la visibilité nécessaire aux territoires ultramarins et à leurs habitants. Cette représentation des territoires et de leurs habitants doit en effet trouver sa juste place au sein de l’audiovisuel public, non pas à la périphérie - comme c’est le cas aujourd’hui à travers la chaîne France Ô, mais par une intégration au cœur de la programmation de l’ensemble des autres chaînes de France Télévisions : information et météo, documentaires, magazines, émissions politiques, fiction. Le travail sur la fixation des indicateurs permettant la mesure de cette représentation est en cours, entre le ministère des Outre-mer et le ministère de la Culture, mais également avec les députés et les sénateurs. Ils doivent en tout état de cause permettre de mesurer la présence effective des Outre-mer dans tous les types de programmes et sur toutes les chaînes de France Télévisions, avec une attention particulière portée aux horaires de programmation ainsi qu’à la représentation des Outre-mer.
Cela sera-t-il suffisant pour faire voir l'outre-mer ?
Une meilleure visibilité doit également passer par le développement d’un portail numérique enrichi sur les Outre-mer, permettant de valoriser les programmes des Outre-mer 1ère. France Télévisions maintiendra l’enveloppe budgétaire de 10 millions d’euros allouée aux coproductions ultramarines. Le réseau des Outre-mer 1ère, qui a déjà anticipé le « média global » (intégration de la radio, de la télévision et du numérique), doit également être renforcé. Une entité éditoriale dédiée aux outre-mer sera maintenue avec les équipes de France Ô. Cette entité aura notamment pour vocation de jouer le rôle de « tête de réseau » dans le groupe. Et les équipes des Outre-mer 1ère auront aussi pour mission de renforcer les liens avec les pays de leur bassin régional, des Caraïbes au Pacifique, afin de couvrir l’actualité de ces pays et d’alimenter ainsi les programmes d’information internationale du service public audiovisuel.
Propos recueillis par FXG, à Paris