Caraibes, Antilles, Réunion, Outre-mer, Paris... Le blog des infos du 6e DOM, des gens originaires d'outre-mer à Paris
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Edouard Glissant est né le 21 septembre 1928 à Sainte-Marie en Martinique. A l’occasion de ses 80 ans, lundi, le quotidien de Martinique, France-Antilles publie un numéro qui lui rend hommage. A Paris, l’ancien Premier-ministre Dominique de Villepin qui lui avait confié en 2006 une mission sur la mémoire de l’esclavage a accepté d’évoquer l’œuvre et la personnalité du poète et philosophe martiniquais. « Débattre dans la violence du chaos-monde » Comment avez-vous découvert la philosophie d'Edouard Glissant et que vous a-t-elle apporté ? La poésie et la philosophie d'Edouard Glissant – les deux sont inséparables – m'accompagnent depuis longtemps, d'autant que je suis profondément attaché à la Martinique et aux Caraïbes, où j'ai passé une grande partie de mon enfance et de mon adolescence. Je m'y suis imprégné et nourri de la richesse, de la complexité de ces horizons. C'est une terre de rencontres et Edouard Glissant m'est toujours apparu lui aussi comme une terre de rencontre, des mots, des savoirs, des hommes. A travers la mondialisation, il y a bien, par le dialogue et par l'échange entre les cultures, l'espoir d'une nouvelle fécondation des peuples, à la fois fermes sur les racines de leur identité et en même temps poussés vers des pensers et des sentirs nouveaux. Ce que l'œuvre d'Edouard Glissant m'a permis de saisir avec plus d'acuité, c'est le sentiment que les identités de notre monde sont construites sur la complexité de racines foisonnantes, connectées les unes aux autres, éparpillées dans l'espace, profondes. De cette manière, il nous offre de nous débattre dans la violence du Chaos-Monde, comme il l'a appelé. C’est pour cette raison que j'ai toujours défendu l'idée qu'Edouard Glissant est un écrivain de demain et pour demain. Vous avez confié en 2006 une mission à M. Glissant sur la mémoire de l'esclavage. Pourquoi ce choix ? Nul mieux qu'Edouard Glissant ne pouvait restituer toute son épaisseur et toute sa vie à une question douloureuse, une déchirure des identités. C'est Edouard Glissant qui a, dans toute son œuvre, su faire affleurer les temps et les espaces qui s'entrechoquent dans l'identité créole. Il ne s'agissait pas pour le Président de la République et pour moi-même de conduire seulement à une vision historique de l'esclavage, il fallait aussi permettre de saisir cette mémoire en action et- surtout- en mots. La mémoire de l'esclavage et l'histoire de l'esclavage sont deux réalités qui doivent cheminer côte à côte, se nourrir l'une de l'autre, mais qui ne sont pas pour autant interchangeables. C'est un de ces jalons si nécessaires pour sortir du monde fragmenté, menaçant, instable qui est le nôtre pour aller vers un monde réconcilié. La mission d'Edouard Glissant a abouti à un travail tout-à-fait remarquable qui a permis de prendre conscience de l'ampleur des enjeux qui sont devant nous. Il montrait en particulier le lien indéfectible qui unissait l'histoire et l'idée même de République à l'abolition de l'esclavage. Les années passées nous ont montré à quel point cette question peut être un défi d'avenir pour des identités pacifiées, recomposées, ouvertes les unes sur les autres. Quel regard portez-vous sur cet homme, à la fois Martiniquais et universel, poète et philosophe ? Peu de poètes parviennent, comme il le fait, à réunir en une seule entreprise, en un seul projet, le foisonnement des existences. Le jeu de miroir des identités entre l'ouverture au monde et la mise en valeur de l'antillanité lui permet toujours de lutter contre tous les enfermements. Je pense que l'enracinement insulaire lui a montré la voie d'une pensée archipel, d'une pensée toujours en mouvement et prête à se désamarrer. Lorsque je relis la Terre inquiète, je retrouve cette puissante évocation de l'union de l'homme aux paysages qui l'entourent, de cette fatalité de l'isila. Cette pensée du tremblement a été pour Edouard Glissant un destin du porteur de paroles, des mots qu'il porte pour un peuple, qu'il porte pour un lieu, certes, mais au nom de l'universalité de l'expérience humaine. Malgré les dissensions, il faut admettre qu'il y a un lien réel entre la pensée d'Edouard Glissant et celle d'Aimé Césaire, à travers ce profond et viscéral refus de tous les particularismes rances, de tous les replis. Ses combats ont toujours été pensés et vécus à l'échelle du monde, dans la soif permanente de comprendre et d'échanger, en citoyen de l'universel.