Billets d'avions : les mauvais plans.com
Arnaque aux billets d'avion
Internet. Des annonces plus qu'alléchantes mais frauduleuses
Astucieux. Les fraudeurs payent avec de vraies CB aux numéros volés
Victimes. Entre 700 et 800 selon Air Caraïbes, la compagnie concernée
Enquête. La gendarmerie et la police aux frontières saisies de l'affaires
« Billets à prix imbattables » mais frauduleux
Entre 700 et 800 voyageurs se seraient fait avoir par des annonces relayées sur des sites internet et proposant des « billets à moitié prix », moyennant un mandat cash sur la Western Union.
La compagnie Air Caraïbes, concernée par cette escroquerie sur les vols entre Orly et les Antilles, recommande d'éviter d'acheter hors agences de voyages et comptoirs de la compagnie.
Une enquête est ouverte suite à sa plainte.
« Nous vous signalons que votre site héberge des annonces faisant miroiter la vente de « billets à moitié prix ». Ces annonces sont illégales et cachent un trafic de cartes frauduleuses ». Après avoir alerté les sites internet concernés, le service commercial d’Air Caraïbes vient de déposer plainte auprès de la gendarmerie des transports aériens d’Orly. Depuis le début de l’année, Edmond Richard, directeur commercial Europe de la compagnie aérienne, a noté une recrudescence d’arnaques à la carte bleue. Il estime le nombre de billets émis frauduleusement à 2 ou 300 pour sa seule compagnie entre janvier et juin de cette année.
« Rien qu’en une seule journée, la semaine dernière, indique Edmond Richard, nous avons remarqué 4 cas dont une dame qui avait ainsi acheté 5 billets pour sa famille. Elle a dû les racheter ». Le pic a été observé en janvier lorsque des sites Internet comme Leboncoin.com ou Vivastreet.com ont commencé à diffuser des annonces très alléchantes pour se rendre dans les territoires d’outre-mer. « Billets à prix imbattables », « billets à moitié prix », pouvait-on y lire… Et toujours un contact par mail ou par téléphone associé ainsi qu'une invitation à régler sa « super affaire » par mandat cash via Western Union par exemple à une adresse au Maroc ou au Cameroun.
« Arnaque extrêmement bien faite »
« L’arnaque est extrêmement bien faite, reconnaît Edmond Richard (photo), puisque le vendeur propose à l’acquéreur du billet de vérifier auprès de la compagnie la réalité de son ticket électronique avant de passer à la phase de paiement. » Car le fraudeur commande effectivement le billet au nom de son client, mais avec une carte bleue frauduleuse. Et quand la personne piégée appelle la compagnie pour vérifier que son billet est bien émis, celle-ci ne peut que confirmer qu’une réservation a été faite. Ce n’est que quelques jours après, quand la compagnie découvre que la carte est en opposition, qu’elle procède à l’annulation du billet. « Evidemment, pour que ce type d’arnaque marche, il faut que certains « clients » aient été satisfaits, note Edmond Richard.
Une dame a témoigné avoir déboursé 2 000 euros en liquide à un rabatteur antillais : elle en avait entendu parler par le bouche à oreille… C’est cette dame qui a dû racheter ses cinq billets d’avion. « Elle était en larmes », témoigne le directeur commercial Europe. « Les fraudeurs jouent sur la proximité du départ, ce qui laisse peu de temps à la banque et à nous pour réagir… », poursuit le directeur commercoam. La semaine dernière, un client a réservé un billet modifiable pour le 28 juin. Le 24, il s’est présenté à Orly pour un départ immédiat. « On n’a pu l’empêcher de partir malgré nos suspicions. La banque n’avait pas encore confirmé l’opposition… »
Forts de ces coups réussis, les rabatteurs n’ont aucun mal à convaincre des clients qui cherchent absolument la bonne affaire. Quand la compagnie antillaise s’est rendu compte de l’ampleur que prenait cette arnaque, elle a d’abord signalé ces annonces Internet comme abusives aux sites hébergeurs. « On a fait le ménage sur le site du Boncoin.com mais il a fallu se battre », souligne Edmond Richard. « Notre rôle est aussi d’avertir et de faire de la prévention auprès de nos passagers afin qu’ils évitent ce type d’arnaque. Nous leur conseillons donc d’emprunter les chemins classiques de réservation, soit sur notre site internet, en agence de voyage agréée, ou bien encore auprès des comptoirs Air Caraïbes. »
Entre 700 et 800 cas, selon Air Caraïbes
La compagnie a saisi la gendarmerie de transports aériens et la police aux frontières. Une enquête préliminaire a été ouverte à la gendarmerie. Les militaires en est encore à la phase de recensement et d’identification du périmètre de l’enquête. « On cherche à qui on a affaire, indique le commandant adjoint de la brigade de gendarmerie des transports aériens d’Orly. Air Caraïbes nous a expliqué le mécanisme et on essaie de remonter la filière… ». Il y a deux mois, la GTA a déjà démantelé un réseau (voir encadré). Les fraudeurs semblent disposer d’un stock de cartes bleues volées, ou de numéros de CB souvent obtenus grâce à la technique du fishing - une pêche aux informations via les mails vous assurant avoir gagné à une loterie ou autre et vous demandant vos coordonnées bancaires pour pouvoir être payé-…
La police aux frontières a un tout autre rôle : elle s’occupe de ceux qui sont passés entre les mailles du filet. Ainsi l’homme pressé qui avait réussi à embarquer le 24 juin au lieu du 28 était attendu à Fort-de-France par la PAF. Il aurait reconnu avoir payé son billet en liquide… une plainte pour recel a été déposée contre lui. Depuis quelques temps, la PAF attendrait tous les jours quelqu’un pour des raisons similaires, que ce soit à Pointe-à-Pitre, Fort-de-France ou Orly.
