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Publié par fxg

Interview Pascal Blanchard, commissaire scientifique de l’Invention du sauvage – Exhibitions

Pascal-Blanchard.jpg« L’occident a inventé le sauvage pour expliquer sa posture au monde »

Cette exposition vient en forme de réponse au scandale qu’a causé l’opération un Jardin en outre-mer au jardin d’acclimatation du bois de Boulogne, en avril dernier…

Oui, d’une certaine manière elle donne toute la dimension historique. Pourquoi ça a pu interpeller, choquer… Il y avait peut-être un déficit d’histoire et de mémoire. Il y a eu cette installation au jardin d’acclimatation sans même que l’on parle de l’histoire de ces hommes, ces femmes, ces enfants qui y ont été exhibés et dont certains y sont même morts lors de ces exhibitions. Cette exposition au musée du quai Branly sur les zoos humains nous parle aussi, ici, de nous, du jardin d’acclimatation d’ailleurs, mais de la France et de son rapport aux autres par rapport à ces exhibitions. Et je pense que c’est une très bonne manière alors qu’un rapport sur le sujet vient d’être remis le 15 novembre à la ministre des outre-mer par Françoise Vergès. L’exposition va contribuer à lui donner plus de résonance à ce rapport et inciter le gouvernement à aller un peu plus loin et même d’avancer sur la manière de répondre, d’inscrire ce passé dans le présent. Ce qui n’est pas du tout fait encore aujourd’hui en France.

On ne le sait pas assez, mais il y a eu 18 Indiens Galibis de Guyane décédés en 1894 au jardin d’Acclimatation…

Galibis-au-jardin-dacclimatation.jpgIl y a eu 18 morts lors des 36 exhibitions qui ont eu lieu au jardin d’Acclimatation et c’est une estimation puisqu’à l’époque, les statistiques sur les décès n’étaient pas d’une grande qualité. On estime qu’il y a dû y avoir entre 17 et 20 personnes qui sont mortes au jardin, mais on ne sait même pas s’ils sont tous enterrés sur place. C’est une vraie histoire qui commence parce que ces travaux sont encore balbutiants...

Ils sont toujours dans le jardin ?

Pour certains d’entre eux, oui.

Que dit ce rapport de Françoise Vergès et pourquoi est-il, selon vous, insuffisant ?

Il est à la fois le premier fait sur cette question en France…

Il a été commandé par la ministre de l’Outre-mer pour répondre à une pression…

Champ-de-mars-1895-Barbier.jpgIl a été fait sous la pression des médias et des chercheurs, pas du tout sur pression politique. Ils sont trouvé qu’il était peut-être temps qu’on se pose la question, sur ces expositions coloniales. On fête le 80e anniversaire de l’exposition coloniale de 1931… Mais l’événement du jardin d’acclimatation a choqué beaucoup d’Amérindiens, beaucoup de populations en Kanaky. Ils ont été choqué qu’on fasse cette manifestation festive, un jardin en Outre-mer, sans même parler des ancêtres. Je rappelle que Christian Karembeu a eu des ancêtres exhibés là. Ce rapport, d’une certaine manière, a été fait sous la pression de ce ressenti et de cette frustration. En même temps, c’est un rapport qui a essayé d’interroger tout le monde pour essayer de voir quelle pourrait être la première étape. En même temps, cette première étape est un peu décevante puisqu’elle se limite à proposer de mettre des jalons. Mais parce qu’il n’y a rien aujourd’hui de fait ! Nous sommes un pays qui n’a pas de musée colonial, pas de traces dans les lieux de mémoire quand on se promène au jardin d’acclimatation ou au champs de Mars… Qui sait que sous nos pieds, sous les fondations du musée du quai Branly, ont été exhibés en 1895, 350 Sénégalais ? Personne. Il n’y a aucune plaque qui en parle, comme si cette mémoire n’avait pas de place dans le présent… Donc, on est à la première étape du travail à faire : la prise de conscience pour commencer un travail et que la République s’attache à ces questions comme d’ailleurs l’ont fait les Suisses, les Allemands, les Anglais ou les Espagnols… Qu’on soit simplement au niveau du mouvement de la mémoire. Il n’y a pas de repentance là-dedans, il y a juste un travail de mémoire et d’histoire à exécuter.

L’invention du sauvage, cela veut dire qu’il n’existait pas, qu’on l’a inventé pour justifier la colonisation ?

La-menagerie.jpgPlus que la colonisation ! On a créé le sauvage parce qu’on avait besoin d’une manière d’expliquer le monde, de l’organiser. L’occident a eu besoin d’inventer ce sauvage au-delà des mers pour arriver à expliquer sa posture au monde. C’est ça le sauvage : expliquer la posture de domination de l’occident au monde et d’arriver d’une certaine manière à légitimer pas simplement la colonisation mais l’esclavage (je rappelle que les exhibitions ont lieu en concomitance aussi avec le temps de l’esclavage) et, en même temps, une explication aussi de la manière dont l’occident impose son modèle aux autres. S’ils sont sauvages, nous avons besoin de les civiliser et le modèle de référence, c’est nous ! Ca va beaucoup plus loin que la colonisation, c’est tout le modèle de civilisation de l’occident qui est en jeu.

D’un point de vue scientifique, c’est le racisme…

La hiérarchie des races… Le fait que des races peupleraient la terre. L’explication du monde par les races serait la meilleure donnée pour expliquer l’histoire de l’humanité.

Et pourtant, cette exposition montre qu’on n’a pas exhibé que les autres, mais aussi des Bretons, des Flamands…

C’est la grande surprise pour le public, ça ! On voit des Irlandais exhibés par les Anglais, des Bretons, des Corses, des Savoyards, des Flamands, des Aïnous pour les Japonais (peuple du nord de l’archipel nippon, NDLR). On exhibe à l’époque ce qui semble être la sauvagerie. Et un Breton, dans la France de 1910, est exposé à Nantes à côté des Sénégalais. C’est un sauvage ! Un Corse aussi.

Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)

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P
<br /> On lui avait bien dit à la ministre de l'Outre-mer de ne pas laisser Hayot organiser cela sans faire aucune référence au passé du lieu !<br />
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