Mort d'un canard
Les voeux de la ministre des Outre-mer ont eu un goût amer
Ce papier est le dernier papier que j'ai publié dans France-Antilles Guadeloupe le 1er février 2020. Le voici en version intégrale, sans coupe !
La troisième cérémonie de voeux d'Annick Girardin depuis qu'elle est ministre des Outre-mer s'est déroulée rue Oudinot, à Paris, jeudi 30 janvier, jour noir qui a vu France Antilles trébucher, pardon, mourir... Ses mots sur ce sujet, à la fin de son intervention, m'ont échappé tant il était alors vain de dire quelque chose d'inutile aux 236 salariés qui iront pointer le 6 février 2020 à Pôle emploi...
Oui, l'Etat a mis 3 millions sur la table, les collectivités territoriales de Guadeloupe et de Martinique, 1,5 millions et la société d'Aude Jacques Ruettard (AJR Participation) n'a pas trouvé les 1,3 millions manquant... Peur de perdre la majorité de l'actionnariat ? Peur d'être obligée d'ouvrir la clause de cession qui offre aux journalistes un pactole pour partir ? Tous ceux qui voulaient partir l'ont fait il y a trois ans lors de la reprise du groupe France-Antilles par AJR Participation. Et la plupart n'ont même pas touché la totalité de ce pactole... Peur de mettre en gage le foncier qui appartenait à France-Antilles et qu'elle a tranquillement mis à part pour elle ?
Maintenant que la bête est morte, qu'elle ne s'agite que pour un ultime soubresaut ce 1er février, l'Etat et d'autres, localement, assurent que le phénix renaîtra de ses cendres... Après les municipales et avant la présidentielle. Car la ministre l'a dit dit, elle "croit en une presse quotidienne régionale d'Outre-mer de qualité, libre et indépendante". Elle a réaffirmé avec son collègue de la Culture "leur mobilisation pour qu’existe une presse locale aux Antilles et en Guyane" et dans tous les Outre-mer...
Presse d'Outre-mer ? A Tahiti, les Nouvelles sont mortes il y a longtemps déjà et la Dépêche survit. En Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles-Calédoniennes et leur rédaction, sont aux mains d'entrepreneurs locaux qui en ont fait leur jouet. A Mayotte, il n'y a pas de presse papier. Ne restent plus qu'à la Réunion ses deux journaux, le Journal de l'Île et le Quotidien, en grandes difficultés eux aussi. A tel point que le directeur de la rédaction du Quotidien, Patrick Planchenault qui a été rédacteur-en-chef de France-Antilles Martinique, directeur de France-Antilles Guadeloupe, puis en poste au JIR, et aujourd'hui directeur de la rédaction du Quotidien, parle dans son édito du 30 janvier de "périodicité" pour son journal qui s'appelle pourtant le Quotidien... A sa place je me poserai des questions sur mon parcours... Et mon rôle dans ces naufrages.
France-Antilles n'a pas su prendre le virage numérique ? Philippe Hersant avait hérité de feu Robert son père, d'une machine à cash, une pompe à fric, avec ses journaux antillais. Mais Philippe Hersant n'a que trop peu investi localement, tout en Suisse et dans l'Hexagone... Sa nièce, le repreneur de 2017, a investi 8 millions d'euros et a acheté des rotatives pour imprimer joli et attirer les annonceurs... Quand il aurait fallu investir autrement et sur le net... Mais il n'y a pas que les actionnaires qui sont fautifs.
"Il ne faut pas poser ses couilles au vestiaire quand on arrive au boulot le matin dans une rédaction."
Editorialement, avons-nous fait ce qu'il fallait ? La Guadeloupe et la Martinique ont fait énormément évoluer leurs journaux pour s'ouvrir à toutes les opinions, la mise en page a été aérée, les faits divers modérés... Que s'est-il passé ? Je dois avouer que quelque fois, l'édition de Martinique a passé certains de mes papiers à l'as, alors qu'une fois publiés sur mon blog (après une longue période d'attente de publication sur le journal), ils ramassaient jusqu'à 15, 20 000 lecteurs. Pas de place sur le papier ? Et le net, il servait à quoi ? Je pense par exemple à la guerre des vétérinaires en Martinique dont le récit que j'avais fait de l'audience disciplinaire à Paris n'était certes pas très confraternel pour la rédaction de Martinique La 1ère. Mais les faits sont têtus et il fallait les raconter parce que les gens, les lecteurs veulent et doivent savoir. Il ne faut pas poser ses couilles au vestiaire quand on arrive au boulot le matin dans une rédaction. Il faut être on nonm' doubout, un homme debout, en créole, pour se faire respecter, notamment des politiques parce que que nous sommes, en tant que journalistes, chargés de les sommer de s'expliquer sur leurs actions, bref les surveiller, et quelque fois, faut bien le dire, les emmerder. C'est aussi ça l'apport de la presse à la démocratie.
Ceci n'explique pourtant pas ce naufrage. Les aides à la presse que touchent les journaux de l'Hexagone (1,8 millions pour la Dépêche du midi, 5 millions pour Libération, 1,3 millions pour Presse Océan) ne s'appliquent pas Outre-mer. Alors quand le ministre de la Culture Franck Riester et celle des Outre-mer "regrettent que la mobilisation d’investisseurs privés, aux côtés d’un soutien exceptionnel de l’Etat, n’ait pas été suffisante pour permettre un projet de reprise", ça laisse à ces voeux un goût amer.
François-Xavier Guillerm, ex-correspondant permanent de France-Antilles et France-Guyane à Paris