Une Cubaine lauréate du prix Jeunes Talents L'Oréal-UNESCO pour les femmes et la science
Gladys Gutiérrez-Bugallo est une des 35 lauréates du prix Jeunes Talents L'Oréal-UNESCO pour les femmes et la science. Si elle n’est pas guadeloupéenne, la jeune femme est caribéenne puisque cubaine et elle poursuit ses recherches à l’Institut Pasteur de la Guadeloupe. Interview
« Les Antillais des gens heureux, sincères, fraternels »
Vous cherchez à définir les modes de transmission de virus par des moustiques à Cuba. Pourquoi poursuivre vos recherches en Guadeloupe ? Comment avez-vous été aiguillée là ?
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Le travail que j’effectue dans le but d’obtenir un master en biochimie porte sur l'étude de la transmission verticale des virus de la dengue (des mères moustiques à leur descendance) dans les populations cubaines du moustique Aedes aegypti, la même espèce qui a causé les épidémies de dengue, de chikungunya et de Zika en Guadeloupe. Dans ces investigations nous avons démontré l'occurrence de la transmission verticale des quatre sérotypes de la dengue à Cuba. Pour développer mon doctorat, j'ai voulu approfondir ce phénomène, dans sa relation avec la transmission horizontale (moustique-humain-moustique), notamment en testant d'autres virus émergents. Cependant, nous n'avions pas assez d'infrastructure ou d'expertise à Cuba pour mener à bien ces expériences. C'est ainsi que nous avons pris contact avec le Dr Anubis Vega-Rua, qui a effectué ses recherches à l'Institut Pasteur de Paris et est responsable du Laboratoire d'études sur le contrôle de vecteurs (LeCOV) à l'Institut Pasteur de Guadeloupe. Bien que cet Institut Pasteur soit une petite institution, il est doté d'une infrastructure impressionnante et ses chercheurs, en plus d’être d'excellents professionnels, sont des personnes incroyables. La professeur Vega-Rua, experte dans le domaine de l'entomologie médicale et de l'arbovirologie, a accueilli l'idée de collaboration avec beaucoup d'enthousiasme, et ensemble nous avons conçu ce qui serait mon projet de doctorat. En 2018, nous avons commencé les premières expériences avec de très bons résultats qui ont été publiés dans une revue à fort impact et depuis lors nous avons poursuivi la recherche sous la brillante supervision du professeur Vega-Rua et la compagnie de collègues du laboratoire LeCOV de l’Institut Pasteur de la Guadeloupe. J'en profite pour remercier tout le monde, son directeur, le Dr Antoine Talarmin, et mes plus proches collègues.
La Guadeloupe vous était déjà familière ?
La Guadeloupe m’est familière parce que les gens que j’ai connus ici se sont montrés très chaleureux, bienveillants, toujours prêts à m'aider et à me faire sentir chez moi. L'idiosyncrasie des Antillais est semblable à celle des Cubains : ce sont des gens heureux, sincères, fraternels. De plus le climat de Cuba et de la Guadeloupe est exactement le même : dès le réveil, vous avez ce ciel bleu avec un soleil de plomb.
Que représente pour vous cette coopération caribéenne ?
Nous partageons certains problèmes de santé publique. Avec la question de la transmission des arbovirus (dengue, zika, chikungunya) par les moustiques, nous avons un scénario similaire, donc cette recherche nous permet d'apporter des réponses et des solutions à des problèmes communs. Je pense que c'est le plus grand gain de cette coopération.
Quel accueil scientifique vous a réservé l’Institut Pasteur ?
Le plus important est la qualité scientifique et la rigueur de ses chercheurs qui m’ont impressionnée. Chaque expérience que mon tuteur et moi concevons, nous l'enrichissons des idées et expériences de mes collègues du laboratoire, ce qui les rend incontestablement plus solides. La rigueur scientifique, l'expérience professionnelle, les échanges francs et la grande qualité des chercheurs de l'IPG et de leur travail m'ont fait grandir professionnellement. Je n'ai rien d'autre à dire sur cette institution (qui est aussi mon institution) que des éloges.
Que représente le fait de recevoir ce prix ?
Je me sens extrêmement heureuse et fière d'avoir reçu le prix, bien sûr, mais je sens aussi qu'il y a beaucoup de bons scientifiques en Guadeloupe, à Cuba et dans de nombreuses autres parties du monde avec suffisamment de talent pour obtenir ce type de prix. Je sens aussi que ce prix n'est pas seulement pour moi et mon projet doctoral. En effet, la recherche que je fais a de très nombreux auteurs, c'est une construction collective de Guadeloupe et Cuba, donc ce prix L’Oreal est aussi un prix collectif. Par ailleurs, ce prix met en évidence et de promeut les femmes dans la science. Ma recherche est à 80% féminine, je veux dire que la plupart de mes collaborateurs sont des femmes (sans pour autant rabaisser les hommes qui ont collaboré aussi bien et si brillamment), donc je considère qu'il est important que cet effort soit récompensé. Et je dis que c'est un effort des femmes qui font de la science à travers le monde, car les sociétés de tous les pays sont patriarcales et même sexistes. Il est plus difficile pour les femmes de réussir et d'avoir un espace de décision et de leadership, donc je pense que face à ces différences sociales, il est juste de faire ce type de différences dans la reconnaissance de l'effort et du talent.
Vos recherches vous placent dans les pas du premier Cubain à avoir mené de tels travaux, Carlos Finlay avec sa découverte du rôle du moustique dans la transmission de la fièvre jaune à la fin du XIXe siècle. Pensez-vous que les scientifiques aient une mémoire de leur histoire ? Et vous-même, connaissez-vous Finlay ?
Je suis très heureuse que vous mentionniez Carlos Juan Finlay, il a été le plus grand scientifique et travailleur de la santé cubain de tous les temps. Carlos J. Finlay est connu de tous les Cubains, et justement, le 3 décembre, la Journée de la Médecine Latino-américaine commémore sa naissance. Comme vous le dites, Finaly a été le premier à proposer l'idée d'une transmission vectorielle de la fièvre jaune par Aedes. aegypti en 1881. La fièvre jaune causait de gros dégâts à cette époque. Finlay a aussi posé l'idée d'une transmission verticale de la fièvre jaune, des moustiques à leur progéniture. C'est pourquoi je suis fière et j’honore en quelque sorte les travaux de ce brillant cubain lorsque je développe mes recherches dans ce domaine. Mais sa renommée ne se limite pas à Cuba, j'ai lu et écouté des scientifiques très importants d'aujourd'hui ayant une connaissance approfondie des travaux de Finaly. Certainement Carlos J. Finlay a été l'un des précurseurs de l'entomologie médicale et de l'arbovirologie dans le monde.
Propos recueillis par FXG