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Publié par fxg

F-Mauvois-et-JP-Bel.jpgFrédérique Beauvois sest lauréate du Prix de thèse spécial du Sénat pour son travail intitulé : « Indemniser les planteurs, pour abolir l’esclavage ? Entre économie, éthique et politique : une étude des débats parlementaires britanniques et français (1788-1848) dans une perspective comparée. IEP Paris, faculté de lettres de Lausanne sous la codirection d’Olivier Grenouilleau et Bouda Etemad.» Son prix de 9 000 euros (dont 6000 pour une édition chez Dalloz) lui a été remis mardi soir au Sénat par le président Bel. Interview

« L’indemnité n’était à destination que des plus riches planteurs » 

 

Frederique-Mauvois.jpgQu’est-ce qui distingue l’Angleterre de la France sur ce thème particulier de l’indemnisation des planteurs ?

La précocité des Britanniques. Les Français s’y sont intéressés sans doute en raison de la révolte de Saint-Domingue qui a retardé le processus abolitionniste plutôt que de l’accélérer. Les Britanniques auront été les précurseurs de la lutte contre les traites négrières et l’esclavage. 

 

Mais ces parlementaires, comment abordent-ils moralement la question de l’indemnisation à verser pour la liberté des esclaves ?

Moralement ? Il y a trois raisons pour lesquelles on a aboli l’esclavage. Ma thèse découvre une de ces trois raisons qui est à mon avis la primordiale et qui a été négligée par les spécialistes jusqu’à maintenant. On indemnise parce que les esclaves étaient considérés juridiquement comme une propriété. Donc quand on exproprie, pour cause d’utilité publique ou de moralité publique, des esclaves, on doit indemniser le propriétaire. Si on commence à prendre des esclaves sans indemniser le propriétaire, c’est toute la notion de propriété qui est en jeu. Ensuite, c’était économique. Les colonies souffraient d’une détresse économique : endettement chronique, manque de capitaux. L’indemnisation de l’esclavage est intervenue comme un secours porté aux planteurs pour permettre à l’économie coloniale de se renouveler dans le travail.

Et votre découverte ?

La troisième raison que ma thèse découvre, c’est l’indemnité de collaboration. Si je peux me permettre, l’indemnité était une sorte de bakchich car elle n’était à destination que des plus riches planteurs. Les petits planteurs, les petits colons n’ont quasiment rien eu comme indemnités. C’était conçu pour que pour que les riches planteurs, ceux qui étaient au Parlement, votent l’abolition et la mettent en pratique dans les colonies. Sinon, la métropole n’avait aucun moyen de forcer les colons à libérer effectivement leurs esclaves. 

 

« Le phénomène des indemnisations est présent, accordé partout. C’est le phénomène clé. » 

A combien se sont élevées ces indemnités ?

C’étaient 126 millions dont la moitié en rente d’intérêt à 6 % et dont6 millions immédiatement en guise de secours.

Et chez les Anglais, est-on dans les mêmes valeurs ?

Non. L’indemnité française représente 15 % des dépenses publiques de 1848 alors que chez les Anglais, ça représente 40,7 des dépenses publiques de 1834, ce qui est astronomique. J’ai aussi étudié l’indemnité de Saint-Domingue, la célèbre dette que réclamait Aristide. 

 

Les Parlementaires ont-ils examiné la question de l’indemnité pour l’abolition de 1794, suite aux événements de Saint-Domingue ?

Elle n’a pas été discutée et ça a été une atteinte à la propriété, mais elle n’a pas été la seule puisque l’Etat a confisqué les biens de l’Eglise, séquestré les biens des émigrés. C’était une période de Révolution où tout a été pris. A la restauration, on rend les biens aux émigrés mais on ne peut pas rendre Saint-Domingue. Alors qu’est-ce qu’on fait ? En 1825, Charles X envoie une escadre avec Mackau chargé de donner une ordonnance où l’on somme le président Boyer de payer 150 millions de francs or, dix années de revenus d’Haïti. Haïti ne pouvait pas payer et on a ramené la dette à 90 millions de francs or en 1838 étalés jusque dans les années 1880.

Mauvois-entre-deux-laureats.jpg« C’était conçu pour que pour que les riches planteurs, ceux qui étaient au Parlement votent l’abolition »

 

Comment vous êtes-vous intéressée à l’histoire de l’esclavage ?

Je suis des Antilles. Mon père est de République Dominicaine. L’esclavage contemporain m’a toujours interpellé et avec mon directeur de thèse à Lausanne, on s’est interrogé là-dessus suite à la loi Taubira où la question des réparations financières était posée. Ensuite, on a regardé Aristide, l’abolition britannique… D’où l’idée de l’étude comparative pour savoir à quel point ce phénomène était fondamental dans le processus abolitionniste. J’ai étudié toutes les abolitions des Amériques et le phénomène des indemnisations est présent, accordé partout. C’est le phénomène clé. C’est l’apport de ma thèse. 

 

Cela donne-t-il raison à ceux qui réclament des réparations pour le crime de l’esclavage ?

Je ne vais pas intervenir politiquement, ce n’est pas le rôle de l’historien, mais l’indemnité qui a été versée aux planteurs, c’était pour libérer les esclaves plutôt. C’est ce qui s’est passé au Brésil où aucune indemnité n’a été versée et les planteurs ont pu attendre 1888 pour libérer leurs esclaves. Et là, on a donné de l’argent pour ne plus attendre. Aujourd’hui pour nous, ça semble scandaleux, mais pour les esclaves qui vivaient à l’époque, c’était un gain plus que précieux, la liberté immédiate et celles de leurs arrières petits-enfants. De ce point de vue, des réparations financières aujourd’hui posent questions : Combien ? A qui ? Je travaille actuellement à Washington sur les écarts de développement des gens d’origines ethniques différentes. On peut parler de politique sociale mais des réparations ? A qui, comment et combien ? Si on répond à cette question, je veux bien.

Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM) 

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B
<br /> comment ça se fait que notre Hersant y parle plus du pétrole en Guyane  et de Fabius le cancérigène qui a  magouillé avec Shell ?<br />
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B
<br /> http://www.youtube.com/watch?v=fG7yHCbMQ40&feature=related<br /> <br /> <br /> no one belives me.<br />
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T
<br /> "écarts de développement des gens d’origines ethniques différentes"<br /> <br /> <br /> Il faudrait aussi faire une étude sur l'écart de développement des gens d'origines ethniques semblables.  Les ancêtres de ceux qui ont cette vision du monde n'ont peut-être pas été "assez" indemnisés lors du<br /> changement de régime (de banane).<br />
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