Air Caraïbes estime à 7 ou 800 cas pour sa seule compagnie. « Tous les jours, ce sont deux à trois billets que nous refusons à l’embarquement », déclare Edmond Richard. Les sanctions commencent par le remboursement du billet frauduleux mais peut aller, en dehors des procédures judiciaires éventuelles, jusqu’au blacklisting du passager par la compagnie aérienne. Air Caraïbes a également décidé de renforcer ses procédures de contrôle afin d’identifier plus rapidement les fraudeurs potentiels. Air France a indiqué qu’aucune fraude significative n’avait été signalée par son service spécialisé. Même chose chez Air Austral ou Air Tahiti Nui. Corsair non plus.
FXG (agence de presse GHM)
Témoignages
Une victime : « J'ai dû faire chauffer ma carte bleue »
Annie*, responsable d’une association culturelle antillaise de la région parisienne, a accepté de raconter comment elle s’était faite arnaquée. Pour rembourser une cinquantaine de billets d’avion, elle a dû souscrire des emprunts.
« Notre association a monté une pièce de théâtre que nous devions aller jouer en Guadeloupe et en Martinique. Notre troupe réunit une cinquantaine de personnes… Chacun de nous devait chercher de son côté un prix intéressant. En bavardant comme ça, une de mes connaissances me dit qu’elle avait eu l’occasion de voyager à plusieurs reprises grâce à un homme qui vendait des billets à prix cassés. « Je n’ai jamais aucun souci », m’a-t-elle assuré. J’ai accepté qu’elle me mette en contact avec cette personne pour 50 billets, à charge pour elle de me proposer un prix. Il m’a proposé 667 euros pour un Paris Fort-de-France, Fort-de-France Pointe-à-Pitre et Pointe-à-Pitre Paris. Bingo ! Il me donne son e-mail (domicilié à Casablanca) et je lui demande confirmation de tout ça par écrit. Il m’explique que son activité est de solder des billets invendus.
La troupe, composée de jeunes, d’étudiants, me demande si on peut payer en deux fois. C’est possible. Il m’explique alors que je dois lui envoyer un mandat Western Union et qu’à la réception de cet argent, il me renvoie les billets. Je devais payer le solde une fois seulement les billets reçus. Je fais un essai sur un ou deux billets avec des gens qui ne sont pas dans la troupe. Je reçois les billets électroniques avec le bon nom, le bon vol… Le voyage aller et retour s’effectue sans souci. Le test est bon. Et puis moi, je ne voulais pas faire d’amalgame entre une personne basée à Casablanca plutôt qu’à Marseille…
J’ai alors demandé à chaque membre de la troupe ses dates, je commande et je demande une facture. Je reçois mes billets électroniques et les transmets à la personne concernée. Mais le trésorier de l’association qui devait partir avant les autres m’appelle de l’aéroport pour me dire que son billet est frauduleux. Je rappelle mon vendeur qui me dit de payer le billet et qu’il ferait une compensation. Je prends ma carte bleue et je paye pour mon trésorier un aller simple. Puis, il y en a eu de plus en plus, une véritable cascade de billets annulés. Il m’a alors envoyé une série d’allers simples sur des classes Madras mais je n’ai jamais eu les retours, pas plus que les transferts inter-îles. Les gens étaient très contents de voyager en Madras mais je ne leur ai rien dit pour sauvegarder le moral de la troupe… Et pour le retour, j’ai dû faire chauffer ma carte bleue.
Une chose est certaine, plus jamais je ne ferai de transaction avec quelqu’un que je ne connais pas de visu et je passerai systématiquement par un circuit officiel. »
*Le prénom a été changé
Une ancienne rabatteuse : « j’étais 50 % moins cher »
Sofia est antillaise. C'est une ancienne rabatteuse dans le collimateur de la police. Son numéro de téléphone a été fourni par une victime. Nous l’appelons et tombons sur sa messagerie sans laisser de message. Trente secondes plus tard, elle nous rappelle depuis un autre numéro.
