Myriam Cottias, presidente du CNMHE, et la celebration nationale du 10 mai
Myriam Cottias est présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CNMHE) depuis un an. Cet organisme est chargé, depuis 2006, de proposer au gouvernement le déroulé, le contenu et les messages qui doivent être délivrés chaque 10 mai. Ils sont 15 membres, des chercheurs, des enseignants, des responsables associatifs en charge de lieux de memoire, des représentants des archives de France. Interview de sa présidente.
« La question de la repentance repose sur un affrontement entre des groupes sur une base raciale »
Quel sens le CMNHE a voulu donner à cette 9e commémoration nationale de l’esclavage, des traites négrières et de leurs abolitions ?
Nous avons voulu placer cette journee sous les auspices du 220e anniversaire de l’abolition de l’esclavage du 4 février 1794 et celles du 210e anniversaire de l’indépendance d’Haïti contre les armées de Bonaparte. C’est un signe fort puisque l’on veut célébrer à la fois les révoltes des esclaves et l’action des philanthropes et des abolitionnistes des 18e et 19e siècles. La première abolition et, surtout, l’indépendance d’Haïti ont ouvert la voix à des révoltes qui se sont déroulées dans l’ensemble des Amériques au 19e siècle, mais aussi à une réflexion abolitionniste, philanthropique sur ce qu’étaient la liberté, l’égalité du genre humain et combien l’esclavage devenait inacceptable.
Est-ce une manière de rappeler le rôle d’Haïti dans notre histoire nationale ?
C’est aussi pour rappeler comment le domaine colonial a été important dans l’histoire de France. C’est aussi pour saluer l’implication des esclaves dans cette quête de liberté et d’égalité. La cérémonie du 10 mai est d’ailleurs intitulée : « La flamme de l’égalité. » Et bien sûr, c’est pour établir ce lien que l’on a avec Haïti.
Le président Hollande a confirmé sa présence. Est-ce important ?
Il représente l’alliance de la Nation et l’appui de l’Etat à la question de l’esclavage et de la traite. Par sa présence, le président signifie combien cette histoire et cette memoire sont importantes pour la France. Il est donc, de ce point de vue, essentiel qu’il soit présent. Je concevrais difficilement qu’il en soit autrement. On vit dans une période chaloupée ou certaines opinions s’expriment…
Comme celle du maire FN de Villers-Cotterêts qui refuse de célébrer cette journée dans sa commune où repose le général Alexandre Dumas ?
On voit bien que cette question de l’esclavage n’est pas admise par l’ensemble de la population. On continue à lier esclavage et repentance, mais l’esclavage ne se pense pas en ces termes-là. Il n’est pas question d’accuser une partie de la population. D’ailleurs quelle partie de la population faudrait-il accuser ? De facon tres insidieuse, la question de la repentance permet d’opposer un soi-disant groupe qui pourrait être étiqueté blanc contre un soi-disant groupe qui pourrait être étiqueté noir. La question de la repentance repose sur un affrontement entre des groupes sur une base raciale. Il ne faut pas avoir peur des mots.
Quel est le message de cette commémoration ?
La cérémonie du 10 mai est bien sûr une célébration de la memoire des esclaves, mais c’est aussi une facon de réfléchir aux souffrances qui ont été induites par le système de l’esclavage, la négation de l’être humain, et c’est encore une façon de s’adresser à l’ensemble du pays. Tout le monde est concerné, pas seulement les Ultramarins. Penser à l’esclavage, c’est réfléchir à ce que sont l’égalité, la démocratie, la possibilité de donner l’accès au pouvoir aux personnes les plus compétentes et les plus méritantes. L’esclavage a vraiment cette fonction de faire réfléchir à cette notion d’égalité. Nous avons voulu donner à cette cérémonie une dimension tres unitaire autour de cette notion d’égalité des êtres humains.
L’an dernier François Hollande avait parlé, citant Césaire, de « l’impossible réparation », tandis que certains militent pour des réparations financières. Quel est le point de vue du CNMHE ?
