Comédiens et noirs en France
Culture(s) noire(s) en France : la scène et les images
« Peut-on parler de cultures noires en France ? », interroge l’historienne des arts du spectacle et anthropologue des représentations coloniales, Sylvie Chalaye, en introduction de l’ouvrage qu’elle a dirigé, Culture(s) noire(s) en France : la scène et les images, paru chez Lharmattan en mai 2013. Puisque, théoriquement, la France n’a pas de « culture ghetto », ni de « lieu ou de théâtre dévolu aux expressions artistiques du monde noir », l’ouvrage s’interroge sur les raisons qui font que les artistes noirs sont régulièrement mis à la marge… « L’artiste noir, poursuit la chercheuse, est assigné à produire de la culture noire et, en même temps, on soupçonne de communautarisme ou de ghettoïsation les manifestations tournées vers les expressions afro-caribeennes ».
Lilian Thuram soutient qu’il n’y a pas de culture noire. « J’ai intitulé mon livre, Mes étoiles noires, mais j’ai eu aussi des étoiles blanches », écrit-il dans un entretien publié dans l’ouvrage. Kofi Kwahulé y développe davantage le sens du mot « culture » que celui du mot « noire » qu’on lui accole. Le sujet a déjà fait l’objet d’un livre et d’un documentaire, La France noire, qui expose la réalité du monde artistique noir et le processus historique de fabrication des Noirs de France. L’ouvrage de Sylvie Chalaye évoque Serge Hélénon et l’art négro-caraïbe, mais encore les portraits antillais d’Emeline Médina, l’exposition, L’invention du sauvage, la Venus hottentote, qu’elle soit incarnée par Edith Nana ou Chantal Loial… De Phèdre noire à Bakary Sangaré chez Antoine Vitez en passant par Georges Aminel à la Comédie française, des acteurs noirs ont été pourtant hissés au panthéon des grands artistes. Depuis le XIXe siècle, le monde du spectacle français a été nourri des expressions culturelles venues d’Afrique, des Caraïbes et des Amériques. Mais quelle place a-t-on laissée ou donnée à cette créativité que l’on place commodément dans l’enclos de la créolité, celui de la francophonie, plus exotique encore, des outre-mer ou, plus démagogique, dans les cultures urbaines ? Des auteurs, des acteurs s’interrogent, à l’instar de Maxianu Medenou : « De Dom Juan à Woyzeck, la couleur a-t-elle son importance ? »
Après les témoignages de Jacques Martial, de Claire Denis, les expériences de Jenny Alpha, de Lucien Jean-Baptiste ou celle collective du Théâtre des Outre-mer en Avignon, un piste est proposée par Dieudonné Gnammakou dans sa post-face du livre de Samuel Nja Kwa, Minorité visible, cinéma invisible (éditions Dagan) ; « Il n’y aurait aucune incongruité à faire jouer au cinéma par un ou une Noir(e), un légionnaire romain, une noble toulousaine au moyen-âge, une nonne sous Louis XVI, un officier général sous la révolution, un résistant, héros de guerre, libérateur de Paris au XXe siècle, une chef d’entreprise du CAC 40 ou un cardiologue réputé au XXIe siècle. » La question que pose l’ouvrage dirige par Sylvie Chalaye est : la France en est-elle capable, le veut-elle ?
FXG, à Paris