Henry Sidambarom
Henry Sidambarom honoré par Vayalar Ravi
Vayalar Ravi, ministre du gouvernement fédéral de l’Inde en charge des Affaires indiennes d’outre-mer, est l’invité d’honneur de la « Première rencontre de la diaspora indienne des Outre-mer », les 17,18 et 19 décembre, en Guadeloupe. Une initiative de l’association Gopio Guadeloupe (Global Organisation of People of Indian Origin) présidée par Michal Narayaninsamy. Pour cette occasion, Rhold Pelage, arrière petit-fils d’Henry Sidambarom et l'ethno-historien Gilbert Francis Ponaman signent ci-dessous un texte sur Henry Sidambarom, l’homme qui a obtenu la nationalité française pour les Indiens de Guadeloupe en 1925. Cet article est un avant goût du livre qu’ils préparent pour 2011, Henry Sidambarom, au nom des miens.
« Henry Sidambarom fut le leader charismatique indien de la guadeloupéanité dans une société hostile aux Indiens. C'est au nom des valeurs de la France qu'il réclame pour les siens, la nationalité française, le droit de vote et le droit d'effectuer le service militaire. « La République ne doit pas instituer des distinctions entre ses citoyens. Oublierait-elle sa devise inscrite au frontispice de son édifice : Liberté-Egalité-Fraternité ? », écrit-il.
Sa vie toute entière demeure l'exemple exceptionnel d'un apostolat au service des autres. Lorsqu'il vient au monde le 5 juillet 1863, il est permis de penser que ce jour-là un destin auspicieux avait choisi cet homme pour illuminer la vie de ses compatriotes. Dès l'âge de 5 ans, il se révèle un écolier studieux, un modèle exemplaire d'une éducation raffinée. A 7 ans, son père l'inscrit dans une institution religieuse, chez les Frères de Ploermel. Malheureusement, sa brillante scolarité est interrompue par le décès de sa mère. Il abandonne ses études, trouve un emploi de commis au Bureau Central de l'Immigration à Basse-Terre. Il en profite pour suivre assidûment les débats du Conseil général. Il décide de s'installer à Pointe-à-Pitre où il occupe des fonctions de négociant et de commerçant. Il poursuit alors sa marche ascendante dans la capitale économique de l'ile. En 1882, il épouse Juliette Rose Narembin, une jeune Indienne dont les parents sont eux-mêmes originaires du Tamil-Nadu. Ils auront 5 garçons et 2 filles.
En 1886, il est élu conseiller municipal de Pointe-à-Pitre sur la liste de son ami Charles Danae. Il écrit aussi dans le journal de Léopold Dorval où il « se révèle un journaliste au courant des questions économiques et sociales » (Singaravélou : 1976). Il se dépense sans se ménager pour défendre les humbles et les déshérités. Il eut ainsi l'occasion de donner « la pleine mesure de son républicanisme éprouvé et de la finesse de son esprit ». En 1899, il s'installe de nouveau à Capesterre-Belle-Eau où il tient une épicerie, une quincaillerie, un magasin de matériaux de construction, construit un cinéma-théâtre de 300 places et une boulangerie coopérative. Âme puissamment altruiste, il fonde une société mutualiste, « L'obole du Travailleur ». En 1900, l'usine Marquisat, à la suite du décès de son propriétaire, est mise en vente à la barre du tribunal de Pointe-à-Pitre. Henry Sidambarom se rend adjudicataire pour la somme de 375 000 francs, mais l'avocat du Crédit Foncier l'oblige à verser le montant de l'adjudication sous huitaine, payable en numéraires ou en bons de la Défense Nationale sinon la vente sera déclarée nulle pour cause d'insolvabilité notoire. Il attend cette somme de sa banque à Paris ; il est honteusement trahi et c'est le Crédit Foncier qui acquiert l'usine Marquisat à son insu alors qu'il attend que l'affaire soit amenée devant la Cour d'Appel. Bouleversé, Sidambarom voit avec tristesse l'usine lui échapper. A l'époque, le pouvoir colonial puissant, intrigant, machiavélique, ne pouvait pardonner à un Noir, de surcroît un Indien, de prétendre acquérir des domaines réservés d'autorité à la classe dominante blanche. De cette épreuve, il en sortira renforcé et c'est d'un coeur intrépide qu'il devient en 1904 président de la Ligue des droits de l'Homme et du Citoyen. Aux élections municipales, sa liste obtient un triomphe éclatant. Huit jours plus tard, les 26 conseillers viennent chez lui, un dimanche matin. Il est convenu qu'il sera élu maire puisqu'il est en tête de liste. Le vote se fait à bulletin secret. Sidambarom est à nouveau trahi, c'est un inconnu, Célestin Anatole, qui est élu maire. Sidambarom démissionne.
En dépit des traîtrises, l'homme de l'action sociale et du combat politique continue de lutter, alliant un esprit souverain à une force de caractère hors du commun, la magie d'une âme compatissante à l'intelligence la plus brillante. Il suscite des jalousies d'autant plus vengeresses et des haines meurtrières qu'au fil du temps, sa renommée ne cesse de croître. Tous ceux qui le fréquentaient et dans tous les milieux, fussent-ils ou non de sa communauté, le tenaient en grande estime. Tel fut Henry Sidambarom, un homme qui toute sa vie combattit au nom des valeurs de la France révolutionnaire. C'est pour eux qu'il écrit: « Nous sommes nés à la Guadeloupe (...) mais pourquoi nous considérer à notre tour comme sujets français et non comme citoyens français au même titre que n'importe qui ayant pris naissance à la Guadeloupe ? (…) Il est donc étrange de parler de renonciation au statut personnel pour des gens nés à la Guadeloupe. Or dans quelque hypothèse que l'on se place, nous sommes toujours Français. Nous sommes donc Français de plein droit (...) Nous avons par conséquent comme tant d'autres, et au même titre, acquis droit de cité en cette colonie, considérée comme un département français. Egalement, vous ne pouvez chasser toute une race d'hommes méprisés à tort que vous considérez comme des ilotes dans votre société, mais qui contribuent pour une part égale aux charges de la colonie (...) Dont à la Guadeloupe, les fils comme les pères ont donné et continuent encore à donner du meilleur de leurs entrailles à la production du pays (...) Et au lieu de leur tendre la main (...) vous leur signifiez, parce qu’ils n'ont pas qualité de participer également à la puissance publique, parce qu'Indiens, qu'ils sont Français d'office. Nous sommes ici comme en France. La meilleure preuve de notre qualité de Français est définie par la loi ». Le 21 septembre 1952, cet être d'exception fermait les yeux sur cette Guadeloupe qu'il avait tant aimée. »
Gilbert Francis Ponaman, chercheur et écrivain, et Rhold Pelage, président de la commission Henry Sidambarom, vice-président de Gopio Guadeloupe.