Florence Alexis ose la liberté au Panthéon
Florence Alexis, chercheuse et fille du grand écrivain haïtien Jacques-Stephen Alexis, est la commissaire de l'exposition « Oser la liberté »
Trois questions à Florence Alexis, commissaire de l'exposition « Oser la liberté », au Panthéon
« Cette exposition est un acte réparateur »
Accessible au Panthéon, à Paris, jusqu'au 11 février 2024, un cycle d'expositions et de travaux sur les figures des combats contre l'esclavage entre dans sa dernière phase. Florence Alexis, chercheuse et fille du grand écrivain haïtien Jacques-Stephen Alexis, est la commissaire de l'exposition « Oser la liberté », qui met en avant des personnages historiques mais aussi un contenu historiographique riche. Elle explique en quoi cette démarche est une « œuvre de réparation », selon elle aussi salutaire que de potentielles réparations financières des crimes de l'esclavage.
Quelle forme avez-vous choisi, et quel récit, pour l'exposition « Oser la liberté », au Panthéon ?
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« L'exposition essaye de raconter la manière dont les gens ont su résister à l'esclavage et à la traite négrière, à partir du 17è siècle, essentiellement en France. Elle raconte cette histoire à partir de personnages identifiés qui ont été des Africains qui se sont rebellés contre le système dès le continent africain, sur les navires et à leur arrivée dans les Amériques par des révoltes, des insurrections. Mais elle raconte aussi une histoire qui est plus proche de nous ici et qui est celle de tous ceux qui ont résisté en France au système inhumain et déshumanisant de l'esclavage. Vous avez ici au Panthéon un certain nombre de personnages qui sont des figures du combat contre l'esclavage comme Mirabeau, comme l'Abbé Grégoire, comme Victor Schoelcher... Tous ces personnages reposent au Panthéon et cette exposition relie ceux qui ont résisté à l'esclavage dans les colonies et ceux qui ont résisté en métropole. On essaye de montrer comment ces formes de luttes se sont combinées et se sont enrichies mutuellement pour arriver aux abolitions de l'esclavage en France, en 1794 puis en 1848 après le rétablissement de l'esclavage par Bonaparte. »
Cette exposition fait partie d'un cycle avec d'autres travaux sur le même sujet qui sont présentés au Panthéon et notamment les œuvres de Raphael Barontini, « We could be heroes ». Toussaint Louverture a été célébré l'année passée. Est-ce qu'il y a un moment particulier de retour de la République française sur cette partie douloureuse de son histoire ?
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« Je pense qu'il y a surtout – très heureusement pour nous – un très beau travail des historiens français qui commence à porter ses fruits. Toute une partie de l'histoire était un peu gommée, cachée et maintenant elle est remise à jour. Désormais la République a reconnu l'oeuvre de Toussaint Louverture puisqu'il est représenté ici au Panthéon, il a une plaque qui lui rend hommage. Il est mort au Fort de Joux, emprisonné par Bonaparte mais il est honoré par la République. De même un autre personnage comme Louis Delgrès, le Guadeloupéen qui s'est également révolté contre le rétablissement de l'esclavage par Bonaparte, est honoré par le Panthéon. Un écrivain martiniquais comme Aimé Césaire est aussi honoré dans ce lieu. Et Joséphine Baker a été accueillie au Panthéon ! Vous avez également un personnage comme Félix Eboué qui est rentré au Panthéon après la guerre, en 1949, en compagnie de Victor Schoelcher qui est l'abolitionniste de 1848. Il y a donc tout un continuum d'histoire qu'on voit apparaître. Simplement, il s'agit de personnages qui étaient un peu oubliés ou gommés de l'histoire de France. Avec le travail des historiens de ces dernières années, ces figures reprennent vie et reprennent toute leur importance dans le récit national. »
Iriez-vous jusqu'à dire que c'est suffisant ou bien qu'il faut – comme le réclament certains militants et certaines associations – aller plus loin et effectuer des réparations qui ne soient pas que symboliques ou de l'ordre de la « réintégration dans le récit national » ?
« Je pense que de toute façon, quelle que soit la manière dont on envisage l'avenir et quelles que soient les solutions que l'on trouvera, il est important d'en parler ! Ce n'est pas en faisant silence, en en faisant un sujet tabou que l'on va régler le problème. Au contraire, moins on en parlera, plus ce sujet va inquiéter et animer les esprits, hanter les esprits. Il est important de réfléchir sur ces questions. Je pense que nous arrivons à un point où on peut s'asseoir autour d'une table, consulter, les historiens, les philosophes, les sociologues, les élus, les artistes, tous ces gens-là pour qu'ils puissent réfléchir ensemble sur la manière dont on peut, non pas réparer financièrement mais réparer tout court ! Je considère que l'exposition que nous présentons ici au Panthéon est un acte réparateur en soi. Il y a mille manière de réparer : l'exposition en est une et il y a en a beaucoup d'autres, en matière de coopération, d'éducation, de santé... Nous avons même des questions de santé mentale qui se posent chez les héritiers de l'esclavage. Il y a beaucoup de manières de réparer ce récit et j'espère que nous appartenons à cet effort de réparation qui se met en place. »
Propos recueillis à Paris par FA
Légende photo Barontini : Le Pantheon accueille plusieurs expositions en ce moment dont les œuvres de Raphael Barontini, rassemblées sous le titre « We could be heroes »