Sakti Karli à Corbeil-Essonne
La fête Sakti Karli en région parisienne
Le pavillon de Philippe Andamaye, originaire de Bras-Panon à la Réunion, et retraité de La Poste, ne dépareille pas de celui de ses voisins dans le quartier de la gare RER d’Essonne-Robinson (91). Mais ce dimanche 24 août, s’y déroule une cérémonie plutôt atypique pour ce coin reculé de la banlieue parisienne. C’est la fête religieuse de Sakti Karli. Une centaine de personnes se sont donné rendez-vous chez Philippe. Ils viennent de la region parisienne, mais aussi de province, de Lyon, de Rouen… Certains ont apporté un cabri, d’autres un coq pour honorer une promesse faite à la divinité Karli.
Parvati, la mère de Ganesh, dit la mythologie hindoue, s’est réincarnée en Karli pour détruire Shiva, car la force de Karli est de détruire tout ce qui est mauvais…
Chaque année, depuis 22 ans, entre juillet et août, Philippe Andamaye organise cette fête en l’honneur de Karli. Devant le temple de ses ancêtres qu’il a érigé lui-même (avec les 13 statues fabriquées par Julien Banor de la Ravine-Creuse à Saint-André et les apports théologiques de Viville Vinguétama de Commune-Carron à Sainte-Suzanne) dans la cour de sa maison, Philippe Andamaye, assisté d’amis et de familiers, procède au sacrifice rituel d’animaux. Cette fois, ce ne sont pas moins de quinze cabris et de cinquante-trois coqs qui vont être passés au fil du sabre. Chaque sacrifice est une offrande au Dieu. Philippe Andamaye pratique un culte ancestral qu’il est le seul à realiser dans l’Hexagone, ici dans la chapelle Karli de Corbeil-Essonne. Il y avait bien naguère un temple Maryéméné à Lyon, mais l’officiant a pris sa retraite et est retourné à la Réunion. “En dehors du temple familial de Philippe, explique Virginius Luçay, un originaire de Sainte-Marie établi à Sucy-en-Brie, on peut pratiquer au temple maryémène de la rue Perdonnet à Paris, à celui de Shiva au Pont-du-Bourget ou à celui de Ganesh, rue Philippe de Girard, à Paris… Mais Philippe est le seul dans l’Hexagone à pratiquer ce rituel avec les sacrifices.” Tour à tour, Philippe est habité par ses ancêtres : il boit alors du rhum, fume, mais quand Karli entre en lui, alors il boit le sang de la bête, la bouche sur la jugulaire tranchée, avant de porter le sang sur la personne qui a offert le sacrifice. “Il est alors la bête et la divinité”, résume Virginius. Le public assiste au ballet des préparateurs qui amènent un à un les cabris, leur versent de l’eau, du citron sur la tête, passent une flamme, de l’encens avant que n’ait lieu l’holocauste. La cérémonie dure près de six heures… Pendant ce temps, derrière la maison se sont organisés les ateliers : dépeçage, découpe, cuisine. Au menu : massalé de cabri, civet de coq, bouillon Larson, corée…
Parmi les invités, Annick Paros, de l’antenne parisienne du conseil general, Gilbert Aquilimeba de l’association ARTE-Réunion, et des anonymes, copains, collègues ou voisins de Philippe. “Ca fait quarante ans que je suis là, raconte Yoland, originaire de Saint-Denis et installé à Oissel (76), et j’aurai jamais cru voir ça ici !” Virginius Luçay, technicien en acoustique et par ailleurs marcheur sur le feu au temple Dropadi au Chaudron, explique aux ignorants la legende de Parvati et de Karli. Un grand blanc originaire de Saint-André et de Salazie explique qu’il s’appelle Expedit à cause de sa naissance périlleuse : “J’aurai dû y rester car ma mere devait absolument survivre parce qu’il y avait onze autres enfants derrière !” Un jeune homme se présentant comme un Taminladou les rejoint et suscite le respect de ses comparses : “Tu es un vrai Hindou d’Inde !”. Mais déjà, le 53e coq a été sacrifié. Sosthène, un collègue de Philippe, a passé une blouse grise siglée La Poste pour nettoyer le lieu du sacrifice où vont être dressées les tables du banquet. Sur les quinze cabris sacrifiés, seuls deux ou trois ont été cuisinés ; les autres ont été partagés selon les offrandes de chacun. Presque tous se retrouveront le week-end prochain au quartier de La chapelle, à Paris, au temple de Ganesh, pour le Cavali.
