Cour des comptes et santé outre-mer
La santé dans les Outre-mer
La Cour des comptes a étudié la santé dans les Outre-mer et lui a consacré un rapport rendu public ce jeudi. Ce rapport souligne un défaut de pilotage, mais n’a rien de révolutionnaire dans son constat : « Les outre-mer connaissent une situation sanitaire meilleure que leurs pays voisins, mais ils cumulent des difficultés de type de celles que rencontrent les territoires métropolitains et des difficultés spécifiques. »
Les indicateurs de mesure montrent que les taux de mortalité infantile et maternelle sont plus importants que dans l’Hexagone, que ces territoires sont sujets à des maladies infectieuses transmissibles, vectorielles ou sexuelles, ainsi qu’en attestent les épidémies de chikungunya ou de dengue et la prévalence du sida et des hépatites. Ces territoires sont aussi confrontés à la drépanocytose et aux maladies chroniques dues aux changement de mode de vie et d’alimentation (diabète, hypertension, maladies cardio-vasculaires, insuffisance rénale…). Certains territoires, comme les Antilles, sont soumis à des problèmes environnementaux spécifiques dus à l’usage de pesticides organochlorés.
Le rapport s’est intéressé à l’organisation des soins, la prévention et de la prise en charge des patients. Il existe des zones de progrès en matière de prévention, notamment avec les vaccinations, mais les dépenses par habitant de l’assurance maladie sont inégales : 1 centime par an et par habitant à la Réunion, 11 centimes en Guadeloupe, 41 centimes en Martinique et 62 centimes en Guyane.
En matière de médecine libérale, il existe des zones surdotées et des déserts médicaux.
Cette situation confère aux pôles hospitaliers un rôle central. Ce système hospitalo-centré répond aux problématiques de prise en charge, mais avec beaucoup de difficultés.
Absence de stratégie publique en outre-mer
La Cour note un problème avec les dépenses d’investissements. Ils sont lourds, difficiles à mener à bien et parfois surdimensionnés. Quant au fonctionnement, les hôpitaux connaissent un sureffectif de petit personnel et de grandes difficultés de recrutement pour les praticiens. Par exemple, à Mayotte, l’hôpital emploie 190 médecins, mais ils sont 500 à tourner sur ces 190 postes sur une année.
Les hôpitaux connaissent aussi des problèmes financiers récurrents. Ainsi, observent les rapporteurs, 43 % des 417 millions d’euros d’enveloppes exceptionnelles apportées par le ministère de la Santé pour combler les déficits vont à l’Outre-mer.
Enfin, si l’on observe des qualités de soins remarquables dans certains domaines, d’autres laissent à désirer, sans parler du taux élevé de maladies nosocomiales, de l’insuffisante offre de soins en matière de psychiatrie ou le faible developpement de la télémédecine.
Il est donc nécessaire, selon la Cour des comptes, de mettre sur pied une stratégie publique dans les Outre-mer. Il y a bien eu le plan Santé Outre-mer en 2009, mais il s’est avéré « insuffisant opérationnellement pour réduire les écarts et insuffler une dynamique de santé partagée ». Un magistrat va même plus loin : « Ce plan est à rebours de ce qu’il faut faire ! » La lutte vectorielle avait été omise… Ainsi, la Cour des comptes qui a remis son rapport aux ministres de la Santé, des Outre-mer et de la Justice (pour les populations détenues), préconise d’agir plus efficacement avec 14 recommandations. « La stratégie nationale de santé établie en 2013 et la future loi de santé publique qui le déclineront doivent être l’occasion de définir un programme de santé à partir des constats établis territoire par territoire, autour d’objectifs réalistes, selon un calendrier pluriannuel, assorti des indicateurs de moyens ».
Du travail en perspectives pour nos ministres et nos parlementaires.
FXG, à Paris
Les principales recommandations
- Mise en place au niveau des ministères de la Santé et des Outre-mer d’un tableau de bord actualisé pour mesurer les écarts et engager les actions correctrices.
- Charger les Agences régionales de santé de rééquilibrer les financements au profit d’un programme de prévention spécifique.
- Développer dans des délais rapides des protocoles de coopération entre infirmiers, sages-femmes et orthoptistes avec les médecins.
- Développer des contrats d’engagement de service public, des postes de praticien territorial de santé pour pallier aux disparités territoriales d’implantation de médecins.
- Recentrer l’hôpital sur les pathologies lourdes en développant les prises en charge alternatives à l’hospitalisation, en renforçant les soins de ville et en améliorant le pilotage des urgences.
