Les Antilles aux Voix vives de la Méditerranée à Sète
La poésie antillaise au festival des Voix vives de la Méditerranée
Au milieu d’une pléthore de poètes de la Méditerranée, Maximin et Dracius sont venus porter à Sète (Hérault) leur héritage césairien tandis que l’éditeur Desnel offrait un double regard sur les situations postcoloniales des Antilles et de l’Algérie.
La figure tutélaire d’Aimé Césaire trônait place du Pouffre, au cœur de Sète, à l’occasion des Voix vives, festival de la poésie méditerranéenne, fin juillet. La ville natale du poète et philosophe Paul Valéry et de Georges Brassens était soudain investie par une centaine de poètes, avec en tête d’affiches pour cette édition 2014, des artistes comme Juliette Gréco chantant Brel, Sapho, Grand Corps Malade aux côtés d’auteurs émergents de la poésie contemporaines. Parmi eux, le Guadeloupéen Daniel Maximin et la Martiniquaise Suzanne Dracius, emmenés par l’éditeur martiniquais Jean-Benoît Desnel.
Sur le podium de la place des livres, lundi 21 juillet, ces deux poètes, qui tous deux ont bien connu Aimé Césaire, ont débattu sous la houlette du poète colombien, Enan Burgos, pour dire qu’il existe une relève césairienne et affirmer une présence caribéenne en Méditerranée. Enan Burgos, le Colombien, rappelle que les poètes sud-américains et caribéens ont aussi traversé l’Atlantique pour dire que les problématiques postcoloniales existent aussi chez eux, jetant un pont avec le monde de la Méditerranée du sud : « Ils sont l’affirmation d’une identité, d’une liberté malgré les carcans totalitaires et postcoloniaux de l’Amérique centrale et du Sud, qu’ils partagent avec le Maghreb. »
Anamnésis
Deux jours plus tard, la boucle était bouclée autour d’un débat autour du numéro zéro de la revue Anamnésis, « L’An II du cinquantenaire de l’indépendance algérienne - Regards des Outre-mer français » (éditions Les Presses d’Outre-mer).
Cette fois, face à Suzanne Dracius, une poétesse et calligraphe kabyle, Salima Aït-Mohamed.La table ronde intitulée « Algérie… paroles au féminin pluriel ! » a permis de présenter à un public curieux et souvent intrigué de ce pont jeté entre les Antilles, la Réunion et l’Algérie, des personnalités telles que Césaire, Glissant, Fanon, Cabort-Masson, Rupaire, Béville alias Paul Niger, et à la Réunion les frères Jacques et Paul Vergès, mais aussi des interventions de Benjamin Storasur la position des intellectuels antillo-guyanais face à « la guerre sans nom ». La revue est bouclée par un regard au féminin pluriel autour du tableau de Delacroix, « Femmes d’Alger dans leur appartement » que Suzanne Dracius détourne en « Femmes d’Alger dans leur dévoilement ». Un dévoilement littéraire, poétique, religieux et politique…
« Toutes ces régions ont des histoires communes avec la France, dans une écriture, une émancipation postcoloniales. Ca nous rejoint, même si nous sommes encore des départements français car nous sommes toujours dans l’écriture en pays dominé pour reprendre une formule de Patrick Chamoiseau », témoigne Jean-Benoît Desnel. La revue Anamnésis veut s’inscrire dans la lignée des éditions Maspero ou Présence africaine.
FXG, à Sète
Martinique française et Algérie algérienne vue par deux femmes
« Seule l’avancée de la laïcité peut éviter un Etat islamique et totalitaire. » C’est la grande leçon de cet échange entre la Martiniquaise, Suzanne Dracius et Salima Aït Mohamed, poétesse et calligraphe kabyle, « Les éléments les plus positifs de la révolution algérienne, déclare cette dernière, ont été capturés par des pouvoirs qui ne s’en soucient pas. Malgré quelques réformes du code la famille, les femmes restent dans une situation difficile dans la société. » Si la Martinique n’a pas décroché l’indépendance dont certains rêvaient à l’aube des années 1960, l’Algérie serait ainsi passée du joug colonial au joug religieux à cause de l’absence de la laïcité.
« L’Algérie a gagné son indépendance, mais je préfère l’évolution de ma condition féminine en tant que martiniquaise française, avance Suzanne Dracius. J’aurai vécu la révolution algérienne, je me sentirais aujourd’hui trahie. » Deux femmes poètes, l’une algérienne, l’autre algérienne, constatent chacune un demi-échec, un chemin à moitié parcouru. La Martinique n’est pas indépendante, l’Algérie l’est. Dracius s’affirme comme une femme indépendante, Salima Aït Mohamed doit encore se battre contre les hommes… « Césaire, au moment du 60e anniversaire de la départementalisation, reconnaissait selon Suzanne Dracius, son imperfection, mais se disait prêt à la refaire. Salima Aït Mohamed est satisfaite d’appartenir à un pays décolonisé, mais, dit-elle, « ce serait naïf que de ne pas reconnaître aussi un échec ». « C’est éventuellement moi, reprend Suzanne Dracius qui écrit en pays dominé et Salima qui écrit en pays libre, postcolonial. Mais l’une comme l’autre, nous relevons la tête en osant parler, écrire. » A l’automne, ce regard croisé devrait se renouveler à l’Institut du monde arabe, à Paris.