FXG, à Corbeil-Essonne
Interview : Philippe Andamaye, organisateur de la fête Sakti Karli
"On n'a rien à cacher"
Comment est née cette cérémonie à Corbeil-Essonne ?
Ca a commencé par une promesse personnelle. J’étais à la Réunion, au chômage et j’avais promis à la divinité que si un jour je trouvais un petit coin, un petit toit à moi, je lui abandonnerai une partie de ce qu’elle m’aurait donné. Mais quand j’ai voulu honorer ma promesse, mes arrières grands-parents ont dit que ce n’était pas le moment et qu’ils me donneraient l’autorisation le moment venu. C’est venu cinq ans après. Avec mon père, on a mis tout ça en place. A sa mort en 2001, j’ai continué tout seul, avec ma famille et c’est resté familial.
On dit que vous pratiquez un rite ancestral, qu’est ce que ça veut dire ?
Nous pratiquons ce que nos grands-parents nous ont laissé. On ne va rien chercher en Inde ou à l’île Maurice. Je n’ai pas connu mes ancêtres, mais aujourd’hui, ce sont eux qui nous guident. On est nés, on a eu ça en heritage et on ne doit rien modifier contrairement à ce qui se passe souvent à la Réunion.
Etes-vous le seul à pratiquer le sacrifice rituel ?
Non, non ! Il y a encore des petites chapelles qui, à la Réunion, le font toujours traditionnellement, mais il n’y en a pas beaucoup, car les gens modifient les rites. Moi, je reste dans ce que j’ai appris et meme si je ne connais pas le fin fond des choses, je fais tel qu’on le demande pour chaque divinité, chaque autel, chaque ancêtre. Et on ne sait pas comment, mais beaucoup de gens nous apportent la preuve que le culte apporte un peu plus de joie de vivre, avec une maladie guérie, un train de vie amélioré…
Au-delà de l’aspect religieux, la cérémonie a un rôle social pour ceux d’entre vous qui sont installés dans l’Hexagone ?
Ca permet à ceux qui viennent d’économiser un billet d’avion pour aller fêter le divinité au pays ! On peut le faire là puisqu’on n’a rien modifié. Et les plus jeunes n’ont pas connu ça et avec moi, ils voient comment on faisait avant.
Et vos voisins ? Ils prennent ça comment ?
Mes voisins sont arrivés après moi. Les seuls qui étaient là avant moi, ce sont la rue et la gare RER. Mes voisns, meme s’ils ne viennent pas, savent à peu près ce que je fais. On en parle… On n’a rien à cacher ! A la Réunion, ça se passe comme ça, pourquoi on le cacherait ici ? Nous sommes ouverts à tout le monde. Certains viennent par croyance, pour prier et se recueillir, d’autres viennent comme on va à un baptême ou un mariage, pour manger, discuter, boire un coup…
Propos recueillis par FXG
En images
L'attente de l'offrande
Préparation d'un coq
Retour d'offrande
Nouveau cabri sacrifié
Tête de coq, nature morte
Eric Jovien préposé à l'émasculation
Jean-Claude Grajelin et Gilbert Aquimiléba
Annick Paros
Maurice Amillard
Le Taminladou, Marie de Maurice, Virginius Luçay, Marie, Gaspard le Sénégalais, Expédit et Yoland