- Rendre plus efficiente la gestion hospitalière en recrutant des équipes expérimentées, en renforçant les équipes médicales notamment par la mobilité outre-mer de praticiens avec une garantie de réaffectation au retour dans l’Hexagone…
- Rendre obligatoire l’intervention de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé dès la phase de conception.
- Instaurer une obligation de service public pour les évacuations sanitaires et l’acheminement de médicaments.
- Décliner un volet outre-mer dans la loi de santé publique, intégré au contrat d’objectifs et de performance des agences de santé nationales.
- Créer un réseau interministériel composé d’un chargé de mission, référent outre-mer dans chaque direction et agence sanitaire concernée.
Taux de mortalité infantile
Le conseil interministériel de l’outre-mer de 2009 prévoyait de réduire de moitié dans les DOM le taux de mortalité infantile en 2014.Cet objectif a été repris en 2010 dans le contrat de chacune des agences régionales de santé, et en 2011, dans un document d’orientation de la direction générale de la santé. Cet objectif n’a pas ete atteint et semble, dans certains territoires comme la Guyane, hors de portée
En Guadeloupe, ce taux était de 7,8 pour 1000 en 2000, 9,5 en 2009, 6,9 en 2010, 7,9 en 2011 et 9,9 en 2012.
En Martinique, ce taux était de 6,6 pour 1000 en 2000, 9,4 en 2009, 8,4 en 2010, 8,2 en 2011 et 8 en 2012.
En Guyane, ce taux était de 12,5 pour 1000 en 2000, 10,4 en 2009, 10,9 en 2010, 8,6 en 2011 et 9,2 en 2012.
A la Réunion, ce taux était de 5,7 pour 1000 en 2000, 8,1 en 2009, 6,6 en 2010, 7,7 en 2011 et 8,5 en 2012
Dans l’Hexagone, ce taux était de 4,4 pour 1000 en 2000, 3,7 en 2009, 3,5 en 2010, 3,3 en 2011 et 2012.
Les données dont on dispose pour Mayotte sont lacunaires : 13,5 pour 1000 en 2008 et 2010 et 26,1 en 2011. La malnutrition y est une situation chronique.
Des hôpitaux en réserve de certification
20 % des établissements de santé d’outre-mer ont été classés en D, ce qui entraîne des réserves de certification pour la Haute autorité de santé. Les établissements de Guyane, Mayotte, Saint-Martin et Saint-Barth ont ainsi été en très grande difficulté pour être certifiés, avec des réserves majeures.
Ceux des Antilles sont handicapés par des manquements aux normes de construction, antisismiques notamment, et de sécurité incendie. La certification du centre hospitalier de Cayenne a été différée fin 2013 dans l’attente de redressements significatifs. La Réunion est appréciée par les certificateurs pour une gestion très correcte en termes de qualité.
Chlordécone
L’impact sanitaire et le coût de ce « désastre chimique » demeurent inconnus. Le recensement des ouvriers agricoles éventuellement atteints n’a pas ete opéré.
73 % des bovins contaminés en Guadeloupe en 2012 présentaient également des résidus d’autres pesticides antérieurement utilisés dans les bananeraies. La canne et la banane sont désormais « sous contrôle », mais le maraîchage aurait fait un usage excessif de produits autorisés…. Alors que se prépare avec lenteur le plan chlordécone III 2012-20120, aucun bilan du plan II, ni de son pilotage n’a été effectué.
Le sénateur Antiste salue l’efficience des ARS
Tandis que la Cour des comptes présentait son rapport sur la santé en outre-mer et préconisait une refonte de sa gouvernance, le Sénat débattait mercredi des Agences régionales de santé (ARS) avec la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Maurice Antiste est intervenu pour saluer « l’efficience » des ARS. Il estime que les missions qui lui sont dévolues (la mise en œuvre du projet médical de territoire, l’organisation de la permanence de soins, la définition des priorités en matière de prévention et dans l’offre médicale) sont « assumées avec détermination et efficience ». Pour appuyer son affirmation, il cite le projet régional de santé, la contractualisation avec les établissements et les professionnels de santé, l’action des acteurs de terrain dans une logique de construction des parcours de santé…
Il reconnaît toutefois lui aussi des problèmes soulevés par la Cour des comptes comme la garantie de couverture de médecine de ville et le pouvoir de réquisition de médecins par le préfet qu’il verrait mieux confie à l’ARS. Il regrette l’absence de « concordance entre la planification de l’offre de soins médico-sociale et la politique de formation mise en place par le Conseil régional », un retard d’infrastructures dédiées aux séniors et encore l’absence d’interconnexion entre l’ARS et le système d’information autonome de l’assurance maladie.