Nous nous sommes assignés une mission sur cette question et nous établirons d’ici quelques mois un rapport sur la question. Notre rapport tentera d’apporter une réponse historienne, politique et citoyenne, même si la question de l’indemnité des propriétaires d’esclaves est d’abord morale. Les réparations financières posent d’autres questions, mais, nous n’avons pas beaucoup d’études sur le mécanisme de versement de ces indemnités. Qui les a reçues ? Il y a eu des grands planteurs, mais pas seulement. Ce sont des choses qui vont être intéressantes à établir précisément. Nous allons aussi recueillir les différents avis sur la question, en faire une synthèse, en rendre compte. Ça n’a jamais été fait. Notre rapport sur la question sera public.
Propos recueillis par FXG, à Paris
La commémoration
La cérémonie devrait débuter a 16 heures par un dépôt de gerbe par le président de la République, accompagné de l’ambassadrice d’Haïti, Vanessa Matignon, et du président du Sénat, et s’achever par le « concert de l’égalité », de 17h30 à 20h30, sur l’esplanade du Jeu de Longue Paume dans le jardin du Luxembourg. Sont programmés, entre autres, des artistes haïtiens comme la soprano Anne-Laure Kénol, Adjabel et Beethova Obas.
Une exposition réalisée par le CNMHE avec la Réunion des musées nationaux, intitulée « la République et les abolitions de l’esclavage » restera accrochée dans le jardin du Luxembourg jusqu’au 25 mai.
Retransmission en directe
La cérémonie sera retransmise sur France Ô et Public Sénat qui mobilisent leurs rédactions pour une édition spéciale en direct, dès 15h30. Karine Sigaud-Zabulon (France Ô) et Pierre-Henri Gergonne (Public Sénat) seront en compagnie de l’historien François Durpaire et de Myriam Cottias. A 16 heures, il sera procédé à une démonstration du site Internet consacré à l’abolition de l’esclavage, en présence du président de la République, avant son discours et celui du président du Sénat.
François Hollande se prêtera ensuite à une interview. Après quoi, les deux présentateurs commenteront, aux côtés de leurs invités, les temps forts de la journée.
La contre-manifestation
Le CRAN (ci-contre son president, Louis-Georges Tin, lors de la ceremonie du 10 mai 2011), le Comité du 10 mai, Sud Solidaires, la CGT appellent à un rassemblement ce 10 mai sur la place de la Sorbonne sur le thème des réparations. Entre le son des djembés, des chants d'esclaves, des déclamations poétiques, des prises de parole et les « hymnes à la réparation », les organisateurs présenteront deux expositions sur l'esclavage et les réparations, ainsi qu'une brochure avec des textes du philosophe Edgar Morin, de la journaliste Rokhaya Diallo, de l’eurodéputé Jean-Jacob Bicep, ou encore de l’historien Pascal Blanchard. Ce livret plaide « en faveur de la mise en place d'un jour férié, d'un musée de l'esclavage et de la colonisation, d'une réforme agraire dans l'outre-mer, ou encore de la restitution de la rançon imposée à Haïti » (21 milliards d’euros !). Les organisateurs annonceront aussi « le procès politique de trois institutions financières majeures, en France et en Europe, qui ont tiré bénéfice de l'esclavage colonial ».
Saint-Domingue et le 16 pluviose an 2
La colonie de Saint-Domingue était la plus riche du premier empire colonial français. On l’appelait « Hercule tropical » et à l’epoque une expression disait « riche comme un colon de Saint-Domingue ». Les esclaves, les libres de couleur et les colons vont s’affronter à partir de 1791 et déstabiliser cet équilibre. Cela va conduire, en conjonction avec la situation internationale (Saint-Domingue est alors occupée par les Espagnols et les Anglais), à la première abolition locale de l’esclavage. Les députés de Saint-Domingue, Dufay, Mills et Belley, partent à la Convention pour porter cette nouvelle. C’est alors que le 4 février 1794, l’esclavage est aboli dans l’ensemble de colonies françaises. Une decision qui ne sera appliquée qu’en Guadeloupe et en Guyane, et que jusqu’en 1802, avant l’abolition définitive de 1848.