Interview Jacob Desvarieux
« Le zouk n’a pas évolué comme je l’espérais »
Les « vieux » sont toujours là. Et tant mieux ! Alors que le Grand Méchant Zouk revient pour la quatrième fois, les 17 et 18 juin au Zénith de Paris, Jacob Desvarieux, leader du groupe Kassav, se montre très critique envers la nouvelle scène musicale. Le musicien de Kassav, fondateur du zouk il y a plus de trente ans, n’est guère en phase avec cette génération « marketing ».
Dans quel état d’esprit avez-vous lancé la première édition du Grand Méchant Zouk en 1988 ?
L’idée, c’était de réunir les meilleurs musiciens et chanteurs du moment sur une scène pour promouvoir le zouk. On n’espérait pas devenir milliardaire avec ça, mais on voulait faire des tournées. A cette époque, il n’y avait pas beaucoup de groupes sur la route. Cette musique était toute jeune et l’on voulait qu’elle aille dans le monde entier.
Financièrement, l’événement a connu quelques difficultés…
On l’a d’abord fait deux fois (1988 et 1990), mais le problème, c’est que l’on jouait sans avoir de producteur avec une surface financière importante. Du coup, on s’y est mis nous-mêmes, même si ce n’est pas notre métier. C’était difficile. En 2006, on a retenté un coup et cette année, on voulait vraiment fêter les 20 ans de l’événement (avec Los Production), même s’il y a un peu de retard.
Selon vous, de quelle façon le zouk a-t-il évolué depuis trente ans ?
J’aurais espéré une évolution différente, surtout lorsque l’on en a été l’initiateur. Aujourd’hui, la musique devient celle d’un film. Elle accompagne une image et des mannequins deviennent chanteurs. A l’époque, on ne demandait pas à Miles Davis d’être un beau gosse, mais de jouer à la trompette. Aujourd’hui, il faut avoir 25 ans et être beau gosse pour aller à la télé. Et ça ne concerne pas que le zouk, mais la musique en général. A présent, tout le monde chante sur de la musique anglo-saxonne.
Et le zouk ne résiste pas face à cette « marketisation » de la musique ?
Non, c’est mon avis et peut-être que je suis extrémiste. Pourtant, le zouk a une originalité spécifique, on a pleins de choses à montrer. C’est dommage que ça se dilue. Mais aujourd’hui, dans le zouk aussi, tout le monde essaye de ressembler à un autre. Moi, j’aime les chanteurs qui amènent quelque chose, qui se démarquent.
« Je ne vais pas changer de look et chanter dans une langue que je ne maîtrise pas pour plaire à une maison de disque »
Pour durer encore longtemps, Kassav n’est-il pas condamné à établir lui-aussi un plan marketing ?
On est obligé. On essaye toujours d’être original, de faire de la musique qui va épater les copains. Mais je ne suis pas prêt à certaines compromissions. Je ne vais pas changer de look et chanter dans une langue que je ne maîtrise pas pour plaire à une maison de disque qui veut vendre davantage de disques. Je ne vais pas me mettre à chanter et jouer sur une musique de Mickael Jackson. On souhaite montrer l’exemple aux jeunes qui arrivent. Mais maintenant, l’intérêt, c’est de gagner de l’argent et de passer à la télé…
Pourtant vous allez bien devoir promouvoir le Grand Méchant Zouk pour remplir le Zénith…
Je ne fais pas de marketing, mais de la musique. Je n’ai pas la solution miracle. Mais tout n’est pas perdu. Des jeunes qui n’étaient pas nés lors de la naissance du zouk dansent sur notre musique.
Pourquoi n’avez-vous pas retenté de remplir le Stade de France pour cet anniversaire ?
On nous a demandé de le refaire, mais vu la grandeur du stade, on ne peut pas le remplir tous les ans. Pour un groupe qui n’a pas le soutien des grands médias, remplir 70000 places, c’est difficile. Très peu ont essayé. On peut rêver, peut-être qu’un jour, un Antillais dirigera une grande chaîne de télé !
Etes-vous fier malgré tout de ces trente années de zouk ?
Pour une musique qui s’est créé dans un petit pays, avec si peu d’habitants, c’est énorme. On remplit toujours des stades partout dans le monde et c’est parti pour durer. Tous les pays par exemple qui parlent portugais se sont appropriés notre musique. Pourquoi et comment ? Je ne sais pas. Ils y mettent même leur grain de sel. Le zouk évolue et n’a pas stagné. Ce n’est pas une musique identitaire, même Francis Lalanne fait du zouk et ce n’est pas ridicule. Peut-être que d’autres vont s’y essayer.
Mais le rythme musical des chanteurs actuels ne vous plaît pas…
Aujourd’hui, tout le monde chante dans un tempo lent. On peut écouter la radio pendant 20 minutes, on ne sait même pas si l’on a changé de chanson. Attention, il ne faut pas trop bouger, ne pas transpirer, ne pas avoir de tâches sous les bras et les cheveux ne doivent pas bouger. Ce n’est pas bon pour le look. Du coup, dans les boites de nuit, on passe toujours nos titres. Il faut revenir trente ans en arrière pour trouver quelque chose de festif.
Propos recueillis par Romain Schué (Agence de presse GHM)