Interview de François Hollande à son arrivée aux Antilles
ITW François Hollande, candidat socialiste à la présidentielle
« la République métissée a beaucoup à apprendre des Outre-mer »
Les problèmes d'insécurité et de délinquance sont venus se rappeler aux Antillais et Guyanais. Quelle politique proposez-vous ?
Depuis sa nomination en 2002 en tant que ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse de se présenter comme le « héraut » de la lutte contre la délinquance. Mais, dans ce domaine comme dans bien d’autres, le président sortant aura été celui des promesses non tenues et des engagements sans lendemain. Le rapport 2010 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales indique ainsi que les vols avec violence en Guadeloupe ont augmenté de 48% entre 2009 et 2010 !
Comment l’expliquez-vous ?
Ce résultat est en grande partie dû à la politique incohérente de la droite qui a laissé à l’abandon l’ensemble de la chaine pénale. Mais ce n’est pas tout : en démantelant notre système social, elle a créé les conditions d’une insécurité croissante. Je pense ainsi aux crédits des emplois aidés qui ont été divisés par 10 depuis 10 ans ! Ils représentaient pourtant pour beaucoup de jeunes une alternative à l’inaction et un premier pas vers l’emploi.
Il faut par ailleurs redonner les moyens à la police – mais aussi à la justice - de travailler. Les prisons sont saturées et souvent dans un état indigne d’un pays développé. Il est impossible d’y mener des politiques de réinsertion crédibles.
Bien souvent, comme en Guadeloupe, les élus régionaux et départementaux se mobilisent. Ils ont ainsi avancé dans la prévention auprès des familles en difficulté et dégagé des moyens pour contribuer à la formation des détenus. Si je suis élu, c’est ce type d’initiatives que je soutiendrais.
Concernant la rue Oudinot, quel est votre projet de gouvernance ? Un secrétariat d'Etat dépendant du ministère de l'Intérieur, un ministère de plein exercice ? Un simple secrétariat général dépendant de Matignon ?
La question, aujourd’hui, n’est pas tant celle de la forme du ministère que celle de la volonté du prochain président de la République de faire des Outre-mer des membres à part entière de la communauté nationale. Le véritable enjeu, c’est que chacune de nos politiques ait prévu un « volet Outre-mer ». C’est pourquoi je souhaite qu’il existe au sein de chaque grand ministère une cellule en charge de l’outre-mer afin d’élaborer des politiques publiques adaptées.
Le contrat de génération que vous proposez peut-il suffire dans ces territoires où près de 60 % de la jeunesse est au chômage ?
La jeunesse sera ma priorité. Ici, peut-être plus encore que dans l’Hexagone. J’observe que depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir en avril 2007, le chômage des jeunes de moins de 25 ans a augmenté outre-mer de 49%. Or, je le redis, les crédits pour les contrats aidés et les politiques de retour à l’emploi ont été divisés par 10 depuis 2002 ! Ce taux de chômage des jeunes n’est donc pas le fruit du hasard mais celui d’une politique de désengagement sans précédent de l’Etat Outre-mer à laquelle je mettrai fin. Le contrat de génération sera une première mesure forte. Elle permettra de relancer l’emploi des jeunes et de maintenir des seniors dans l’emploi. L’autre mesure spécifique que je propose, ce sont les emplois d’avenir, pour faciliter l’insertion des jeunes, en particulier dans les quartiers les plus difficiles. Mais le chantier est plus large : je souhaite ainsi que l'école, dès la crèche et la maternelle, redevienne le moteur de l’insertion sociale. Les Outre-mer doivent devenir des pôles d’excellence éducative, c’est possible. Enfin, c’est naturellement le développement économique qu’il faut favoriser afin de permettre à cette jeunesse de trouver localement l’emploi auquel elle aspire. Le pacte productif que je propose s’applique ici aussi. Je ferai par ailleurs en sorte que les entrepreneurs puissent bénéficier d’un cadre juridique et économique stable.
Subvention ou défiscalisation ? Quel est votre projet pour soutenir l'investissement productif ?
Je veux avoir une approche pragmatique. Le soutien budgétaire direct dans des domaines comme le logement ou la construction d’équipements publics est non seulement une évidence pour un défenseur d’un développement solidaire mais aussi le plus efficace au regard de la gestion des finances publiques. En ce qui concerne la défiscalisation et les exonérations de charges, l’important est de fixer des règles claires et stabilisées pour la durée de la législature. Cela n’a pas été le cas jusqu’ici : l’environnement réglementaire et fiscal n’a cessé d’être modifié ces dernières années : 5 réformes en 5 ans !
Avez-vous des propositions pour que le panier moyen de la ménagère ne coûte plus 30 % de plus qu'à Paris ?
Là encore, j’observe que la politique des coups de menton du chef de l’Etat n’a rien changé : début 2009, une grave crise éclatait aux Antilles et en Guyane motivée par la cherté de la vie et la pwofitasyion. Il y a un mois encore, soit plus de 2 ans après, c’est Mayotte qui connaissait le même mouvement de lutte contre la vie chère produit par les mêmes causes : le bilan du président en la matière est donc nul. Pour ma part, je crois impératif, pour améliorer le pouvoir d’achat des Ultramarins, de nous engager dans une lutte sans états d’âme contre les monopoles et contre les marges abusives.
Quelle sera la place de l'Outre-mer dans le programme présidentiel ?
Je veux renverser la vision de la droite. Ce n’est pas parce qu’on parle de région ultrapériphérique que la place des Outre-mer ne doit pas être centrale. Ces derniers peuvent au contraire être une source d’inspiration pour mon ambition pour la France. Ils sont, par exemple, un laboratoire institutionnel formidable dont les collectivités dans l’Hexagone doivent pouvoir s’inspirer. Je pense notamment à la possibilité offerte aux collectivités de bénéficier de pouvoir adapter certaines normes techniques en fonction de leurs spécificités. Par ailleurs, la République métissée qu’est aujourd’hui la France a beaucoup à apprendre des Outre-mer, pour s’assumer en tant que telle.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)