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Publié par fxg

 

Bruno-Lasserre-3.jpgInterview

Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, arrive en Martinique, ce lundi, puis en Guadeloupe, mercredi. Depuis plus de deux ans, l’Autorité se mobilise sur les sujets qui intéressent le pouvoir d’achat des ultramarins. Elle a déjà rendu 9 décisions et 5 avis dans le secteur des télécoms, des carburants et de la grande distribution outre-mer.

« Le monopole d'importation conduit à gonfler les marges commerciales »

Comment expliquez-vous les différences de prix entre les Antilles et l'Hexagone ?

Nous avons mesuré les écarts de prix en magasin entre les DOM et la métropole. A l’été 2009, ils dépassent 55 % pour plus de 50 % des 75 produits échantillonnés. Pourquoi ? L’insularité et l’éloignement engendrent des coûts qui pèsent dans la formation des prix. Mais il y a clairement aussi un manque de concurrence à différents niveaux. La distribution est très concentrée. L’entrée de nouveaux groupes et la création de nouveaux magasins sont difficiles. Il existe beaucoup de liens entre enseignes et peu de mobilité entre elles. Et les contrats d’exclusivité de long terme conclus entre les grandes marques nationales avec un importateur local unique créent des rentes. Cela dit, il existe aussi des entreprises qui jouent le jeu de la concurrence.

Le transport et la logistique renforcent les coûts, mais il y a l’aide au fret et même, il y a encore peu, la TVA non perçue récupérable. On dit encore que les marges de distributeurs sont à peu près identiques dans l'Hexagone... Alors a-t-on identifié le noeud du problème ?

Le couplage entre monopole d’importation, intégration verticale et relations croisées - typique dans les DOM - est une mauvaise équation. En amont, les importateurs-grossistes sont préservés de la concurrence : des pratiques d’exclusivités territoriales liant fabricants et importateurs font que les distributeurs n’ont pas vraiment le choix de leurs fournisseurs. Le monopole d'importation conduit souvent à gonfler les marges commerciales. Ces fournisseurs parviennent ainsi à prélever des marges qui oscillent entre 20 et 60 % pour de nombreuses références. Les prix pourraient être moins élevés si on changeait la donne : moins dépendre des produits importés, moins recourir aux monopoles d’importation, moins imbriquer les différents acteurs, tout cela favoriserait le développement d’une économie moins dépendante et plus concurrentielle, au bénéfice des prix et donc de la collectivité tout entière.

Favoriser la concurrence dans la distribution n'est-il pas vain quand l'importation est tenue par un duopole de centrales d'achat ?

Les centrales d’achat sont utiles : il est économiquement rationnel de mettre en commun les moyens logistiques pour que les coûts soient partagés et les volumes de commandes rationalisés. Néanmoins, les exclusivités conclues entres centrales d’importation et grandes marques nationales peuvent limiter artificiellement la concurrence. Favoriser la concurrence entre distributeurs les incitera à rechercher des prix plus faibles soit en développant des partenariats avec des producteurs locaux (MDD), soit en faisant pression sur les grossistes ou les centrales d’achat, soit en les contournant. L’exemple de Leclerc en Martinique est très illustratif: pour pratiquer des prix bas, celui-ci choisit une filière d’approvisionnement directe… 

Bruno-Lasserre-2.jpgEt comment agissez-vous avec les distributeurs ?

Nous sommes vigilants quant aux projets de fusion. Lorsque nous avons examiné le rachat de magasins par le groupe Ho Hio Hen en Martinique, nous avons vu que l’opération poserait problème dans la zone du Lorrain et avons obtenu la vente d'un magasin à un repreneur indépendant. Sur le front des participations croisées, nous négocions actuellement en Guadeloupe avec les groupes Hayot et Huygues-Despointes un décroisement  de leurs participations dans l’enseigne Carrefour pour redynamiser la concurrence…

Concrètement, quels sont vos outils pour changer la donne ?

