Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Archives

Publié par fxg

Le centre pénitentiaire de Remire-Montjoly (photo : ministère de la Justice)

Le centre pénitentiaire de Remire-Montjoly (photo : ministère de la Justice)

CoVid19 et détention arbitraire

La crise du CoVid19 et ses "circonstances insurmontables" ont servi de prétexte au juge d'instruction et à la juge des libertés et de la détention de Fort-de-France, pour maintenir en détention deux prévenus incarcérés au centre pénitentiaire de Remire-Montjoly en dehors de toute légalité.

En dernier ressort et pour éviter de risquer des poursuites pénales pour détention arbitraire, la cour d'appel de Fort-de-France a ordonné leur libération et placement sous contrôle judiciaire le 14 avril dernier.

Tout démarre en août 2019 quand une caisse métallique aimantée, emplie de 7 kilos de cocaïne, est découverte sous la coque du Toucan, un navire assurant l'approvisionnement du Centre spatial guyanais, entre les ports de Pariacabo à Kourou et du Havre dans l'Hexagone. L'office anti-stupéfiant (OFAST) est saisie. Une autre caisse aimantée, vide celle-ci, est découverte sous la coque d'un autre cargo, le Colibri. Un suspect est repéré, le patron d'une société d'importation de riz, auparavant gérant d'une boite spécialisée dans les travaux sous-marins en zone portuaire. En février dernier, un autre suspect est mis en cause. Un autre boîte aimantée se trouverait dans les locaux de sa société de contrôle technique à Kourou. L'OFAST soupçonne également ces hommes d'être à l'origine d'un trafic  de coke mis en euvre par une douzaine de mules entre les aéroports Félix-Eboué et Orly jusqu'en janvier dernier.

Le 18 mars, la police interpelle les deux suspects et cinq complices. En matière de stupéfiant, la garde à vue peut durer six jours avant que les suspects ne soient présentés au juge d'instruction. Le même jour, la France entre en confinement. Les gendarmes de Guyane font savoir qu'ils ne pourront pas conduire les suspects devant le juge Etienne Lesaux à Fort-de-France. Le 23 mars, la directrice de la maison d'arrêt de Rémire-Monjoly alerte le juge Leseaux et, pour se couvrir, sa hiérarchie : à partir du 24 à 1 heure, les deux suspects seront sont titre de détention. Or, le 23, le juge Leseaux renvoie sa décision et ce n'est que le lendemain qu'il met les suspects en examen et propose la prologation de leur détention en se fondant sur l’existence de « circonstances insurmontables ». Il saisit toutefois la Cour de cassation qui a trois mois pour se prononcer. La JLD Marie-Louise Receveur-Guichard ordonne la détention. Les avocats des mis en cause, Me Jérôme Gay pour le premier, et Me Rudy Constant pour le second déposent un référé liberté. Ils plaident la détention arbitraire, devant le juge des référés de la cour d'appel de Fort-de-France. Le parquet balaie leurs arguments et, quoi que les avocats évoquent les émeutes qu'il y a eu au centre pénitentiaire de la Guyane à cause du CoViD 19, affirme qu'il n'y a pas de coronavirus à la prison et que leurs clients ne sont pas en danger. Le juge des référés confirme le maintien en détention.

Me Alex Ursulet : "Le CoVid n'a pas encore tué le code de procédure pénale !"

La défense fait appel. Cette fois, c'est la chambre collégiale de l'instruction de Fort-de-France qui est saisie. Mes Philippe Edmond-Mariette et Alex Ursulet entrent dans la danse alors que leurs clients ont bientôt exécuté un mois de détention arbitraire. Le 14 avril, l'audience avec visio-conférence est organisée avec les détenus et leur défense. Elle va durer trois heures. Pierre-Yves Couilleau, le procureur général vient lui-même requérir. Il évacue toute notion d'arbitraire et cite une jurisprudence de 1987. La défense ne manque pas d'observer qu'à cette époque, le JLD n'existait pas... "Le juge, dit en substance le procureur général, a fait ce qu'il fallait." Il admet qu'il y a eu un "petit flottement" et prie ces messieurs du barreau de ne pas être "grognons". La défense écarte le mot "flottement" pour retenir celui d'un "dysfonctionnement". Elle soutient aussi que le juge d'instruction a voulu se protéger en saisssant la Cour de cassation, que sa saisine elle-même évoque incontestablement le caractère arbitraire de la détention. "La détention arbitraire, rappelle Me Alex Ursulet, est une faute professionnelle passible pour le juge qui l'a ordonnée de sanctions devant le conseil de la magistrature, mais c'est également un délit pénal passible du tribunal correctionnel. Un délit qui met en cause toute la chaîne de jugement, du juge d'instruction jusqu'au président de la chambre de l'instruction et ses assesseurs s'ils confirmaient sa décision, en passant par le juge des référés et le JLD !"

En attendant la Cour de cassation

Après trois heures d'audiences et une suspension de quatre heures, la chambre de l'instruction ordonne la libération des deux détenus, leur placement sous contrôle judiciaire, mais refuse d'annuler les mises en examen. "Nous avons flirté avec l'arbitraire à la cour d'appel, commente Me Rudy Constant. Finalement la raison et le droit l'ont emportés au grand désespoir du parquet !" "Peu importe le délit, renchérit Me Alex Ursulet, la présomption d'innocence doit jouer à fond et ce n'est pas parce qu'il y a une accusation qu'il faut violer le code de procédure pénale !"

La Cour de cassation a encore deux mois pour se prononcer sur la saisine du juge Leseaux, mais elle devra tenir compte de cet arrêt de la chambre de l'instruction qui consacre les faits de détention arbitraire. C'est la première fois en France, depuis le début de l'épidémie de CoViD19 et de l'état d'urgence sanitaire, que la haute juridiction est saisie sur un cas de détention arbitraire, une première pour le pays des droits de l'homme et chantre de l'état de droit.

FXG

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article