- Bonjour, vous êtes Sofia ?
- Oui…
- On m’a dit que vous avez des plans pour des billets d’avion pas chers…
- Je ne le fais plus… Je travaille et cette activité me prenait trop de temps par rapport à mon métier.
- C’est dommage parce que tout le monde dit que vous aviez des prix très intéressants…
- Oui, je sais, mais j’ai arrêté. J’ai eu quelque petits problèmes avec les billets donc, du coup, j’ai arrêté.
- Pourtant, on m’avait garanti que c’étaient des billets 100 % vrai…
- Ecoutez, il y a tellement de gens comme vous qui sont intéressés que j’ai dû arrêter à cause de mon métier. Ca me prenait trop de temps…
- Personne n’a pris le relais ?
- Il doit y avoir d’autres personnes qui doivent faire ça mais je ne les connais pas. Je ne m’intéresse plus à ça.
- Vous n’avez pas de conseils à me donner ?
- Pas vraiment, sauf d’aller dans une agence…
- Oui, mais vos prix battaient ceux des agences !
- Je sais, j’étais 50 % moins cher…
Propos recueillis par FXG
Zoom
Arnaque évitée de justesse
Une annonce d’abord : « Groupe de personnes cédant leurs billets d’avion pour Fort-de-France et Pointe-à-Pitre. Voyage annulé à cause des intempéries ». Bourikette (c’est le pseudo de la cliente) prend contact avec discountrav@hotmail.fr et apprend qu’il s’agit d’une troupe de musiciens n’ayant pu voyager à cause des intempéries et revendant les billets n’ayant pu être utilisés. Elle est accrochée : « En ce qui nous concerne, ce serait pour un vol Paris Pointe-à-Pitre du 18 février au 2 mars comme je vous l’ai stipulé. Quelle est la compagnie ? A combien cela me reviendrait pour deux personnes ? ».
Réponse de l’annonceur : « entre en contact avec l’auteur de cette annonce. « C’est 450 euros avec Air Caraïbes » et une adresse postale pour le paiement, à Casablanca (Maroc). Bourikette est d’accord. Nouveau message de l’annonceur : « Les billets sont au départ de Paris, ils sont modifiables (nous les mettons à vos dates) et électroniques, donc nous pouvons vous les faire parvenir par e-mail. Oui, c’est possible pour deux personnes. Lorsque vous nous donnez vos noms et prénoms pour l’édition du billet, dès réception de celui-ci, vous pouvez le vérifier auprès de la compagnie aérienne avant de nous envoyer les fonds. Donc, vous aurez les billets sans dépenser un euro, mais après vérification, vous avez 24 heures pour nous régler sinon nous portons plainte auprès de la compagnie aérienne ».
Prudente, Bourikette appelle la compagnie avant d’envoyer son mandat cash, juste pour contrôler l’état de la réservation et voir si cela est honnête car le règlement par mandat à Casablanca lui paraît suspect ». Air Caraïbes lui conseille fortement de ne pas donner suite à cette transaction. « Je vous remercie beaucoup car grâce à vous, j’ai échappé à une belle arnaque ».
Repères
Mesures de prévention
La gendarmerie des transports aériens met en garde les voyageurs contre « la trop bonne affaire qui cache souvent de l’illégal » et appellent à la vigilance. « Les gens doivent savoir que dans le prix de leur billet d’avion, il y a la sécurité et la sûreté », insiste l’officier de gendarmerie. En aucun cas, il ne faut accepter de payer un billet en liquide ou par mandat cash. Air Caraïbes rappelle aussi ces règles essentielles : un billet s’achète auprès d’une compagnie aérienne ou d’une agence de voyage agréée (même sur Internet) ; un billet est toujours nominatif et incessible.
Un business de 300 000 euros
Le 19 mai dernier, le journal Le Parisien révélait comment la GTA d’Orly avait mis hors d’état de nuire une bande d’escrocs qui achetaient et revendaient des billets d’avion acquis frauduleusement sur Internet. 7 personnes étaient interpellées en France, au Maroc et en Belgique. » Selon la GTA, une soixantaine de compagnies aériennes ont été escroquées pour un préjudice estimé à 1 ou 2 millions d'euros… Les gendarmes remontent à un jeune homme de 25 ans, basé au Maroc qui a trouvé le moyen de détourner des coordonnées bancaires pour acquérir des billets d’avion à destination de l’Afrique, de l’Amérique, de l’Asie et de la France. Le businesse est juteux puisque son bénéfice a été estimé à 300 000 euros par an ! Cet homme, un revendeur en Belgique et cinq autres parisiens répondront devant la justice du chef d’achat et de ventre frauduleuse en bande organisée.