Nous avons le pouvoir de bloquer les fusions qui posent problème. Sur notre proposition, le gouvernement a fait adopter une modification de la loi pour nous permettre de regarder les choses de plus près, en abaissant le seuil de contrôle. Pour le commerce de détail, dès que la cible d'une acquisition atteint 7,5 millions d'euros de chiffre d'affaires, l'opération doit nous être notifiée et nous pouvons examiner si elle endommage ou non la concurrence. Nous pouvons aussi sanctionner les comportements déviants : cartels, ententes, abus de position dominante, ou encore exclusivités anticoncurrentielles.

Le prix du carburant a fortement impacté la hausse de l'indice des prix à la consommation. Quelle est la position de l'Autorité ?

La concurrence est insuffisante. Entre 2001 et 2009, les marges des distributeurs ont crû de 44 % pour la Guadeloupe et de 20 % pour la Martinique (33% en Guyane et 77 % à la Réunion, NDLR). Le marché est rigide et il n’y aura de réduction de l’écart avec la métropole sur le prix à la pompe que si la distribution évolue. Le gouvernement a modifié dans le bon sens la régulation applicable aux carburants. Mais ce n’est pas qu’une question de concurrence : regardez l’évolution du prix du baril de pétrole !

Et la SARA ?

Il faudrait ouvrir ses plateformes de stockage à tous les distributeurs indépendants et non pas seulement aux pétroliers intégrés. Cela ne remet pas en cause la présence de la SARA en Martinique, qui est aussi un outil industriel important. Dans l’intérêt des Antillais, davantage de transparence est cependant souhaitable sur les prix à la sortie de la raffinerie afin que chacun puisse vérifier que les prix régulés ont un lien direct avec des coûts effectivement supportés.

Bruno-Lasserre-1.jpgPouvez-vous nous dire comment est composé le prix du litre d'essence ?

 

Le préfet fixe par arrêté diverses composantes du prix. C’est un système compliqué, tributaire de plusieurs facteurs, à commencer par le prix du baril qui est très fluctuant.  Le prix régulé, si l’on prend l’exemple du gazole en Martinique, intègre quatre principaux éléments : le prix de facturation raffinerie, qui représente environ 60 % du total et qui comprend lui-même le prix d’achat du produit brut, le coût du raffinage et de la logistique et la marge de la SARA ; la marge de gros, qui représente 5 à 10 % du total ; la marge de détail, qui est de l’ordre de 10%; et les taxes locales, qui correspondent au reste.

 

Vous avez un pouvoir de sanction. En avez-vous fait usage ?

Nous avons mis fin aux exclusivités appliquées par Orange Caraïbe et lui avons interdit de fidéliser abusivement ses abonnés. Nous avons aussi mis un terme aux différences tarifaires excessives entre les appels passés au sein de son réseau et vers le réseau d’un opérateur concurrent. L'amende d'Orange Caraïbe s'est montée à 52,5 millions d'euros (confirmé par la cour d’appel de Paris, NDLR). Mais la sanction n’est pas forcément la seule réponse. Nous avons obtenu des engagements de France Télécom pour améliorer les conditions dans lesquelles il loue son réseau en cuivre pour fournir des offres haut débit ou triple play. Ce sont à la fois la qualité de service qui s’est améliorée pour les consommateurs et la concurrence qui s’est intensifiée.

Les amendes sont-elles payées ?

Oui. Leur taux de recouvrement est de 98 %. Et nous y veillons !

Pourquoi ce déplacement aux Antilles, deux ans après la crise ?

La crise de janvier 2009 a coïncidé avec la création de l’Autorité. Les DOM sont immédiatement devenus une de nos priorités. Nous avons pris de premières décisions très vite, tout en mettant notre expertise à la disposition des pouvoirs publics lors de la préparation des états généraux. Mais notre travail passe aussi par le terrain : voir, écouter, comprendre les attentes, convaincre, rappeler à l’ordre quand il le faut. Les Antillais ne sont pas les oubliés de la régulation et je veux discuter avec eux de ce qui reste à faire.

Pouvez-vous nous dire à qui profitait le système économique que décriait le LKP il y a deux ans ?

Je m'interdirais de jeter l'anathème sur quiconque. Ces économies ont besoin d'un sursaut, d'élan, d'investissement, de modernité... Lorsqu'il y a des comportements répréhensibles, il faut les punir sans faillir et sans faiblesses. Si nous découvrons au terme de nos enquêtes des infractions, les sanctions seront utilisées.

Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)

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